Césaire, du combat départementaliste à la revendication autonomiste

Publié le 18 mai 2008 sur OSIBouaké.org

L’extrait d’article présenté ci-dessous est intéressant à deux titres : d’une part, donner à entendre la voix des Comoriens et des Maoré sur le "traitement" de la mort d’Aimé Césaire par les politiques et les médias, et d’autre part me donner l’occasion de vous faire connaître cet excellent journal venant de l’autre côté de la planète. Je vous recommande chaudement sa lecture régulière, sur des sujets que nous connaissons parfois mal en France métropolitaine, avec une qualité journalistique particulièrement rare sous nos contrées (par exemple en matière d’investigation). Tous nos encouragement à cet excellent Kashkazi, le journal des quatre îles de la Lune.

Césaire, du combat départementaliste à la revendication autonomiste

Après son décès, Aimé Césaire a été réduit par le gouvernement français et la classe politique mahoraise à la seule revendication départementaliste. Son oeuvre littéraire comme son action politique sont pourtant bien plus complexes.

“La République rend hommage à l’ardent défenseur de la départementalisation de la Martinique pour qui la vraie liberté a toujours résidé dans l’affirmation d’une appartenance pleine, fière et entière à la France." Voilà ce qu’il était permis de lire sur le site du ministère français de l’Outremer au lendemain du décès d’Aimé Césaire, le 17 avril dernier. Paradoxalement, en guise d’"hommage" à l’œuvre du "nègre fondamental", rejeton ô combien rebelle des deux mamelles de l’histoire européenne hors de ses bases -l’esclavage et la colonisation -, le gouvernement français a ressuscité la méthode qui faisait l’es ! sence même de l’œuvre coloniale que Césaire n’a jamais cessé de combattre : la spoliation. Spoliation des terres, de l’histoire, du pouvoir de décision, mais surtout des consciences. En affirmant que Césaire voyait dans l’appartenance à la France "la vraie liberté" (comme s’il n’en existait pas d’autre !), l’Etat a dévoyé le message du père de la négritude.

Une logique recyclée par les conseillers généraux de Maore le 18 avril, en ouverture d’une session qu’ils qualifieront plus tard d’historique, au cours de laquelle ils voteront à l’unanimité la résolution demandant au gouvernement français d’organiser une consultation sur le statut de l’île. Aimé Césaire fut ce jour-là présenté comme "le précurseur de la départementalisation" que la classe politique mahoraise appelle de ses voeux. Il ne fut pas question, par contre, de la "négritude", ce courant littéraire et philosophique radical qu’il créa avec Senghor et Damas, du "Discours sur le colonialisme", cet ouvrage-référence sans pitié pour la décadence européenne, ou de sa propre évolution qui le fit militer, quelques années après la "départementalisation", en faveur d’une autonomie large de la Martinique, son île. A croire ! que le seul Césaire acceptable dans les ministères et au sein de la classe dirigeante mahoraise s’est éteint avec cette fameuse loi du 19 mars 1946… Le discours et l’évolution idéologique du Martiniquais sont pourtant loin du chapelet de propos consensuels entendus après sa mort.

Certes, Aimé Césaire fut le rapporteur de la loi du 19 mars 1946 faisant des "quatre vieilles colonies" françaises -Martinique, Guadeloupe, Guyane et Réunion- des départements d’outremer. Il en fut aussi son plus ardent défenseur. Non pas pour l’assimilation culturelle et sociétale telle que la rêvait l’idéologie coloniale, mais bien pour des raisons avant tout humaines. "En 1945", expliquait-il en 2005 à l’hebdomadaire français L’Express, "quand on m’a pressenti pour cette mission, j’ai hésité, car j’ai pensé à nos ancêtres, à notre identité et à ce qu’il en resterait si nous devenions des Français à part entière. Mais je me suis rendu compte que c’étaient les gens du peuple qui tenaient le plus à ce que la Martinique devienne un département français. Pour eux, cela signifiait en réalité devenir les égaux des Français ! de France, avec les mêmes droits sociaux, les mêmes salaires." "J’avais en tête la chose suivante : ’Mon peuple est là, il crie, il a besoin de paix, de nourriture, de vêtements, etc. Est-ce que je vais faire de la philosophie ? Non’" s’expliquait-il en 2005 dans un livre d’entretiens avec Françoise Vergès. "Quelle était la situation auparavant ?", poursuivait-il. "Une misère totale : la ruine de l’industrie sucrière, la désertification des campagnes, les populations qui se précipitaient sur Fort-de-France et jouaient aux squatters en s’installant comme elles le pouvaient sur n’importe quel bout de terre. Que faire ? Les préfets n’avaient qu’une idée, leur envoyer la police. Eh bien nous, nous avons choisi de nous intéresser à ces gens-là. (…) Le peuple martiniquais se fichait de l’idéologie, il voulait des transformations sociales, la fin de la misère."

Lorsque débutent les débats à l’Assemblée, deux positions s’affrontent : l’une est partisane de l’assimilation, l’autre de l’autonomie. En 1946, "assimilation", déclare Césaire, signifie que les "territoires en question soient considérés comme le prolongement de la France", tandis qu’autonomie implique que les conseils généraux continuent à bénéficier d’une certaine autonomie budgétaire. Or pour Césaire et les mouvements anticolonialistes, les conseils généraux étant aux mains des grands planteurs, ils persisteraient à privilégier ces derniers si, devenus autonomes, ils n’étaient pas soumis à la loi républicaine. La "Métropole" était alors perçue comme un moyen de limiter le pouvoir des planteurs, et d’offrir aux anciens colonisés les mêmes chances que l’ensemble des citoyens français.

(la suite dans Kashkazi n°72, en vente actuellement dans les kiosques et en ligne au prix de 4 euros).

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