Rapport 2013 du groupe d’experts sur le VIH : traitement pour tous et dépistage ciblé

Publié le 26 septembre 2013 sur OSIBouaké.org

VIH  .org - 25/09/13 - Par Charles Roncier -

Le Rapport 2013 sur la prise en charge médicale des personnes vivant avec le VIH   (PvVIH  ), reprenant les recommandations du groupe d’experts dirigés par le Pr. Philippe Morlat, confirme la chronisisation de l’infection par le VIH   en France, en tout cas en terme de prise en charge. Les experts recommandent désormais que toutes les PvVIH   dépistées se voient proposer un traitement ARV  , quelles que soient leurs indicateurs biologiques.

Vivre avec le VIH  

En France, grâce aux molécules et stratégies les récentes, le bénéfice/risque de la mise sous traitement, grâce aux progrès en galénique et en ce qui concerne les effets indésirables, est désormais en faveur des séropositives et séropositifs. Non seulement les experts insistent sur la mise sous traitement précoce, le plus tôt possible après la contamination, mais également sur la mise en place d’un traitement chez toutes les PvVIH  , quelles que soient les caractéristiques cliniques ou biologiques et notamment le chiffre de CD4.

Le bénéfice individuel est désormais rejoint par le bénéfice de santé publique : comme les traitements limitent la transmission du VIH   (TasP), les experts comptent sur l’utilisation large des anti-rétroviraux (ARV  ) pour infléchir la courbe de l’épidémie. Un objectif ambitieux, puisqu’il faudrait au moins que 90% des PvVIH   soient sous traitement pour que l’effet du traitement sur le nombre de contaminations se fasse sentir.

Dans l’idéal, c’est 40 000 personnes de plus qui doivent avoir accès à un traitement, un chiffre contenant les personnes non dépistées (l’épidémie masquée) et les PvVIH   pas encore sous traitement.

Si l’infection par le VIH   est bien considérée comme une maladie chronique, les PvVIH   connaissent un nombre de co-morbidités qui justifie un dépistage, un suivi et des traitements particuliers. Ces maladies sont désormais de plus en plus fréquentes car l’espérance de vie sous traitement augmente régulièrement ; ainsi les cancers représentent désormais environ un tiers des causes de décès des PvVIH  . Les hépatites virales chroniques (un quart des PvVIH   sont également infectées par l’un des deux virus des hépatites B ou C) et les maladies cardio-vasculaires et métaboliques sont également très fréquentes. La sensibilisation des médecins généralistes à ces co-morbidités doit être favorisée, et si possible intégrée à une démarche de formation.

Enfin, le vieillissement des PvVIH  , qui heureusement vivent plus longtemps, appelle à une prise en charge multi-disciplinaire et à une adaptation des structures d’accueil des personnes âgées ou handicapées à cette nouvelle patientèle.

Prévention

En France, malgré des traitements très efficaces, malgré le treatment as prevention (Tasp), l’épidémie reste mal contrôlée. En effet, chaque année, 7000 à 8000 nouvelles contaminations ont lieu, soit une incidence générale de 18 cas pour 100 000 habitants. Evidemment, cette incidence connait des variations selon les populations et les lieux : Dans les départements français d’Amérique (DFA), elle est de 59/100 000, en Guyane de 147/100 000, et chez les hommes ayant des rapports sexuels avec d’autres hommes, de 1000/100 000.

Prévention comportementale, Tasp, traitement post-exposition, prophylaxie pré-exposition, les experts insistent sur l’importance de l’utilisation de tous les outils de prévention, composant d’une prévention combinée nécessaire pour réduire le nombre de contaminations.

