Zoe Leonard, déchirée entre repli et engagement

Publié le 1er mars 2008 sur OSIBouaké.org

5 Fevrier : Zoe Leonard expose en France, c’est l’occasion pour moi de vous faire decouvrir cette artiste photographe. Comme en plus elle est engagée depuis longtemps dans la lutte contre le SIDA   (soutien et expose reguliérement au profit de AIDES, d’ACT UP...), les colonnes du blog, sont faites pour elle....

Didier


Premier Mars,

je viens d’acheter le livre de cette expo..."Analogue"... et il est encore plus beau que je ne le pensais... les tirages sont d’une qualité exceptionnelle, la mise en page est sobre, photos carrées au milieu d’une grande page blanche, pas de texte, sinon pour situer le lieu... les images sont brutes, traitées sans aucun effet, pas de contraste boostés, pas de saturation...(un peu ce que donnait les pellicules agfa en argentique) c’est beau...trés vrai...trés beau... le livre comporte deux séries de photos, présentées dans la continuité, la moitié prise à NY (Brooklyn), l’autre moitié prise en Ouganda...échoppes,...objets vendus sur un trottoir... le mot Analogue prend tout son sens...cette apposition de photos en est une évidence...le quart monde n’a pas de frontière... mais c’est bien plus que ça... inutile de chercher à mettre des mots, feuilleter ce livre est tout simplement bouleversant...

Didier


Zoe Leonard, déchirée entre repli et engagement

Le Monde | 30.01.08 | Nice, Emmanuelle Lequeux, envoyée spéciale

Depuis plus de vingt ans, la photographe new-yorkaise Zoe Leonard construit à travers ses images un univers où se mêlent nostalgie et engagement politique. Elle présente à la Villa Arson, à Nice, sa dernière série, Analogue. Et une rétrospective au Fotomuseum de Winterthur, près de Zurich, en Suisse.

Analogue lui a pris dix ans et réunit plus de 500 photographies, prises au Mexique, en Ouganda, mais essentiellement dans son quartier de New York, le Lower East Side, dont elle explore les rues et les boutiques.

Magasins clos, coiffeurs bas de gamme, fripes en tout genre... Elle compose une ode à une ville en voie de disparition. "Dans les années 1990, l’apparence physique de ma ville a changé de manière radicale à cause de l’économie et de la spéculation immobilière, explique Zoe Leonard. La ville qui m’a fait artiste était en train de disparaître sous mes yeux. Et avec elle disparaissait le souvenir des gens que j’avais connus."

L’épidémie de sida   vient accentuer ce sentiment de perte. "Quand je m’interroge sur ce qui m’a poussé à développer une si profonde nostalgie pour ma ville, je ne peux que penser à tous les amis que j’y ai perdus. Très jeune, j’ai rassemblé autour de moi une communauté d’artistes et de gens très radicaux, qui sont devenus ma famille de substitution. Mais vers mes 20 ans, tous ont commencé à mourir du sida  . Ma ville a été complètement dépeuplée. C’est un sentiment d’autant plus bouleversant que toute mon enfance a été hantée par l’idée de perte : de ma famille d’origine polonaise, dont beaucoup de membres ont disparu pendant la guerre, à la perte de mon père, disparu très tôt."

Jamais aucun être humain n’intervient dans ces images : Zoe Leonard cherche à ce que le spectateur devienne un habitant de cette ville qu’elle hante. "Avec toutes ces photos, la salle d’exposition devient comme une ville que tu traverses. Mais pour moi ce travail évoque malgré tout les habitants, même s’ils restent hors cadre. Dans mes images, chaque détail est né de la main d’un homme : il y a beaucoup d’écritures à la main, des détritus, des choix esthétiques dans le décor. C’est un monde incroyablement fait main."

Le titre Analogue identifie, en anglais, la photographie argentique, évoquant ainsi une autre disparition. Au fur et à mesure que l’artiste élaborait cette série, la culture argentique disparaissait en effet au profit du numérique. C’est la raison pour laquelle elle s’est attachée à prendre en photographie de vieilles boutiques Kodak, en voie de disparition dans le monde. "La photographie elle-même est devenue le sujet de cette installation, un de ses personnages principaux."

A première vue, ses clichés peuvent sembler anodins : c’est dans l’accumulation qu’ils offrent leur richesse. Leçon retenue de deux grands pionniers du genre documentaire : le Français Eugène Atget et son travail sur Paris, l’Américain Walker Evans et sa représentation du paysage américain. Si elle les aime, c’est qu’"ils ont tenté des projets fous".

Elle se sent notamment "très proche de la sérénité d’Atget. Il est tellement persistant et tenace, jamais méthodique. Ses photographies sont toujours incroyablement délicates et fragiles". Quant à Walker Evans, il la fascine par sa façon, "incroyablement moderne, d’articuler le politique dans la représentation de l’espace. L’espace des travailleurs devient un espace de beauté".

Longtemps portée par l’activisme politique, Zoe Leonard est désormais "déchirée" entre le choix de se retirer pour "vivre une vie contemplative", et celui de rester "une citoyenne du monde". Frustrée par l’activisme qui exige de "constamment répondre au pouvoir des autres", elle voit cependant Analogue comme un travail de "conscience sociale".

L’art ? Il est pour elle "un espace plus fluide et moins fermé. Il ne suffit pas de dire que "Bush est un trou du cul", il faut aussi tenter de répondre à des questions comme : qui sommes-nous, que faisons-nous, et que permettons-nous qu’il advienne ?"


"Analogue", Villa Arson, 20, avenue Stephen-Liégeard, 06105 Nice. Tél. : 04-92-07-73-73. Du lundi au dimanche, de 14 heures à 19 heures (fermé le mardi). Jusqu’au 3 février.

"Rétrospective", Fotomuseum, Grüzenstrasse 44-45, Winterthur (Suisse). Tél. : 00-41-52-234-10-60. Jusqu’au 17 février. Catalogue, Fotomuseum Winterthur et Steidl, 264 p., 65 francs suisses.


Le Monde - 30.01.08

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