Centrafrique : Bozizé chassé du pouvoir

Publié le 25 mars 2013 sur OSIBouaké.org

Libération - 24 mars 2013 - Par Maria Malagardis -

Les rebelles du Séléka se sont emparés hier de la capitale, Bangui. Le Président est en fuite.

Un Président en fuite, une rébellion qui prend le contrôle de la capitale en quelques heures : une page s’est tournée hier en République centrafricaine. Un pays dont l’histoire sombre régulièrement dans les coups d’Etat sanglants et où, jusqu’à présent, chaque nouveau président (voire empereur, comme Bokassa) s’est illustré par sa corruption et son népotisme.

Qu’adviendra-t-il cette fois ?

Les nouveaux maîtres de Bangui ont promis dans un communiqué publié hier de « faire entrer [leur] cher et beau pays dans le panthéon de l’histoire de l’humanité ». Dans l’immédiat, ce sont les pillages et les coups de feu qui ont marqué hier le changement de règne dans une ville privée d’eau et d’électricité depuis deux jours. Mais l’absence totale de résistance rencontrée par les rebelles ces derniers jours, lors de leur offensive éclair, révèle aussi le peu de soutiens dont disposait le président François Bozizé, lui-même arrivé au pouvoir par un coup d’Etat en 2003, avant de se faire élire et réélire dans des conditions contestables en 2005 et 2011. Ce n’est pas la première fois qu’il était confronté à une rébellion armée. Mais cette fois-ci, son départ (en hélicoptère pour la république démocratique du Congo) semble définitif.

Pourquoi le régime s’est-il effondré si vite ?

L’ex-homme fort de Bangui a mal joué. Déjà confronté à la même coalition de rebelles en décembre, il n’avait été sauvé que par la présence de troupes tchadiennes, qui avaient empêché les rebelles d’atteindre la capitale. Des accords de paix avaient ensuite été négociés à Libreville, au Gabon, le 11 janvier. Un gouvernement de transition avait alors été mis en place. Mais le Président n’a cessé de freiner leur application, repoussant l’intégration des rebelles dans l’armée comme le départ des troupes sud-africaines qui avaient également volé à son secours en décembre. Les prisonniers politiques n’ont pas été libérés et les postes concédés au sein du gouvernement aux opposants de Bozizé étaient doublés par des nominations de proches du Président.

Résultat, dès fin février, les rebelles ont menacé de reprendre les armes. Ce qu’ils ont fait la semaine dernière, après voir retenu en otages cinq ministres (dont certains issus de leurs propres rangs). Lassés de l’obstination d’un président décidément ingérable, les « parrains » régionaux (Tchad et Congo Brazzaville) n’ont pas voulu le secourir. Quant à la France, qui avait déjà refusé de sauver son régime en décembre, malgré la présence d’un contingent français sur place, elle a certes envoyé ce week-end 350 hommes stationnés au Gabon (ce qui porte à 600 le nombre de militaires français sur place), mais elle s’est contentée dimanche de « prendre note » de la fuite de François Bozizé.

Qui sont les rebelles à l’origine du coup d’état ?

Il s’agit d’une coalition très hétéroclite de forces opposées à François Bozizé. Le Séléka, « le partage », est en effet né du mécontentement d’anciens rebelles déçus par la non-application d’accords conclus entre 2007 et 2012, qui prévoyaient leur réinsertion dans l’armée. Le mouvement a pu aussi surfer sur une lassitude croissante face à un régime corrompu et clanique qui n’hésitait pas à emprisonner ou à faire disparaître ses opposants. Apparu en décembre, le Séléka a pris le pays presque sans se battre (mis à part six morts parmi les Sud-Africains, qui ont vite plié bagages par la suite), puisque même la force internationale régionale sur place, la Fomac, l’a laissé passer et qu’il a réussi à contourner « le verrou » de la ville de Damara, tenue par les Tchadiens.

Que va faire le Séléka de sa victoire ?

Le mouvement a annoncé une grande concertation nationale. Mais désormais, « c’est l’heure de vérité pour le Séléka : vont-ils réussir à transformer l’essai de la prise militaire en un mouvement crédible qui ramène la démocratie ? Ou bien vont-ils se déchirer entre eux et produire un nouveau chaos ? » s’interroge Christophe Rigaud, du site Afrikarabia, bien informé sur la région.

Les paris sont donc ouverts, mais deux hommes, et deux factions, semblent prêts pour prendre le pouvoir à Bangui. D’un côté Michel Djotodia, qui serait soutenu par les Tchadiens, a négocié les accords de Libreville et avait été nommé vice-Premier ministre chargé de la Défense dans l’éphémère gouvernement de transition. Face à lui, Nourredine Adam, qui serait le chef d’orchestre de la deuxième offensive militaire, à l’origine de la prise de Bangui.

Les jours qui viennent seront cruciaux. Mais les chefs d’Etat de la région devraient d’ores et déjà retenir la leçon : à force de réprimer l’opposition civile et d’affaiblir sa propre armée par crainte d’un coup d’Etat interne, ces despotes qui s’accrochent à leur trône préparent le terrain à des rébellions armées qui ont raison d’eux.

imprimer

retour au site