Retour sur le festival Etonnants voyageurs à Brazza

Publié le 21 mars 2013 sur OSIBouaké.org

"Quelques germes de rêve", revue de presse d’Antoine Gillot sur France culture

France culture - 20.03.2013 -

L’événement culturel dans la francophonie, mis à part la journée d’aujourd’hui, ça a été l’installation, il y a un mois et pendant 4 jours, du festival Etonnants Voyageurs à Brazzaville. Nombreux étaient les journalistes littéraires français à avoir fait le voyage. Parmi eux, Grégoire Leménager, pour Le Nouvel Observateur. “Elle est congolaise, romancière et n’était pas prévue au programme, relate-t-il. Surtout pas pour l’inauguration du premier festival Etonnants Voyageurs de Brazzaville. Mais ce 14 février, dans un grand auditorium encadré par deux portraits du président Denis Sassou-Nguesso qui font de la réclame « pour une république unie et indivisible », le discours de l’ambassadeur de France venant de succéder à celui d’un représentant de l’Organisation internationale de la Francophonie, on commençait vaguement à s’assoupir quand soudain Gilda Moutsara, 38 ans, grimpe sur scène, attrape le micro sous le nez du ministre de la Culture et réveille tout le monde en plaidant avec véhémence la cause de « 400 familles sinistrées qui dorment dans la cour de la mairie de Makélékélé » depuis les terribles inondations de décembre : « Nous sommes un pays pétrolier, nous avons des richesses. Pourquoi les Congolais souffrent ? J’interpelle ici les autorités ! » Malaise chez les officiels locaux ; tumulte enthousiaste dans le reste de la salle, bourrée de lycéens en uniforme. Le ministre vient de lire quelques mots convenus sur le Congo, « terre de littérature et de meurtrissures », c’est-à-dire de traite négrière. Puis repart furax, convaincu d’avoir été pris au piège d’une « mise en scène » d’Alain Mabanckou. De son côté, le romancier de Black Bazar, codirecteur de la manifestation, assure n’être pour rien dans ce que tous appellent « l’incident ». Ça ne l’empêche pas d’être ravi que son entreprise prenne un tour un peu politique en montrant qu’une parole libre peut et doit être possible au Congo. On le comprend. Question de valeurs et de crédibilité. Car il n’est pas simple d’organiser un si gros événement dans un tel pays : il a beau se décliner dans une dizaine de lieux, de la petite école de peinture de Poto-Poto à l’enceinte accueillante de l’Institut français, l’essentiel des rencontres a lieu pour raisons techniques au Palais des Congrès, riant chef-d’œuvre d’architecture néostalinienne où siège d’ordinaire le Parlement. Voilà des années que Mabanckou tannait Michel Le Bris, capitaine historique du festival fondé à Saint-Malo en 1990, pour en faire bénéficier ses compatriotes. Etonnants Voyageurs s’exportait à Bamako depuis 2001, mais la formule tournait en rond, et le chaos malien imminent imposait d’aller voir ailleurs. Pourquoi pas en Afrique centrale ? L’idée était de faire que Brazzaville soit « la capitale des lettres francophones après avoir été celle de la France libre ». Le doyen des lettres congolaises, le diplomate Henri Lopes a raison de présenter son cadet comme un « enfant prodigue ». Grâce à la logistique impressionnante de l’équipe de Saint-Malo, Mabanckou est revenu chez lui les mains pleines : avec pas loin de 90 auteurs, cinéastes et musiciens issus de plus de 20 pays, des traducteurs pour les écrivains nigérians et sud-africains, des journalistes par dizaines, une quarantaine de membres de France Inter pour des émissions en direct…

Il s’agit de causer de « l’Afrique qui vient », thème un peu fourre-tout de cette première édition. […] Il n’y a pas toujours foule pour écouter [les écrivains] au Palais des Congrès, mais tous reviennent enchantés de leurs rencontres dans les lycées et la fac. Mabanckou a bien fait de citer Cocteau le premier jour : « Un enfant qui ne rêve pas est un monstre. » Avant d’ajouter : « Nous avons voulu déposer quelques germes de rêve. » […]

« Le régime est très content d’avoir ce festival, résume le délicieux Emmanuel Dongala. C’est un événement international, ça lui donne un vernis démocratique. Mais c’est bien qu’il ait lieu quand même. Cette femme, qui s’est adressée directement au ministre, ça n’aurait jamais été possible en temps normal. » Même s’il est parti aux Etats-Unis en 1997, grâce à l’aide de Philip Roth et parce qu’il avait « tout perdu dans la guerre civile », l’auteur de Johnny chien méchant est bien placé pour mesurer le chemin parcouru. Dans les années 1980, les premières du règne de Sassou, son Jazz et vin de palme avait été mis sur « liste noire » : les flics avaient interrogé ses proches, et arrêté un pauvre libraire. Aujourd’hui, il raconte tout cela en détail et en public. Et il rigole bien d’avoir retrouvé dans l’assistance un des fins lettrés qui, à l’époque, indiquait au Parti les livres à censurer. […]

« Ma position est qu’il faut aller au cœur du cratère, explique Michel Le Bris au journaliste du Nouvel Obs. Un comité de parrainage composé d’auteurs comme Le Clézio, Toni Morrison ou Alaa el-Aswany a été unanime pour approuver le choix de Brazzaville. Si on attend que l’Afrique corresponde à une démocratie achevée, on peut attendre. Le deal, c’est qu’on nous fiche une paix royale pour tout ce qui concerne le contenu du festival. Et l’important, c’est que tout ça ait un écho auprès de la jeunesse d’ici. Or de cela je suis sûr. Dans les universités, dans les lycées, ça donne des idées. » […] Le jour de la clôture du festival, on trouvait déjà beaucoup de papiers, sur Internet, rapportant le coup d’éclat d’une certaine Gilda Moutsara”, conclut Grégoire Leménager.

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