Tuerie de Marikana : nombreuses questions, (encore) peu de réponses

Publié le 31 août 2012 sur OSIBouaké.org

Blog Le Monde - 27 août 2012, par Sébastien Hervieu -

En utilisant les images de trois caméras, cette vidéo tente de comprendre ce qui s’est réellement passé quand la police a tiré à balles réelle sur les mineurs grévistes

Après avoir pleuré ses morts toute la semaine, l’Afrique du Sud va désormais poursuivre sa quête de réponses à la suite de la tuerie de Marikana. Jeudi dernier, le président Jacob Zuma a défini les contours et les objectifs de la commission d’enquête chargée de faire toute la lumière sur le drame.

Comme souvent, une lecture en noir et blanc de la tragédie doit être proscrite. Même si chaque acteur se rejette pour l’instant la faute, les responsabilités sont très largement partagées. Voici une liste de questions dont les réponses préciseront le rôle de chacun.

La police

Les policiers ont-ils riposté (légitime défense) ? paniqué (manque de formation) ? délibérément tué (ordre de mission caché) ? Un peu de tout cela ? Est-ce le bruit d’un tir provenant d’un autre groupe de policiers présent sur le côté qui a déclenché la réaction meurtrière des policiers sur les grévistes ?

Pourquoi ont-ils tiré à balles réelles ? Depuis la fin de l’année dernière, cet usage semblait pourtant avoir été interdit pour ce type d’opérations de maintien de l’ordre. Qui a donné l’ordre ?

Que s’est-il passé après ce premier bain de sang filmé par les caméras (une dizaine de cadavres au sol) ? Pourquoi a-t-on continué à entendre au loin pendant presque une demi-heure des coups de feu retentissant dans différentes directions ?

Certains témoins évoquent un "second massacre" hors de la vue des journalistes présents sur place. Les premières autopsies révéleraient aussi des tirs dans le dos d’une partie des 34 mineurs grévistes morts. Tués lorsqu’ils essayaient de fuir les premiers tirs de la police ou assassinés froidement plus tard ?

Les policiers voulaient-ils se venger de la mort des deux collègues tués par des grévistes quelques jours avant le fameux jeudi 16 août ? Des photos de leurs corps atrocement mutilés auraient largement circulé sur les téléphones portables des forces de l’ordre.

Est-ce pour cela que des policiers auraient ensuite "torturé" dans les cellules des mineurs grévistes interpellés ? Pour retrouver coûte que coûte les leaders de la grève et les responsables de ces deux meurtres ?

Six armes à feu ont été retrouvées chez les 259 grévistes interpellés. Certains avocats mettent déjà en doute l’origine de ces armes. Ont-elles été placées par la police elle-même pour justifier la thèse d’une riposte face à des grévistes ayant tiré les premiers ?

Les grévistes

Mineurs grévistes à Marikana (©Siphiwe Sibeko-Reuters)Que faisaient ces machettes, ces gourdins, ces barres de fers dans leurs mains ? Sur cette colline, les brandissaient-ils au nom de la tradition comme cela se fait dans la province d’origine d’une majorité des mineurs ? Ou ces armes révélaient-elles une volonté délibérée de tuer ? Une partie d’entre elles étaient, selon des témoins, flambantes neuves.

En avançant rapidement vers les policiers, les grévistes ont-ils voulu les attaquer ou fuyaient-ils les bouffées de gaz lacrymogène tout juste diffusé ? Ont-ils tiré les premiers ?

Un sangoma (ou muti) était-il présent sur la colline où s’étaient installés les grévistes ? Ce soigneur traditionnel a-t-il convaincu les mineurs qu’ils deviendraient "invincibles" face aux balles des policiers ? Qui l’aurait fait venir ?

Qui composait ce groupe de 3 000 mineurs grévistes ? Certaines sources indiquent la présence de mineurs qui avaient été licenciés l’an dernier par Lonmin, ainsi que des "éléments criminels".

