Défis du Millénaire en matière de santé

Publié le 3 juin 2013 sur OSIBouaké.org

Le monde diplomatique - Philippe Rekacewicz - 1 juin 2013 - « Tenir les promesses : unis pour atteindre les Objectifs du millénaire pour le développement [OMD  ]. » C’est le titre, en forme de trompe-l’œil, de la déclaration qui concluait la réunion d’étape de septembre 2010, destinée à évaluer les progrès réalisés dans la poursuite des OMD  . Lancés à l’automne 2000 (1) par l’Assemblée générale de l’Organisation des Nations unies (ONU  ), ces derniers — au nombre de huit — relèvent d’un choix stratégique. En effet, face à l’échec relatif des précédents programmes, il s’agit de suivre un plan d’action sur une période de vingt-cinq ans, c’est-à-dire une génération, pour combattre des fléaux comme la pauvreté, la faim, les inégalités, et améliorer l’accès aux services de santé, à l’eau potable, à l’éducation (2)... Le principe était de fixer des « niveaux de progrès minimum » à atteindre en 2015 par rapport à la situation qui prévalait en 1990.

C’est la première fois que les Nations unies se fixent ainsi une date butoir, ce qui ne manque pas d’un certain courage de la part des concepteurs du projet, par ailleurs parfaitement conscients de l’ampleur de la tâche à accomplir. Sur les huit objectifs, qui comprennent en tout 21 cibles mesurées par 60 indicateurs, trois sont plus ou moins directement liés à la santé : réduire la mortalité infantile (objectif 4), améliorer la santé maternelle (objectif 5) et combattre les pandémies (objectif 6) — VIH  /sida  , paludisme, tuberculose et autres graves maladies.

Après une décennie, les résultats sont plus que mitigés : le rapport d’étape de 2010 (3) montre qu’il subsiste d’énormes disparités, non seulement entre les continents, mais aussi entre les objectifs eux-mêmes, loin de progresser au même rythme. L’Inde et la Chine, par exemple, ont effectué des progrès considérables, alors que l’Afrique subsaharienne stagne ou régresse. En 2015, les pays très dynamiques des continents asiatique ou sud-américain auront vraisemblablement atteint certains des objectifs les plus importants, alors que la plupart des pays africains n’y arriveront pas avant 2020, ou 2025 pour certains, voire 2040 pour d’autres... Des progrès, certes, mais qui, de l’aveu même de l’ONU  , demeurent insuffisants.

Les experts réunis à New York en 2000 avaient pointé deux faiblesses. D’une part, la plupart des cibles — les mêmes pour tous les pays, sans considération des besoins nationaux — étaient irréalistes au regard de la situation économique des Etats les plus pauvres. D’autre part, se posait la question des responsabilités : ce sont les gouvernements qui mettent en place les politiques et gèrent les budgets, mais personne ne sait vraiment à qui ils devront rendre des comptes en cas d’échec... Mortalité maternelle

L’ambition de l’objectif 4 est de réduire des deux tiers la mortalité infantile. Selon les chiffres publiés par le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), celle-ci a baissé d’un tiers entre 1990 et 2010, ce qui n’est pas assez rapide. Dans les pays en développement, elle est passée de 97 pour 1 000 en 1990 à 63 pour 1 000 en 2010, ce qui représente encore une « très forte » mortalité selon les critères onusiens (plus de 40 pour 1 000). Sur environ 70 pays concernés, une dizaine seulement arriveront à la réduire des deux tiers en 2015. Ce n’est pas vraiment une surprise : les études montrent que les enfants de moins de 5 ans vivant en milieu rural et/ou dans des conditions de pauvreté ont beaucoup moins de chances de survivre. Mais c’est aussi le cas des enfants dont les mères sont analphabètes... Ce qui veut dire que l’éducation des mères est un facteur fondamental pour la survie des jeunes, et donc que les objectifs 2 (accès universel à l’éducation) et 4 sont directement liés.

L’objectif 5 — une réduction de 75 % de la mortalité maternelle — est celui qui progresse le plus lentement. Dans de nombreux pays en développement, les services de santé reproductive manquent cruellement de moyens, et des pathologies telles que les hémorragies ou l’hypertension — pourtant totalement évitables — comptent encore pour plus de la moitié des causes de décès pendant la grossesse ou l’accouchement. En 2010, 287 000 femmes sont mortes en donnant la vie, dont 85 % en Afrique subsaharienne et en Asie du Sud. C’est à peu près la moitié du chiffre de 1990 (environ 550 000).

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Un mal planétaire

Le sixième objectif, la lutte contre les pandémies, comporte trois cibles. La première — arrêter la propagation du sida   et inverser la courbe du nombre des personnes infectées — demeure un vœu pieux. Même si l’évolution de la maladie s’est considérablement ralentie, le nombre des personnes vivant avec le virus augmente toujours ; il était en 2010 plus élevé que jamais. L’Afrique subsaharienne, qui ne regroupe pourtant que 12 % de la population mondiale, voit se produire 70 % des nouvelles infections qui ont lieu chaque année. En 2009, environ 17 millions d’enfants ont perdu l’un ou l’autre de leurs parents à cause du sida   ; 15 millions d’entre eux vivent au sud du Sahara...