Dépistage

A peu près 150 000 personnes vivent avec le VIH   en France, et on estime que 20%, soit 30 000 personnes, ignorent leur séropositivité. Pour autant, le dépistage systématique tel que proposé dans le Plan national de lutte contre le sida   2010-2014 ne se réalise pas. Les occasions de dépistage n’ont pas été multipliées et les médecins généralistes hésitent à proposer les tests. Le groupe d’Experts 2013 recommande le recours à un dépistage large mais ciblé, à partir de situations cliniques pertinentes, proposé par les médecins généralistes, mais aussi à l’hôpital et « hors les murs », par les associations par exemple. Le dépistage doit être proposé aux personnes appartenant aux populations où la prévalence de l’infection est la plus élevée. Recommandation dont on notera qu’elle tourne le dos aux directives du Plan national de lutte contre le vih  /sida   et les IST 2010-2014 où l’insuffisance de l’augmentation de l’offre de dépistage est clairement documentée à 2/3 du parcours (4% seulement de tests en plus) .

Dans cet esprit, le rapport recommande a mise à disposition plus large des tests rapides à orientation diagnostique (TROD) et la levée volontaire de l’anonymat dans les Centres de dépistage anonymes et gratuits (CDAG) pour faciliter le recours aux soins.

Le Rapport mentionne également le recours aux autotests, qui doivent d’ajouter aux dispositifs de dépistage existant, en gardant en tête leurs limites (au niveau de la sensibilité et de l’accompagnement au diagnostique, par exemple) suivant en ce sens un récent avis du CNS.

Enfin, le groupe recommande l’amélioration du dépistage dans les lieux de privation de libertés.

Par ces recommandations, le groupe défend ainsi le principe qu’en permettant au plus grand nombre de PVVIH   de connaitre leur statut sérologique et en leur proposant un traitement dès le diagnostic, on peut limiter grandement l’épidémie.

Le coût de la prise en charge

Le Rapport ne dit pas, et ce n’est pas son rôle, comment parvenir à traduire ces recommandations en politique de santé publique. La question du coût de la prise en charge des PvVIH  , par exemple, sera forcément centrale. L’augmentation du nombre de personnes traitées aura un coût, qu’il faudra évaluer, en prenant en compte les bénéfices sur la santé des PvVIH   à long terme (moins de pathologies graves), le recours aux génériques et le prix du parcours de soin.

Pour la première fois dans ce type de rapport d’Experts, le groupe de travail a voulu initier une réflexion sur l’aspect médico-économique de la prise en charge et en particulier, comment diminuer le coût de cette prise en charge.


RAPPORT D’EXPERTS VIH : LE POINT SUR LES RECOMMANDATIONS FRANÇAISES 2013

Séronet - 24 Septembre 2013 - par Renaud Persiaux et Marianne l’Hénaff

Quelles sont les principales recommandations du rapport d’experts 2013 sur la prise en charge des personnes vivant avec le VIH   en France ? Renaud Persiaux (AIDES) et Marianne L’Hénaff (ARCAT) qui étaient les deux représentants associatifs au groupe central désignés par le collectif interassociatif TRT-5, font le point pour Seronet. Ils donnent aussi leur avis militant et personnel sur cette mouture 2013.

Traitement universel : il est désormais recommandé de proposer le traitement antirétroviral à toutes les personnes vivant avec le VIH   quel que soit le taux de CD4, à la fois pour des raisons de santé individuelle et de prévention de la transmission du virus. En primo-infection, il faut, de plus, mettre en place le traitement très rapidement.

Choix du traitement : Les options recommandées pour l’initiation d’un premier traitement antirétroviral

A : Choix à privilégier (présentation sans ordre préférentiel) ● La combinaison Truvada + Sustiva, (aussi disponible en un comprimé par jour, Atripla) ; ● La combinaison Truvada + Edurant, (aussi disponible en un comprimé par jour, Eviplera) ; ● L’association Kivexa + Sustiva (2 comprimés en une prise par jour) ; ● L’association Truvada + Reyataz/Norvir (3 comprimés en une prise par jour) ; ● L’association Truvada + Prezista/Norvir (3 comprimés en une prise par jour) ; ● L’association Kivexa + Reyataz/Norvir (3 comprimés en une prise par jour).

