Rwanda : « Les assaillants étaient vêtus d’uniformes congolais »

Publié le 9 décembre 2012 sur OSIBouaké.org

Libération - 6 décembre 2012 - Par Maria Malagardis -

Instrumentalisés par Kinshasa, des nostalgiques du génocide installés au Nord-Kivu ont mené un raid « pro-hutu » de l’autre côté de la frontière.

Au pied du volcan, Beate Mukambarambe fixe avec angoisse l’immense montagne qui domine l’horizon. Il y a huit jours, son fils aîné, Fidèle, a disparu derrière cette masse noire, emmené par des hommes en armes dans leur retraite. « Que vont-ils faire de lui, là-bas ? » s’interroge-t-elle. « Là-bas », là où se dresse le volcan, c’est le Congo. Quelques kilomètres plus bas, Beate, paysanne de 42 ans vit, elle, de l’autre côté de cette frontière instable, au Rwanda. Aujourd’hui, inquiète pour son enfant, elle se sent impuissante face à cette ligne de démarcation invisible.

Depuis avril et l’apparition, côté congolais, du M23, un nouveau mouvement rebelle, la région tourmentée du Kivu a renoué avec la guerre. La communauté internationale et les pays de la région font pression pour ramener la paix au Congo. Mais, alors qu’on attend toujours le début des négociations entre Kinshasa et le M23, le Rwanda a été à son tour la cible d’une violence qui, en réalité, n’a jamais connu de frontières. A deux reprises, le 27 novembre et le 2 décembre, des attaques meurtrières ont ainsi frappé le petit pays voisin de l’immense Congo, réveillant de vieilles hantises et de mauvais souvenirs.

Pâturages. « Ici, on a subi des attaques dans le passé, mais depuis dix ans, on pensait être en sécurité », souligne ainsi Athanase Sibomana, le chef du village où vit Beate. Tout autour d’eux, de verts pâturages et des arbres fruitiers s’étendent jusqu’au pied du volcan. C’est une région fertile, mais isolée. Pour rejoindre Muti, dans le secteur de Cyanzarwe, il faut emprunter une piste cahoteuse qui serpente longtemps au milieu des collines d’un vert vif.

Ce fameux mardi 27 novembre, une centaine d’hommes armés ont surgi avant l’aube des contreforts de la montagne. Ils ont tenté de prendre d’assaut une position de l’armée rwandaise. Une simple cahute en réalité, défendue par une poignée de militaires, « mais c’est un emplacement stratégique », assure le chef du village. Après quelques intenses échanges de tirs, les hommes armés ont finalement rebroussé chemin, emmenant de force avec eux six villageois. Parmi eux, le fils de Beate. Le seul à avoir été relâché est un adolescent de 15 ans : le jeune Uwihaye, qui gardait les vaches au moment de l’attaque. Encore terrorisé, le garçon est formel : « Ils m’ont parlé, ce sont des FDLR ! ». Les Forces démocratiques de libération du Rwanda sont, à l’origine, un mouvement créé par des exilés rwandais qui ont fui au Congo après le génocide de 1994. Leur chef militaire est un ancien membre de cette garde présidentielle rwandaise qui avait mené les massacres contre la minorité tutsie.

La présence des nostalgiques du génocide à la frontière congolaise est à l’origine des malheurs du Kivu. Ils ont été les premiers à distiller les ferments de la haine, engendrant un cycle de violences sans fin. L’émergence du M23 n’en est que le dernier avatar. Mais ce sont les FDLR qui sont le véritable thermomètre des relations entre le Congo et le Rwanda. Quand les deux pays s’entendent, ils les combattent ensemble. Quand ils sont en conflit, comme c’est le cas actuellement, les alliances basculent.

« Reconquête ». A Muti, les villageois l’assurent : « Les assaillants portaient tous des uniformes de l’armée congolaise. » C’est ce que confirme le caporal Martin Girukwayo. Cet homme frêle a fait partie de l’attaque, mais il a été blessé et capturé par l’armée rwandaise. « En mai, nos chefs nous ont dit que l’heure de la reconquête était venue », raconte-t-il, sur un lit d’hôpital, d’une voix éteinte. Le mois de mai ? C’est précisément, le moment où le M23 part en guerre contre le pouvoir congolais. « En juin, poursuit-il, des militaires congolais sont venus nous vendre des uniformes et des armes. Nous sommes partis début novembre nous cacher au pied du volcan, prêts pour l’offensive. Nos chefs nous assuraient que notre peuple serait avec nous. »

Mais que valent aujourd’hui les slogans de ces soldats perdus, en exil depuis près de vingt ans ? Le village attaqué à Rubavu est peuplé surtout de Hutus, ce fameux « peuple » que les FDLR prétendent « sauver »… « Après tant d’années de vie misérable dans la forêt, j’ai décidé de rentrer dans ma chère patrie », confie pour sa part le capitaine Munyemana, au centre de réhabilitation de Mutobo. A deux heures de route du village de Muti, ce centre a accueilli, depuis 2002, plus de 9 000 anciens combattants FDLR qui ont accepté de rendre les armes.

Ce jour-là, une cérémonie y est organisée pour des diplomates occidentaux en visite. Un expert néerlandais explique que « le vrai problème du Kivu, c’est l’absence d’Etat au Congo, qui favorise la prolifération des groupes armés ».Un peu plus tard, émus par les récits des anciens combattants, certains d’entre eux se joignent aux soldats qui dansent. Parmi eux, l’ambassadrice des Pays-Bas se déhanche avec enthousiasme. Son pays fait partie de ceux qui ont suspendu l’aide au Rwanda, accusé par un rapport de l’ONU   de soutenir le M23. En revanche, la communauté internationale n’a pas condamné l’attaque de Muti. Au pied du volcan, une femme attend pourtant le retour de son fils.

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