Les dangers de certaines substances chimiques se précisent pour l’homme

Publié le 19 mars 2013 sur OSIBouaké.org

Les Echos - Par Paul Molga | 18/03/2013 |

Les scientifiques établissent de plus en plus de corrélations entre l’augmentation de nouvelles pathologies et les perturbateurs endocriniens qui peuplent notre quotidien.

Troubles du système immunitaire chez les phoques, malformations congénitales chez les cervidés, rapetissement du pénis des loutres, changements de sexe des mollusques, amincissement de la coquille d’oeuf des rapaces, déclin des populations d’alligators et de batraciens, apparition de poissons hermaphrodites... Etude après étude, la responsabilité des perturbateurs endocriniens dans le dérèglement du métabolisme de la faune sauvage se rapproche du sommet ultime de la chaîne alimentaire. « Il y a peu de chances qu’on démontre un jour le lien de causalité chez l’homme, vu la complexité des cocktails auxquels nous sommes exposés quotidiennement. Mais le nombre de corrélations troublantes renforce la suspicion de danger de ces substances pour notre espèce », estime le professeur Vincent Laudet, directeur de l’Institut de génomique fonctionnelle de Lyon.

Fin février, l’OMS   n’a toutefois pas hésité à franchir le pas, considérant dans un rapport jugé « historique » que ces substances chimiques qui ont envahi nos vies constituent « une menace mondiale » pour la santé humaine et l’environnement. En décembre, c’est l’épidémiologiste Matthieu Rolland qui avait lancé un pavé dans la mare en publiant dans la revue « Human Reproduction » une étude attribuant « aux facteurs environnementaux, dont les perturbateurs endocriniens », la responsabilité de l’altération de la fertilité masculine. Entre 1989 et 2005, constataient ses travaux, la concentration en spermatozoïdes de la semence des Français a chuté de près de 32 %.

Expliquer les mécanismes

Après deux décennies de recherche, les scientifiques commencent à comprendre les mécanismes d’interférence avec le système hormonal de ces molécules, qui entrent dans la composition de plastiques alimentaires, d’insecticides, de cosmétiques, de produits d’hygiène corporelle, d’appareils électroniques, d’emballages, d’additifs alimentaires et de centaines de milliers d’autres produits de consommation courante. « Ces perturbateurs interagissent avec le fonctionnement des glandes endocrines, soit en imitant l’action d’hormones naturelles comme les oestrogènes ou la testostérone, soit en bloquant leur expression, soit encore en modifiant les concentrations d’hormones naturelles (en agissant sur la synthèse, le transport, le métabolisme et l’excrétion) », explique l’endocrinologue Patrick Balaguer. Installés dans le noyau des cellules, ils déclenchent ou inhibent des programmes normalement lancés par l’ADN, comme la pousse des poils, la mue de la voix, la force musculaire ou, dans les pires scénarios échafaudés par les chercheurs, des patho-logies délétères.

Depuis quelques années, le perturbateur endocrinien le plus étudié, le bisphénol A, est par exemple suspecté d’être impliqué dans un vaste registre d’effets nocifs, désormais bien documenté sur l’animal : obésité, troubles du comportement (hyperactivité, déficit d’attention, anxiété), avancement de l’âge de la puberté des femelles et surtout anomalies congénitales. En 2011, une étude publiée par Vincent Laudet a montré une relation de causalité entre l’exposition à cette substance et des déformations de l’oreille interne aux premiers stades du développement. Une autre étude menée plus récemment sur la contamination de plusieurs grands lacs américains par du polychlorobiphényle (PCB) a montré « de splendides corrélations » entre la consommation de poissons infectés et la baisse du quotient intellectuel des jeunes enfants. « On sait maintenant que certains PCB, parmi une soixantaine observés dans cette étude, agissent sur les récepteurs hormonaux thyroïdiens qui influencent la maturation cérébrale dans les premières semaines après la naissance », expliquent les auteurs.

Au Centre de biochimie structurale de Montpellier, où il est directeur de recherche, William Bourguet a une idée précise de la façon dont les molécules de synthèse interfèrent avec les protéines humaines pour créer des désordres incontrôlables. Il les cristallise, puis les donne en pâture aux substances chimiques qu’il veut étudier et observe aux rayons X ce qui se produit à l’échelle atomique. « Nous obtenons des images très précises en trois dimensions des interactions électrostatiques et des liaisons moléculaires qui s’opèrent », explique-t-il.

Trouver des alternatives

A partir de ces résultats, son équipe a développé un outil bio-informatique capable de prédire les interactions entre les bisphénols et une cinquantaine de récepteurs dits nucléaires, une des cibles privilégiées des perturbateurs endocriniens. Une première étude publiée en septembre dans la revue « PNAS » décrit le mode d’action du bisphénol sur le récepteur des oestrogènes. « Nous passons maintenant en revue les autres principaux perturbateurs, tels que les alkylphénols, les pesticides, les parabènes ou encore les benzophénones, pour établir une base de données structurale des liaisons dangereuses de ces polluants environnementaux. Elle permettra d’orienter la synthèse de nouveaux matériaux de substitution conservant leurs caractéristiques industrielles, mais dénués de propriétés hormonales », indique le chercheur. La mise à disposition de ces résultats devrait également faciliter l’évaluation du caractère perturbateur de l’ensemble des molécules (140.000 composés) visées par la réglementation européenne REACH.

Encadré : Le système endocrinien

Le système endocrinien se compose de glandes comme la thyroïde, les gonades et les glandes surrénales, qui produisent des hormones (thyroxine, oestrogènes, testostérone, adrénaline...). Ces hormones sont des molécules de signalisation qui circulent dans le sang et agissent sur le développement, la croissance, la reproduction et le comportement des êtres vivants. Plusieurs substances chimiques (PCB, phtalates...) sont suspectées d’interférer avec le système endocrinien. Ces interactions, dont le mécanisme fait encore l’objet de recherches, pourraient avoir des effets délétères sur la santé.

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