B : Autres choix possibles (présentation sans ordre préférentiel) ● L’association Kivexa + Edurant (2 comprimés en une prise par jour) ; ● L’association Truvada + Viramune à libération prolongé (LP) (2 comprimés en une prise par jour) ; ● L’association Truvada + Kaletra (5 comprimés par jour en deux prises ou en une prise par jour si supporté au niveau intestinal) ; ● L’association Kivexa + Kaletra (5 comprimés par jour en deux prises ou en une prise par jour si supporté au niveau intestinal) ; ● L’association Kivexa + Prezista/Norvir (3 comprimés en une prise par jour) ; ● L’association Truvada + Isentress (3 comprimés en deux prises par jour) ; ● L’association Kivexa + Isentress (3 comprimés en deux prises par jour).

Toutes ces combinaisons sont assorties de précautions, de critères à respecter pour adapter le choix du premier traitement à la situation individuelle de chacun (la charge virale, le taux de CD4, l’état des reins et du foie, la présence ou non d’une hépatite B et/ou C, les facteurs de risques cardio-vasculaires, le mode de vie, certains examens génétiques, le désir d’enfant, etc.).

Dans le choix des traitements recommandés à privilégier, le coût a, par ailleurs, été pris en compte, conduisant à l’exclusion de certaines molécules jugées trop chères, malgré leur profil de tolérance aussi favorable que d’autres.

Antirétroviraux génériques : Alors que les médicaments génériques arrivent en 2013 avec d’intéressantes perspectives de réduction des coûts, les associations souhaitaient recommander que le médecin prenne l’avis de la personne avant de "casser" un comprimé à dose fixe ("combo") en ses composants séparés. Au final, il est écrit : "Si pour certaines personnes le maintien d’une forme combinée en un comprimé doit être privilégié, le remplacement d’une forme combinée fixe par les génériques de ses composants dans un objectif de réduction de coût est possible".

Traitement comme prévention (TasP) : les médecins doivent désormais en parler systématiquement à leurs patients, en raison des bénéfices apportés en termes de qualité de vie et d’observance au traitement. Le TRT-5 a insisté sur l’importance de détailler les conditions permettant une sécurité maximale (celles de l’avis suisse de 2008) : une charge virale indétectable (moins de 50 copies/ml) depuis au moins six mois, une bonne observance, l’absence d’IST (ou d’inflammation génitale) d’où leur dépistage régulier. Pour les rapports hétérosexuels, le risque est inférieur à 1/10 000. Même si le niveau d’information est mal connu, les experts considèrent que le TasP fonctionne "probablement" pour les rapports anaux. La procréation naturelle, dans le cadre du TasP, est désormais considérée comme une alternative à l’aide médicale à la procréation (AMP), présentée avant celle-ci dans le chapitre.

Prep   : en février 2012, le groupe d’experts avait émis des recommandations pour que la Prep   (prophylaxie pré-exposition) puisse être prescrite aux hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes qui souhaitent recourir à cette stratégie en raison de conduites à risque élevé d’acquisition du VIH  . Et cela en l’accompagnant au mieux, pour que la Prep   soit utilisée dans des conditions optimales, et afin d’éviter le développement de résistances aux antirétroviraux. En 2013, le rapport d’experts recommande de plus d’engager des programmes pilotes de Prep  , qui s’adresseraient à des personnes très exposées au VIH   ou n’arrivant pas à faire usage des moyens de prévention classiques (préservatifs...). Le rapport demande à ce que la Prep   soit inscrite dans une logique de prévention combinée (préservatifs, réduction des risques…), et que les projets soient réalisés en partenariat très étroit entre les mondes médicaux et associatifs.

Messages de prévention : ils doivent être "clairs et adaptés aux différentes populations, renouvelés régulièrement pour faciliter l’adoption par les individus des méthodes correspondant le mieux à leur situation". "La prévention en direction des HSH [hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes] reste donc une priorité et une urgence". "L’ensemble des stratégies doivent pouvoir être mobilisées : du traitement post exposition (TPE) pour un accident de préservatif à l’utilisation de la Prep   pour des populations très exposées et n’arrivant pas à faire systématiquement usage des moyens de prévention classiques".