Combien gagnent-ils réellement ? La plupart des grévistes annonçait aux journalistes un salaire de "400 euros", mais c’est beaucoup plus. Il y a aussi l’allocation logement, la prime de vacances, des bonus divers, les cotisations pour leur sécurité sociale et la retraite. Résultat : un coût de près de 1 000 euros pour l’employeur dont près de 750 euros arrive chaque mois dans la poche du mineur. Les grévistes exigent un salaire de 1 250 euros, "net" selon certains d’entre eux.

Des experts rappelaient aussi qu’un mineur en Afrique du Sud est relativement "bien payé" si on compare son salaire à ceux d’autres professions (construction, agriculture, etc). Autre rappel : 40% des Sud-Africains vivent avec moins de 40 euros par mois.

Mais est-ce tout de même suffisant au regard de leurs difficiles conditions de travail ? A noter aussi que plus du tiers des mineurs sont des intérimaires et ne bénéficient pas forcément de tous ces avantages.

Enfin, ces mineurs "préfèrent"-ils vivre au quotidien dans des cabanes en tôle pour envoyer un maximum d’argent chaque mois à leurs familles restées vivre près de la côte ?

Les syndicats

AMCU, syndicat minoritaire mais à l’origine de la grève, a-t-il réellement essayé de négocier avec la compagnie Lonmin ou a-t-il délibérément joué la carte de l’affrontement pour accroître sa notoriété dans la ceinture de platine sud-africaine et dans le pays ?

A-t-il encouragé, voire ordonné, les meurtres de non-grévistes et de membres du syndicat, NUM ? Avant le jeudi 16 août, dix personnes avaient déjà été tuées.

NUM, le syndicat majoritaire mais déclinant dans la mine, a-t-il laissé pourrir la situation pour dénoncer l’irresponsabilité de ses adversaires syndicaux ?

Lors des précédentes négociations salariales avec Lonmin, a-t-il sacrifié ses adhérents les moins bien payés (les foreurs représentaient la plupart des grévistes) pour avantager ses adhérents en col blanc ? Y-a-t-il des ententes avec Lonmin ?

Comment NUM peut-il défendre ses adhérents en Afrique du Sud tout en investissant dans des projets, main dans la main avec des compagnies minières ?

La compagnie minière

Pourquoi, avant la tuerie, Lonmin n’a-t-il jamais accepté d’ouvrir des discussions avec les mineurs grévistes ? Officiellement, le syndicat AMCU ne peut pas être reconnu par la compagnie, mais n’aurait-il pas fallu entamer un dialogue informel pour tenter de débloquer la situation avant qu’elle devienne incontrôlable ?

A-t-elle préféré jouer un syndicat contre l’autre afin d’affaiblir NUM, le syndicat majoritaire au sein de la compagnie minière ?

Que fait réellement Lonmin pour participer au développement des communautés qui vivent à proximité de la mine ? Une étude récente l’accusait d’exploitation et d’affichage en matière de projets liés à sa responsabilité sociale d’entreprise.

Le gouvernement

Avant la tuerie, le président Jacob Zuma avait-t-il donné l’ordre aux policiers de faire "tout ce qui était possible" pour mettre fin à cette grève ? Pourquoi le gouvernement ne s’est-il pas impliqué dans la résolution du conflit avant que le drame ait lieu ?

L’ANC a-t-il préféré soutenir son allié stratégique, NUM, sur le dos des salariés grévistes ? Lonmin a-t-il déjà versé de l’argent pour les campagnes électorales de l’ANC ? Lonmin a-t-il fait pression sur le gouvernement pour que la police intervienne rapidement et que sa production puisse reprendre ?

Quel rôle a joué Cyril Ramaphosa, autrefois à la tête de NUM, haute personnalité de l’ANC, aujourd’hui riche businessman et membre du conseil d’administration de la compagnie ?

En appelant les grévistes de Lonmin à de nouvelles batailles où il faudra peut-être "mourir", Julius Malema, exclu en début d’année de l’ANC, n’alimente-il pas les risques d’une propagation de la violence ?

L’absence de la police et de services publics dans les bidonvilles qui ont surgi auprès des mines de la région n’a-t-il pas créé les conditions d’une révolte violente "contre l’injustice et les inégalités" ?

Que vont faire les autorités pour éviter que ce drame ne se reproduise ?


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