Comment la City fait semblant de "découvrir" le pillage des ressources de l’Afrique

Publié le 13 mai 2013 sur OSIBouaké.org

Le Monde.fr | 10.05.2013 • Par Jean-Baptiste Jacquin [1] -

"Cachez ce sein que je ne saurais voir." La célèbre réplique de Tartuffe date de 1664, mais ridiculiser ainsi l’hypocrisie grossière n’a pas empêché de la voir prospérer. L’histoire d’Eurasian Natural Resources Corporation (ENRC) aurait sans aucun doute inspiré Molière, version marchés financiers et matières premières.

La "une" du Financial Times claque, vendredi 10 mai, d’un gros titre : "Le rapport Annan accuse ENRC d’avoir coûté 725 millions de dollars au Congo." De fait, l’Africa Progress Panel (APP), organisation présidée par l’ex-secrétaire général des Nations unies, Kofi Annan, devait rendre public, ce vendredi au Cap devant le World Economic Forum, un rapport détaillé sur la façon dont certains pays africains sont lésés dans la gestion de leurs ressources naturelles. La République démocratique du Congo (RDC) aurait ainsi perdu 1,36 milliard de dollars (1,04 milliard d’euros) à l’occasion de cinq transactions entre 2010 et 2012, selon ce rapport. Des ventes de concessions minières qui, d’après les calculs de l’APP, ont été réalisées en moyenne au sixième de leur véritable valeur. Or, trois de ces cinq opérations ficelées par Dan Gertler, riche homme d’affaires israélien, avaient pour heureux acquéreur ENRC, société de droit britannique cotée à l’honorable Bourse de Londres depuis 2007.

PILLAGE AU CONGO

On découvrirait donc en 2013 que les ressources minières de la RDC sont pillées par des groupes étrangers ! Et qu’ENRC, dont 54 % du capital est détenu par ses trois cofondateurs, des oligarques kazakhs, aurait accumulé ses actifs dans des conditions peu claires ! Il se trouve que Le Monde a conté, en octobre 2010, comment ENRC avait mis la main sur le plus grand gisement de cuivre et de cobalt de RDC, grâce à l’intercession du fameux Dan Gertler, après une rocambolesque expropriation du précédent actionnaire par Kinshasa.

Le mérite du travail de Kofi Annan, après celui de l’ONG anticorruption Global Witness, est de chiffrer pour la première fois l’impact de ce pillage. Quant à ENRC, cela fait plusieurs semaines que l’étau se resserre. Après des années de soupçon de corruption, le bureau britannique de lutte contre la délinquance financière a annoncé, le 25 avril, l’ouverture d’une enquête sur le groupe minier. D’après le quotidien de la City, des limiers s’apprêtent à s’envoler pour la RDC.

Pour ENRC, après la démission en avril d’un président nommé il y a un an pour améliorer la gouvernance et la transparence du groupe, ses principaux actionnaires, aidés par le gouvernement du Kazakhstan, ont fait savoir qu’ils songeaient à racheter les minoritaires pour sortir la société de la Bourse.

L’histoire ne dit pas s’ils veulent se mettre à l’abri des regards indiscrets en prenant au pied de la lettre Tartuffe : "Le scandale du monde est ce qui fait l’offense, et ce n’est pas pécher que pécher en silence."

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[1] jacquin@lemonde.fr