Dépistage : le groupe recommande de mettre l’accent sur le dépistage ciblé auprès des populations les plus touchées (notamment HSH, migrants d’Afrique subsaharienne) en y associant au besoin un dépistage des hépatites. Et de réajuster le dépistage généralisé trop difficile à mettre en place, au profit d’un dépistage large (médecins généralistes et spécialistes lors d’un recours aux soins de personnes sans test récent). Exception faite de la Guyane, où il importe de mener un programme de dépistage généralisé pour atteindre toutes les populations notamment les immigrés des centres urbains et les habitants des territoires isolés. De plus, il faut se "préparer à l’arrivée sur le marché" des autotests et "évaluer leur utilisation et leur impact". Enfin, le groupe recommande (à nouveau) de fusionner les CDAG (centres de dépistages anonymes et gratuits) et les CIDDIST (centres d’information, de dépistage et de diagnostic des infections sexuellement transmissibles) en redéfinissant leurs missions. Grande nouveauté : la recommandation de basculer vers un dispositif non anonyme afin de faciliter l’entrée vers le soin des personnes dépistées séropositives (l’anonymat restera possible pour ceux qui le souhaitent).

Dispositif d’annonce de la séropositivité : un paragraphe pratique a été rédigé sur le dispositif d’annonce de la séropositivité en milieu associatif, en insistant sur l’importance de l’écoute et des conseils en prévention, du lien vers le soin, et de l’orientation au besoin vers des groupes d’auto-support.

Offre de santé sexuelle : le groupe d’experts recommande aux pouvoirs publics, de soutenir les actions visant à mettre en place une offre de santé sexuelle, intégrée et coordonnée, dans une approche de santé globale et de promotion de la santé.

ATU (autorisations temporaires d’utilisation) : il est recommandé de permettre l’accès des personnes co-infectées VIH  -VHC aux nouveaux traitements anti-VHC, au moyen notamment d’ATU nominatives et de cohorte, et de favoriser leur inclusion dans des cohortes observationnelles.

Lutte contre la sérophobie   : il est recommandé (notamment à la demande de AIDES) d’introduire dans le code pénal, une circonstance aggravante "à raison de l’état de santé", dont le VIH  , pour toutes les atteintes physiques et verbales. Il est également recommandé de renouveler la communication et la diffusion de l’information sur le VIH   pour modifier le regard porté sur les personnes, en informant notamment sur l’intérêt préventif du traitement.

Trans : le groupe appelle à la mise en œuvre des recommandations du rapport 2011 de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas), en particulier pour sensibiliser les professionnels de santé, lutter contre la transphobie, améliorer et simplifier le changement d’état civil, et développer des campagnes de prévention et de soutien spécifiques.

Etrangers : il faut garantir l’accès aux soins et aux droits des personnes vivant avec le VIH   étrangères en situation irrégulière au regard du droit au séjour, et généraliser le recours à l’interprétariat professionnel. Le groupe appelle à mettre en œuvre "sans délai" les recommandations de la Conférence nationale sur la pauvreté de janvier 2013.

Accès au crédit : il importe d’améliorer l’accès au crédit des personnes vivant avec le VIH  , en faisant prendre en compte par les assureurs l’augmentation de leur espérance de vie (convention AERAS).

Travail du sexe : mettre en œuvre sans délai des recommandations de l’avis du Conseil national du sida   (2010) et de l’Inspection générale des affaires sociales (2012), portant en particulier sur le recueil de données concernant le travail du sexe et la consolidation du rôle privilégié des associations de santé et leurs partenaires communautaires.

COREVIH : la volonté est de placer davantage les COREVIH (Coordination régionale de la lutte contre le VIH  ) au service de la mise en œuvre du Plan national VIH   et IST et des recommandations d’experts, de mieux évaluer leur l’activité (et l’emploi des budgets) et d’une meilleure intégration dans les politiques régionales de santé publique. En outre, les recommandations cadrent la réflexion sur l’extension des missions des COREVIH vers les hépatites, la santé sexuelle et le parcours de santé des personnes vivant avec le VIH  .

Rôle des associations : le groupe d’experts recommande aux pouvoirs publics, de garantir un cadre favorisant la pérennité de leurs actions aux associations réalisant un accompagnement pluridisciplinaire, avec une composante d’auto-support et de convivialité et prenant compte la diversité des besoins et des publics. Le rôle central des associations dans le parcours de santé est souligné, en particulier auprès des populations les plus précaires et les plus éloignées du soin.

