« J’avais l’impression qu’elle ne m’aimait pas, qu’elle me défiait »

Publié le 29 janvier 2013 sur OSIBouaké.org

Libération - 24 janvier 2013 - par Ondine Millot -

Verdict ce soir au procès de la mère et du beau-père de Typhaine, tuée en 2009.

Les uns après les autres, ils s’appliquent, essaient de contenir l’émotion, font ce qu’ils peuvent pour décrire une toute petite vie. « Typhaine avait 5 ans, elle mesurait 1,05 mètre. » « C’était une enfant sage, mais taquine aussi, joyeuse. » « Elle aimait les poupées, les puzzles. Son personnage préféré était Dora l’exploratrice. » C’est la présidente de la cour d’assises de Douai qui a insisté : elle voulait que les témoins à la barre « parlent de Typhaine », que l’enfant « existe » autrement que par l’horreur.

Typhaine est morte le 10 juin 2009, sous les coups et tortures de sa mère et de son beau-père, après six mois de supplice. Le dernier soir, ils l’ont frappée à coups de poings, de pieds, de ceinture, de pommeau de douche. Sa mère est allée chausser des baskets « pour que ça fasse plus mal ». Ce soir-là, la petite fille ne voulait pas dormir. « On lui a demandé pourquoi, elle n’a pas voulu répondre, ça nous a exaspérés », dit sa mère.

Depuis le début de la semaine, Anne-Sophie Faucheur, 26 ans, et Nicolas Willot, 27 ans, mère et beau-père de Typhaine, sont jugés pour le meurtre volontaire de l’enfant. Le verdict est attendu ce soir, ils risquent la perpétuité.

Majorettes. Anne-Sophie Faucheur a un physique délicat, jolie, pâle, menue, les cheveux noirs tirés en arrière, le regard fort, soutenu. Son ex-compagnon est plus commun, tête ronde, cheveux ras, cou rentré dans les épaules. Ils se sont rencontrés en avril 2005, alors qu’ils travaillaient au McDonald’s, à Lille. Elle avait 19 ans, lui 20. Elle était déjà en couple avec François, rencontré à 14 ans par l’orchestre de sa troupe de majorettes. A 16 ans, elle est tombée enceinte de sa première fille, Coralie (1). Un an plus tard est née Typhaine.

A Nicolas, Anne-Sophie ne parle pas tout de suite de ses enfants. « Au début, on se voyait pour le sexe. Ensuite, on s’est attachés », raconte-t-elle. En décembre 2005, elle quitte son conjoint et ses filles, part s’installer avec Nicolas à Aulnoye-Aymeries (Nord). Six mois après, elle décide de prendre Coralie, et de laisser Typhaine à François.

Trois ans plus tard, en janvier 2009, alors qu’elle n’a revu Typhaine « que cinq ou six fois », Anne-Sophie Faucheur débarque à son école et l’enlève. « Pourquoi l’avez-vous arrachée ? » lui demande depuis quatre jours la cour d’assises.

Elle n’a pas vraiment de réponse. La décision de « récupérer » Typhaine, elle l’a prise « sur un coup de tête ». La veille, elle avait constaté sur Internet que François, son premier conjoint, avait déménagé avec une nouvelle compagne. Au même moment, son couple avec Nicolas commençait à battre de l’aile.

Anne-Sophie Faucheur a grandi dans une famille de sept enfants, élevée par un père alcoolique qui la battait et une mère « handicapée, effacée ». Aux experts psychiatres, elle a expliqué qu’elle voulait « se sortir de là, refaire une famille parfaite ». Malheureuse avec François, elle a vu en Nicolas, pompier volontaire, titulaire d’un diplôme d’infirmier, l’occasion de tout reprendre à zéro. En 2008, ils ont une petite fille, Amandine, sa troisième. Elle explique qu’elle voulait « offrir à Nicolas la joie d’être papa ». Lui dit qu’il a été « attiré » par la « détresse » d’Anne-Sophie, qu’il voulait « la sauver ». Amandine et Coralie n’ont jamais été maltraitées.

« Pourquoi tout est différent avec Typhaine ? » demande la présidente de la cour d’assises. La petite fille, brutalement arrachée à son père et à sa grand-mère paternelle, triste et apeurée, ne rentre pas dans l’image de « famille idéale » fantasmée. « Elle me regardait avec son visage dur, ses yeux durs, se souvient Anne-Sophie. J’avais l’impression qu’elle ne m’aimait pas, qu’elle me défiait. »

Cave. Les punitions vont crescendo. Humiliations, privations de repas. Nicolas propose d’abord de « rendre la petite ». Puis adhère à la folie d’Anne-Sophie. « Typhaine ne nous répondait pas quand on lui demandait ce qu’elle voulait comme petit déjeuner, dit-il. Pourtant, y avait du choix, tout ce qu’il fallait. Ça nous exaspérait. » Aux silences terrorisés de l’enfant, ils répondent par des coups. Partent en sortie avec Amandine et Coralie en laissant Typhaine seule à la maison. Elle est enfermée à la cave, attachée à la rampe d’escalier. Sa mère répète qu’elle est « mal élevée », qu’elle « ressemble trop à son père ».