La deuxième cible, dont la date butoir (fixée à 2010) est dépassée, consistait à permettre l’accès aux antirétroviraux à tous ceux qui en avaient besoin. Malgré la diffusion très rapide des traitements (multipliée par sept entre 2001 et 2010), 6,5 millions de personnes seulement en recevaient un en 2010, alors que le nombre de malades est beaucoup plus important. En 2015, le nombre de personnes infectées et de malades devrait en effet se stabiliser entre 30 et 33 millions. Cela dit, depuis 2005, la généralisation des traitements a permis de réduire très sensiblement la mortalité.

La troisième cible, enfin, concerne la lutte contre la propagation des « grandes endémies », qui oblitèrent le développement des pays les plus pauvres. La carte du paludisme montre d’indéniables progrès ; il est progressivement éradiqué de territoires entiers ou de pays, comme l’Arménie, qui a officiellement déclaré sa disparition en 2011. Les chiffres de l’Organisation mondiale de la santé (OMS  ) montrent que le nombre de cas déclarés a baissé de moitié entre 2000 et 2010 dans une quarantaine de pays sur la centaine où se transmet cette maladie parasitaire. L’Afrique subsaharienne est à nouveau le « continent victime » : en 2010, sur 216 millions de malades déclarés dans le monde, 80 % s’y trouvaient. La même année, sur 655 000 morts dus au paludisme, on en recensait 91 % au sud du Sahara, parmi lesquels 80 % étaient des enfants de moins de 5 ans.

« Donnons-nous à 1 000 % ! »

Des progrès spectaculaires, donc, mais encore une fois insuffisants pour atteindre les objectifs fixés en 2000, sans doute beaucoup trop ambitieux par rapports aux moyens. En 2011, le budget international pour lutter contre le paludisme était de 1,9 milliard de dollars... Bien trop peu par rapport aux 5 ou 6 milliards nécessaires pour l’accès universel aux soins et à la prévention. En outre, avec l’apparition de souches résistantes aux traitements dans un nombre croissant de pays d’Asie du Sud-Est et d’Afrique subsaharienne, et faute de trouver la parade, les progrès réalisés au cours de la décennie 2000-2010 risquent d’être perdus.

En 2010, l’OMS   estimait que 12 millions de personnes étaient atteintes de tuberculose, maladie qui, la même année, en a tué 1,4 million. Cependant, sa propagation pourrait être stoppée en 2015, conformément aux objectifs. En effet, les patients ont de plus en plus facilement accès aux traitements. En 2010, pour la troisième année d’affilée, plus de 85 % des malades avaient été traités et guéris. Mais, comme pour le paludisme, apparaissent des cas de tuberculoses résistantes aux médicaments.

Lors du sommet d’étape de 2010, le secrétaire général de l’ONU  , M. Ban Ki-moon, a annoncé avoir « sécurisé » 40 milliards de dollars (grâce à des engagements venant autant du secteur privé, des agences bilatérales que des Etats) pour financer des programmes jugés prioritaires, comme ceux destinés à améliorer la santé maternelle et infantile. Il annonçait alors vouloir sauver la vie de 16 millions de femmes et d’enfants, éviter 33 millions de grossesses non désirées, protéger 200 millions d’enfants de la pneumonie ou des retards de croissance dus à la malnutrition et faciliter encore l’accès à des services et à des personnels de santé.

Trois ans plus tard, où en est-on dans cet ambitieux programme ? « Il y a sans aucun doute eu des progrès pour ce qui concerne certains objectifs déclarés, a estimé Mme Helen Clark, directrice du PNUD, en ouverture de la conférence annuelle sur les OMD   à Bogotá (Colombie), en février 2013. Mais c’est loin d’être suffisant. Beaucoup trop peu a été fait, en dépit des engagements, pour la réduction de la mortalité maternelle et l’accès universel à la santé reproductive. »

A deux ans de l’échéance, le tableau de suivi des OMD   (4) montre que de nombreuses cibles dans la plupart des régions ne seront pas atteintes. L’ONU   tente de lancer des programmes d’urgence, à l’instar du PNUD, qui a mis en place un « cadre d’accélération des OMD   » (mille jours d’action avant l’échéance), aujourd’hui utilisé par 45 pays et soutenu avec force par M. Ban, qui lançait, le 13 avril 2013, devant des centaines de délégués réunis au quartier général de l’ONU   à New York : « Au cours des mille prochains jours, donnons-nous à 1 000 % ! » Mais, si les institutions et les Etats qui ont promis des contributions exceptionnelles ne respectent pas leurs engagements, ces efforts de mobilisation resteront vains.

Notes :

(1) Résolution A / RES / 55 / 2 (PDF) du 18 septembre 2000.

(2) Les huit objectifs sont 1. éliminer la faim et l’extrême pauvreté ; 2. assurer l’éducation primaire pour tous ; 3. promouvoir l’égalité des sexes ; 4. réduire la mortalité infantile ; 5. améliorer la santé maternelle ; 6. combattre le VIH  -sida  , le paludisme, la tuberculose et les autres maladies ; 7. préserver l’environnement ; 8. mettre en place un partenariat mondial pour le développement.

(3) Rapports 2010, 2011 et 2012 sur les OMD  , ONU  , New York, 15 juin 2010.

(4) Cf. The Post 2015 Development Agenda.

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