Usage de drogues : il convient de promouvoir les méthodes de réduction des risques liés à l’usage de drogues intraveineuses (usage de matériel stérile) dans les lieux de privation de liberté, en prenant en compte les risques de transmission des hépatites. Afin de compléter le dispositif, l’implantation de salles de consommation doit être envisagée dans les sites où vivent les publics les plus marginalisés.

L’AVIS DE MARIANNE L’HÉNAFF

A titre personnel, je trouve qu’il y a beaucoup d’aspects positifs dans cette participation au rapport d’experts. Nos demandes, nos avis sont toujours écoutés, pas forcément acceptés ou pas entièrement, mais ils sont pris en considération. Je pense que certaines demandes associatives ne sont pas toujours très raisonnables, ou pas encore étayées par des études, et elles manquent souvent de concertation, et il est logique que ça ne passe pas… Ce n’est pas un rapport associatif, et d’ailleurs, si les associations faisaient un rapport, je me demande comment les médecins seraient écoutés.

Lors des réunions, les médecins se voient aussi refuser ou pondérer des démarches innovantes par manque de preuves ou de moyens humains, par exemple des dépistages plus généralisés de certains cancers, jugés infaisables et/ou trop coûteux. Cela permet de relativiser les refus ou amputations de nos propres demandes…

En revanche, il est le plus souvent possible de faire ajouter "une petite touche associative", de part notre vécu intime de la maladie et notre expérience basée sur le ressenti de beaucoup d’autres patients, que nous voyons et entendons. Négocier quelques petites phrases aux bons endroits me parait aussi important que les grandes demandes.

Sur le TasP, il est vrai que l’avis médical n’est pas toujours très clair selon les chapitres, mais cela reflète bien les incertitudes de certains médecins, qui ont du mal à y croire viscéralement tout en y croyant en théorie... Ce "flottement" est également partagé par beaucoup de personnes vivant avec le VIH  , qui ont du mal à faire totalement confiance au TasP et encore plus par leurs partenaires séronégatifs. Il faudra beaucoup de temps pour effacer cette peur de contaminer et son spectre. Mais l’idée chemine, à chaque rapport d’experts, elle prend de l’ampleur et même si elle est présentée ou ressentie de façon un peu différente selon les chapitres, cela permet aux médecins, infirmier/es, associatifs et personnes vivant avec le VIH   de réfléchir et de se faire leur propre avis sur le TasP, ses conditions à respecter, ses évolutions et ses limites.

Pour ce nouveau rapport, les experts dirigeant les chapitres ont été renouvelés et les chapitres souvent entièrement réécrits, et non plus seulement actualisés, d’où la somme de travail. La plupart des chapitres décrivent les complications ou pathologies éventuelles et détaillent très concrètement le suivi à effectuer, les examens à réaliser et comment traiter les complications, comme par exemple le sevrage du tabac, le suivi rénal et cardio-vasculaire du chapitre "Suivi" ou encore qui, quand et comment traiter les hépatites virales selon leur évolution dans le chapitre "Co-infections". Cet aspect concret et très pratico-pratique sera très utile pour le suivi des patients, dont une partie peut être réalisée par nos médecins traitants s’ils sont volontaires pour une prise en charge partagée avec les spécialistes.

En ce qui concerne ma participation au rapport, je la vois comme un travail d’équipe et j’en accepte les conditions, les bonnes (être écoutée, consultée, etc.) aussi bien que les "mauvaises" (des heures et des heures de réunions, de relecture, des demandes gentiment refusées car trop tôt, pas le bon endroit, manque de données, etc.). L’ambiance était très bonne, le travail parfois dur, mais passionnant et gratifiant, et je garde l’impression positive que nous avons pu faire avancer la prise en charge des personnes vivant avec le VIH   et les hépatites, aussi bien pour les médecins que pour les patients.

