En Ouganda, le combat continue pour les enfants nés de la guerre

Publié le 16 juillet 2015 sur OSIBouaké.org

Kampala, 8 juillet 2015 (IRIN) - Cela fait presque dix ans que les combats ont pris fin dans le nord de l’Ouganda, mais la guerre est loin d’être finie pour les femmes enlevées par les rebelles de l’Armée de résistance du Seigneur (Lord’s Resistance Army, LRA) et leurs enfants nés en captivité. Les personnes qui ont échappé à la LRA ou qui ont été libérées font face à plusieurs défis : l’exploitation sexuelle, les passages à tabac, la stigmatisation, le rejet de la communauté, le manque d’accès aux soins de santé et à l’éducation, la privation des droits fonciers.

Pendant deux décennies, à partir de la moitié des années 1980, entre 10 000 et 15 000 filles et femmes ont été enlevées chez elles, dans le nord de l’Ouganda, et ont été utilisées comme combattantes, porteuses et esclaves sexuelles par les commandants de la LRA. Les enfants nés de la guerre, qui sont le fruit de ces unions forcées, sont bien souvent négligés par les programmes de redressement lancés après le conflit.

D’après un récent article publié par le Centre international pour la justice transitionnelle (International Centre for Transitional Justice, ICTJ), « Des milliers d’enfants nés de viols commis, non seulement par des membres de la LRA, mais aussi par les forces gouvernementales et d’autres groupes armés étatiques ou non étatiques, vivent en marge de la société ».

Un nouveau rapport publié par le projet Justice et Réconciliation, basé à Gulu, une ville du nord du pays, explique que bon nombre de femmes ont été soumises à des violences et à l’exploitation sexuelles dans les soit-disant « villages protégés », où la majorité des habitants du nord du pays ont été contraints de vivre pendant la guerre.

« Comme si les premières violences n’étaient pas suffisamment graves, les victimes féminines sont particulièrement exposées à des phénomènes de re-victimisation systématique longtemps après les premières violences », explique le rapport, intitulé « Alone Like a Tree : Reintegration Challenges Facing Children Born of War [CBW] and Their Mothers in Northern Uganda ».

Les conséquences se poursuivent dans le temps

Les conséquences pour les femmes victimes d’une stigmatisation durable incluent notamment la dépression et d’autres formes de maladie mentale, ainsi qu’une vulnérabilité accrue à de nouvelles maltraitances et violences en raison de leur marginalisation économique.

Les femmes interrogées par les auteurs du rapport ont expliqué que, souvent, les nouveaux partenaires « ne veulent pas payer les frais de scolarité de leurs [enfants], et les beaux-parents seraient une source majeure d’injures à l’encontre des enfants nés de la guerre. Dans certains foyers, ils sont sans cesse ostracisés et isolés ».

Ces femmes ont aussi signalé plusieurs cas d’abus sexuels commis sur des filles et des garçons nés de la guerre par leur beau-père et d’autres parents. Il leur était très difficile de signaler ces violences, notamment parce que leurs auteurs étaient des membres des forces armées.

« Dans les nouvelles relations amoureuses, le moindre désaccord entre le mari et la femme est attribué au passé de la femme. Quand l’homme lui-même a été victime d’un enlèvement, il peut stigmatiser la femme, l’accuser d’avoir eu des relations sexuelles avec d’autres hommes dans le bush pour justifier son comportement violent », explique le rapport.

Un garçon de 17 ans né en captivité dans un camp de la LRA a dit aux chercheurs : « Parfois, on nous dit que le logement dans lequel on vit n’est pas le nôtre, que l’homme qui nous élève n’est pas notre père. On nous dit qu’on devrait partir à la recherche de notre père. Ce sont toujours des enfants qui vivent dans ce foyer qui nous disent ça. Cela empoisonne notre vie ».

Oubliés par les programmes de réintégration

D’après Jackson Odong, du Centre national de documentation sur la mémoire et la paix nationales de Kitgum, dans le nord du pays, les besoins de ces populations ont été négligés.

« Les enfants nés en captivité et leur mère continuent de souffrir, car on les a encouragés à revenir, mais on ne leur a pas apporté le soutien nécessaire à leur réintégration. En général, le soutien s’est concentré sur les anciens combattants. Il y a eu peu ou pas d’interventions à destination des enfants et des mères », a-t-il dit.

Irene Ikomu, avocate des droits de l’homme et coordinatrice de l’organisation Parliament Watch Uganda, a dit à IRIN que le rapport souligne la nécessité d’évaluer les processus de réintégration mis en place dans le nord de l’Ouganda. « Il y a encore des lacunes à combler et cela explique que les difficultés subsistent malgré la paix », a-t-elle expliqué.

« Une réintégration réussie ne repose pas seulement sur la prise en compte des préoccupations à court terme et la stabilité politique, elle doit surtout mettre l’accent sur les stratégies à long terme pour favoriser la reconstruction économique et le développement », a ajouté Mme Ikomu.

« Dans le nord de l’Ouganda, nous ne pouvons pas dire que nous avons couvert tous les aspects de la réintégration, car nous n’avons pas abordé la question de l’accès aux terres des anciens combattants et des victimes, et notamment des enfants nés de la guerre », a-t-elle expliqué.

Le président de la Commission d’amnistie de l’Ouganda, Peter Onega, partage ce point de vue.

« C’est un sérieux problème. Si l’on ne s’en occupe pas rapidement, il entraînera des violences et des conflits. En tant que commission, nous n’avons pas offert pas une réintégration adaptée à ces personnes, car nous en sommes incapables. Nous n’avons pas les ressources nécessaires à cause du faible niveau de financement concédé par le gouvernement », a-t-il expliqué à IRIN, en expliquant que seulement environ 1,5 million de dollars ont été attribués sur les 2,5 millions de dollars prévus par an pour le financement des programmes.

« Nous devons sensibiliser la communauté, instaurer le dialogue et organiser des réunions de réconciliation pour que les membres de la communauté acceptent ces enfants et ces femmes, et vivent en paix avec eux », a-t-il ajouté.

L’article publié par l’ICTJ a noté que, si les rebelles qui se sont démobilisés « bénéficiaient de kits de réinsertion distribués par le gouvernement et comprenant des articles ménagers de base, il n’y avait pas d’allocations complémentaires pour les personnes dont les enfants sont nés en captivité ».

Au sein de cette catégorie, il y a des groupes différents qui ont des besoins différents, souligne l’article.

« Par exemple, les filles et les garçons seront confrontés à des difficultés différentes dans les sociétés dans lesquelles les familles des femmes reçoivent une dote lorsque leur fille se marie et les hommes héritent des terres et des autres ressources à leur majorité. Dans le nord de l’Ouganda, les garçons nés de la guerre sont plus souvent rejetés que les filles nées de la guerre, car les familles et les clans ne veulent pas leur donner un terrain sur lequel s’installer à leur majorité ».

En mars 2014, le Réseau de plaidoyer des femmes (Women’s Advocacy Network), une coalition d’ONG, a envoyé une pétition au Parlement : il demandait la création d’un fonds de réparation qui tiendrait compte des différences entre les sexes afin d’offrir des services de santé gratuits aux femmes et aux enfants affectés par l’insurrection, et la mise en œuvre d’un mécanisme permettant « d’identifier, d’intégrer et de régulariser la situation des enfants apatrides nés en captivité ». L’organisation a aussi appelé le gouvernement à « identifier, intégrer et réinstaller les enfants nés de femmes qui ont été enlevées et dont l’identité clanique/culturelle n’est pas connue ».

La pétition n’a pas été suivie d’effets.

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