"Moi, Mathieu Bas-Vignons, fils de..." de Mathieu Bénézet

Publié le 26 juillet 2013 sur OSIBouaké.org

OSI Bouaké - 26 juillet 2013 - SD -

Hommage à Mathieu Bénézet, mort le vendredi 12 juillet, à 67 ans, des suites d’un cancer. Né le 7 février 1946 à Perpignan, enfant de l’assistance publique, ayant grandi en famille d’accueil, il fut reconnu dès ses débuts par Louis Aragon, qui préfaça son premier recueil, L’Histoire de la peinture en trois volumes (Gallimard, 1968), affirmant :

« Si une citrouille, une bataille ou une chaise lui passent par la tête, Mathieu, il ne me les fait pas voir, il me fait y croire. »

Mathieu Bénézet était un des poètes les plus talentueux de sa génération et l’auteur de plus de quarante livres.

Il avait reçu en 2011 le Prix de la poésie de l’Académie française pour l’ensemble de son œuvre.


Moi, Mathieu Bas-Vignons, fils de...

Qu’en est-il d’un homme qui, parce qu’il n’a pas eu de parents, n’a pas d’histoire et dès lors ne peut participer à l’Histoire ? Comment aimer quand on n’a pas d’histoire ? Comment conjurer cette douleur ? Et quel soutien une femme peut-elle accorder à un homme qui marche au-dessus du vide ?

Lui, l’enfant de l’Assistance publique, est hanté par le souvenir d’une enfance vosgienne dans une famille d’accueil et par le souvenir d’une statue macabre de la fin du Moyen Age qui, prenant et la vie et l’amour en otage, a donné naissance à une "vocation" de critique d’art… Elle, Béatrice, se rappelle une enfance aux colonies, dans "la chaleur indéchirable" d’Abidjan, et une aïeule polonaise : en équilibre, au bord de son propre gouffre intérieur, elle vacille mais ne tombe pas.

Entre ces deux-là, la rencontre advient sous le signe de la plus extrême précarité tant est incluse dans le moment même de la naissance de l’amour, infiniment ressassée, la menace de la séparation.

Avec ces pages où la tentation le dispute au vertige, et le vertige à l’urgence, Mathieu Bénézet fraye l’improbable chemin qui permet peut-être, malgré la "voiture folle" qui est en chacun de nous, une entrée "dans la phrase de l’humanité".

  • Mathieu Bénézet (1999), "Moi, Mathieu Bas-Vignons, fils de...", Actes Sud Littérature, 1999, 168 p, 15,30€

Je est une autre

Libération - 17 juin 1999 - Par Stéphane Bouquet -

C’est un roman, mais pas vraiment, une sorte de long chant litanique plutôt emmêlant des méditations sur l’art, l’enfance et la mort, une sculpture de Ligier Richier, la femme enfin qui se trouve être aussi la poésie. Un étrange jeu des pronoms dévoile ce statut particulier de l’aimée (qui s’appelle Béatrice, comme chez Dante). Alors que Mathieu Bas-Vignons, le narrateur, décrit ses propres faits et gestes à la seconde personne du singulier (tu es allé chez tel grand critique d’art puis tu as dit ça et tu as fait ci ­ la scène se passe vers 1960), le personnage féminin a droit à la première personne. Un peu comme si, par quel mystère ?, elle était plus près de la vérité du narrateur que lui-même qui colle à la surface de ses gestes. C’est que la femme est comme le langage lyrique de Benézet, elle coule et enfle : « Quand tu me touches entre les jambes et que je me sens plus nue perdant mes sens, perdant mon lait et de la neige, enfoncée dans une fourrure et illimitée dans une douceur interne, presque liquide, presque noyée, presque brume, presque fleuve. »

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