L’AVIS DE RENAUD PERSIAUX

Pour cette édition 2013 très attendue, le groupe central d’experts a été largement renouvelé, à commencer par son président. C’est un véritable exploit que d’avoir réussi à diriger et rédiger ce nouveau rapport en quelques mois et avec très peu de moyens (ce travail est bénévole, fait souvent le soir et le week-end). On ne peut que saluer l’important travail effectué et les nombreuses avancées que comporte ce rapport 2013. Mais peut-être aurait on pu aller plus loin sur les aspects d’organisation des soins et de conditons de vie (Renaud Persiaux co-dirigeait le chapitre sur les conditions de vie). Les membres désignés au groupe central sont avant tout des experts de la médecine, et le texte s’en ressent un peu sur ces deux aspects. Certaines des propositions des deux groupes de travail n’ont peut-être pas été suffisamment discutées (faute de temps, mais aussi d’experts des ces domaines au sein du groupe central) et n’ont donc tout simplement pas été retenues. C’est regrettable car il s’agit d’aspects tout aussi cruciaux de la qualité de la prise en charge que les recommandations purement médicales, qui conditionnent la concrétisation de celles-ci sur le terrain.

Par exemple, en matière de prise en charge en ville et organisation des soins, la réflexion autour de la notion de parcours de soin est un premier pas, mais sans doute aurait-il fallu plus de recommandations permettant et suscitant des prises en charge innovantes et adaptées. Je regrette d’ailleurs que la demande inter-associative d’un chapitre dédié aux départements français d’Amérique (DFA) n’ait pu aboutir.

Un autre regret est un discours qui, malgré des avancées certaines, reste parfois peu clair sur la question de traitement comme prévention (TasP). Bien que soulignant que le risque de transmission est inférieur à 1/10 000 pour les rapports vaginaux, le texte insiste parfois sur les incertitudes concernant ce niveau de risque résiduel, en semblant oublier que le risque zéro n’existe jamais en prévention, y compris avec le préservatif, et en prenant peu en compte l’essai clinique randomisé (HPTN 052) qui a montré la sûreté du TasP. Dans leur avis de janvier 2013, les experts anglais disaient clairement qu’en respectant les critères suisses, le TasP pouvait être une méthode aussi efficace que le préservatif, chez les gays comme chez les hétéros. Voilà un message parlant. C’est d’autant plus dommageable qu’est, par ailleurs, soulignée l’importance d’utiliser le TasP comme un levier contre le rejet et l’exclusion des séropositifs (sérophobie  ).

De même pour la Prep   : recommander des programmes pilotes est positif, mais les recommandations pratiques du rapport 2012 sur le sujet ne sont ni reprises, ni actualisées, et il faut souhaiter qu’elles soient largement lues, et se concrétisent.

Autre exemple, les effets de l’infection par le VIH   et des antirétroviraux (notamment les plus anciens) sur les complications de santé des personnes vivant avec le VIH   ne figurent plus parmi les points forts, mais sont englobées dans le concept de "facteurs de risques" qui recouvre aussi le mode de vie. En cas de risque cardio-vasculaire, la recommandation est d’abord d’améliorer l’hygiène de vie, puis de changer les ARV   à risques cardio-vasculaires, alors que nous souhaitions la simultanéité. Il y a un risque de culpabilisation des personnes et un oubli des effets du virus et des traitements.

Enfin, le cannabis thérapeutique n’apparait à aucun endroit, alors que le gouvernement vient de publier un décret d’application d’une directive européenne datant de 2001 qui autorise l’agence du médicament à délivrer des autorisations de mise sur le marché. De même, ne figure pas la possibilité du prélèvement coopératif (possibilité pour des personnes de participer activement aux prises de sang, utile pour les personnes au capital veineux dégradé) alors qu’aucun texte légal ne s’y oppose. Plus globalement, les recommandations sont assez faibles en termes de réduction des risques concernant l’usage de drogues.

Si nos deux voix associatives ne sont que deux voix parmi les 23 du groupe central, le bilan de cette participation est très positive, avec une ambiance très respecteuse et constructive malgré des différences de points de vue. Ce rapport, qui redisons-le, compte de nombreuses avancées, est un élément essentiel de la qualité de la prise en charge en France. Il sera nécessaire de le reconduire dans deux ans.

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