Oser encore penser contre la guerre, même « juste »

Publié le 7 février 2013 sur OSIBouaké.org

Libération - 24 janvier 2013 - par Pierre Marcelle -

Deux semaines d’engagement guerrier au Mali, donc, et presque autant pour que se dessillent, sinon des opinions publiques par pans entiers, du moins quelques plumes. Citons ici, à titre bienveillant, celle de Daniel Schneidermann, lundi dernier dans sa Médiatiques de Libération. Et rendons hommage au chroniqueur qui, tel l’Auguste Dupin d’Edgar Allan Poe, mit le doigt sur cette évidente Lettre volée. « Quand le président en guerre, écrit Schneidermann, répond froidement à une question qu’il souhaite "détruire" les terroristes, aucun chroniqueur […] ne relève que le verbe est non seulement odieusement néo-bushien, mais stupide [car] on détruit des choses, pas des hommes. » Sauf peut-être à regarder les hommes comme des choses pour précisément légitimer leur destruction, pourrait-on lui objecter, mais là n’est pas l’essentiel. L’essentiel est que, opportunément relevé et souligné, le « détruire, dit-il » de François Hollande aura fait fonction de révélateur.

Comment ça marche, une conscience collective qui se délite ? Toujours de la même immuable façon. Voilà trois jours pleins que je me demande comment nous (et ce nous, vérification faite, est pluriel) avons pu entendre le propos présidentiel, énoncé le 15 janvier à Dubaï (à Dubaï !) sans le stigmatiser illico presto. Même vaguement atténué par la promesse bégayée de « les faire prisonniers, si possible », comme pour rattraper la bavure lexicale, le mot de Hollande à l’encontre des « terroristes » sonna pourtant aussi obscène que ce projet de nettoyage « au Kärcher » de certaine « racaille » de banlieue par Nicolas Sarkozy. Avec, bien évidemment, leur commun environnement de « choc de civilisations »…

Guerre sociale, guerre de religion, guerre civile et guerre tout court, c’est la même, avec pour la nourrir toujours les mêmes ingrédients, les mêmes « raisons », les mêmes prétextes et les mêmes alibis. Jean-Luc Mélenchon, Noël Mamère, Olivier Besancenot, notamment, les ont tour à tour posés sur les plateaux et aux tables des débats, évoquant plus ou moins explicitement au Mali, au Sahel, en Afrique, une histoire du colonialisme, du capitalisme, de l’impérialisme, tous ces mots en isme qui dérangent. Comme si la mention de l’existence de gisements d’uranium ici, comme de pétrole ailleurs, relevait de lubies décidément obsolètes. C’est que cette histoire est longue et ne tient guère le choc face à la brutale réalité des femmes violées et des mains coupées par les barbares djihadistes, histoire courte et lestée de « charia » d’une « urgence » dont il était grand temps qu’on se préoccupât.

On en était là, toute cette semaine au cours de laquelle se prolongea la tétanie d’une opinion qui peine à comprendre les non-dits de l’actualité malienne. C’est par bribes et pointillés que celle-ci s’installe dans un décor propagandiste bien balisé, où de doctes experts disputent encore, mais avec une conviction désormais relative, de fumeux « buts de guerre ». Celui de « reconstruire le Mali » - avec, bien sûr, « le soutien de la communauté internationale »- a il est vrai quelques raisons de laisser sceptique. Pour faire semblant de s’en convaincre, il faudra notamment ne pas être trop attentifs à ces bruits d’« exactions » multiples dans des localités du Nord malien que la presse investit au compte-gouttes, après leur « reconquête »…

Mais les célébrations berlinoises de l’amitié franco-allemande, avec celle du cinquantenaire du traité de l’Elysée, accommodent mal leurs petits fours dans l’odeur des cadavres. Sous la coupole du Bundestag, fut-il seulement question de cette fameuse brigade franco-allemande, brigade d’opérette et cache-sexe de l’impuissance de l’Union européenne en matière de défense ? C’est peu probable… Les têtes étaient ailleurs, et plus sûrement préoccupées de crise européenne que de droits de l’homme africain. Vous savez, celui dont l’armée, au Mali, et même sous la férule du parrain occidental, a du mal à « entrer dans l’histoire », comme disaient en 2007 MM. Guaino et Sarkozy, dans leur misérable discours de Dakar.

Pour l’appui militaire européen, Berlin continuera de faire semblant de le protester, et Paris de faire semblant de l’attendre, comme on attend Godot. En conséquence, de la guerre française au Nord Mali, mieux vaut parler le moins possible, mais sans jamais oublier de relever qu’elle est « juste », puisqu’on ne saurait dire qu’elle « sainte ».

Alors, dans ce désert des Tartares, ne pas manquer l’occasion de s’offusquer de l’image véhiculée par ce troufion français photographié dimanche à Niono porteur d’un foulard à l’effigie macabre d’une tête de mort, ainsi paraît-il que dans le jeu vidéo de guerre Call of Duty. Rien à voir, bien sûr, avec le Zero Dark Thirty de Kathryn Bigelow, depuis mercredi sur vos écrans.

Rien à voir, encore que…

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