« En détruisant Typhaine, Anne-Sophie Faucheur tentait d’anéantir son passé », dit un psychiatre qui l’a examinée. L’enfant est un objet, le symbole de l’échec.

Le policier chargé de l’enquête parle « d’enfant fantôme » : « Typhaine n’allait pas à l’école, personne ne la voyait, une partie de la famille et des amis ne savaient même pas qu’elle existait. » Il y a pourtant ces voisins, qui s’inquiétaient de la voir rester seule à la maison, de sa « mine triste ». Cette dame qui l’a entendue « gémir, cogner contre le mur ». Ces enseignants qui ont vu le « rapt » par sa mère. Ces policiers vers qui François, le père, s’est tourné, et qui n’ont pas signalé au parquet. « On le savait, qu’elle était enfermée », lâche une voisine. Aujourd’hui, les habitants fleurissent la tombe de Typhaine. Ils ont baptisé un square à son prénom.

(1) Les prénoms des sœurs de Typhaine ont été modifiés.


Trente ans de prison pour la mère et le beau-père de Typhaine

Libération - 25 janvier 2013 - AFP -

L’avocat général avait insisté dans son réquisitoire sur la volonté du couple de tuer la petite fille de 5 ans en 2009.

Au nom des « enfants martyrisés », l’avocat général Luc Frémiot avait requis vendredi devant les assises du Nord 30 ans de réclusion contre la mère et le beau-père de Typhaine, jugés pour le meurtre en 2009 de la fillette de 5 ans, qu’ils avaient camouflé en disparition. Anne-Sophie Faucheur et Nicolas Willot, respectivement âgés de 26 et 27 ans, qui ont reconnu des violences répétées à l’encontre de cette enfant devenue leur souffre-douleur mais nient avoir voulu la tuer, encourent la réclusion criminelle à perpétuité au terme du procès entamé lundi. La cour a décidé de les condamner à 30 ans de réclusion criminelle, suivant les réquisitions du parquet.

A la reprise de l’audience, vendredi peu après 9 heures, les membres de la famille du père de Typhaine, parties civiles dans ce procès, serrés au premier rang, avaient tous revêtu un tee-shirt blanc à l’effigie de la fillette. « Cette petite fille avec ses cheveux blonds, son visage rieur (...), ils l’ont cherchée partout, du matin au soir. Comme aujourd’hui, dans cette cour d’assises, on la cherche, mais il y a le silence. On l’a cherchée avec énergie parce qu’une enfant qui disparaît, c’est la vie qui s’arrête », a martelé l’avocat général au début de son réquisitoire de deux heures.

Devenue « enfant invisible » depuis que sa mère l’avait enlevée à sa famille paternelle six mois avant son décès, Typhaine « nous appartient à tous », a déclaré Luc Frémiot. Les « enfants martyrisés », ce « sont tous nos enfants, on a plus de droits sur eux que vous Anne-Sophie Faucheur », a-t-il clamé en regardant l’accusée, qui a gardé les yeux baissés pendant toute la durée du réquisitoire.

Evoquant les nombreux sévices infligés pendant des semaines à la fillette devenue un « pantin disloqué », l’avocat général a dit se trouver « face à de véritables actes de torture », de la part d’un couple dont la volonté de tuer ne fait pas de doute, selon lui. « Oui, l’acte est monstrueux, mais le monstre que vous avez à juger cache aussi un cœur de femme », mère de trois enfants à l’âge de 22 ans qui a eu une enfance violente, a plaidé de son côté l’avocate d’Anne-Sophie Faucheur, Me Blandine Lejeune, en appelant les jurés à prononcer une « sanction forte mais juste ».

« Ce que j’ai fait est impardonnable, c’est pourquoi je ne demande pas pardon aux familles. Typhaine ne méritait pas ça », a déclaré l’accusée, fébrile dans le box, avant que la cour ne se retire pour délibérer en milieu d’après-midi. L’avocat de son ancien concubin, Me Emmanuel Riglaire, avait réclamé à la cour en fin de matinée d’« individualiser » les cas des deux accusés et de se poser cette question : son client est-il « coupable de meurtre » ou « coupable de violences volontaires ayant entraîné la mort » ?

Les jurés devront répondre sur cette dernière qualification, a indiqué la présidente de la cour. Pour l’avocat général, Anne-Sophie Faucheur et Nicolas Willot sont « indissolublement liés » après avoir signé « un pacte maudit pour la souffrance de cette gamine, le bouc émissaire dont il faut se débarrasser ».

« A qui veut-on faire croire qu’une enfant de 5 ans, quand on la prive de manger, quand on la frappe, à qui veut-on faire croire » que la mort n’est « pas inévitable ? », s’était ému l’avocat général. Après avoir été frappée, dans la soirée du 10 ou du 11 juin 2009, a-t-il rappelé, Typhaine avait été placée « sous la douche froide », puis le couple était retourné « devant la télévision ».

« Et dix minutes, un quart d’heure après avoir entendu un râle, vous restez dix minutes devant la télé (...) et il n’y a pas de volonté homicide ? », a accusé l’avocat général. « Vous ne pensez pas que dans ce contexte-là, on se rue sur le téléphone pour appeler les secours (...) ? La volonté homicide, elle est là. On la voit avant, on la voit pendant, on la voit après, on la voit tout le temps », a-t-il conclu.

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