De vastes réserves d’eau douce sous le sol africain

Publié le 15 août 2012 sur OSIBouaké.org

Le Monde | 10.08.2012 | Par Sébastien Hervieu (Johannesburg, correspondance)

Il aura fallu plus de cinq ans à Martin Quinger et à son équipe germano-namibienne d’hydrogéologues pour reconstituer ce "puzzle géant", long de 75 kilomètres et large de 40 km.

"Lorsque, fin 2006, nous sommes tombés sur les premiers indices d’un aquifère situé à 300 mètres sous terre, jamais nous n’aurions pensé qu’il se révélerait si vaste !", se souvient le responsable du projet de l’Institut fédéral allemand de géoscience et de ressources naturelles (BGR).

Après avoir effectué une vingtaine de forages et utilisé l’imagerie électromagnétique, ce scientifique a pu enfin révéler, fin juillet, l’étonnante découverte : Ohangwena et Oshana, les régions si sèches du centre-nord de la Namibie, ce pays d’Afrique australe bordé par l’océan Atlantique, disposent d’un sous-sol gorgé d’eau.

"Au bas mot, 5 milliards de mètres cubes d’eau, mais peut-être jusqu’à trois fois plus, estime M. Quinger. Il ne s’agit pas d’un immense lac souterrain, mais d’une couche de roche qui est saturée d’eau."

Depuis une montagne angolaise située de l’autre côté de la frontière, à près de 350 km, l’eau de pluie s’est écoulée puis infiltrée lentement au fil des siècles à travers le sable et les microfissures de la roche. Stoppée par une couche imperméable, elle s’est alors mise à remplir petit à petit les moindres recoins du sous-sol, formant ainsi un réservoir.

Cette découverte pourrait changer la vie des 800 000 Namibiens (40 % de la population) qui habitent ces régions très pauvres. L’extraction de cette eau pure datant de 10 000 ans viendrait remplacer le liquide saumâtre acheminé par un vieux canal et limiterait la propagation des maladies.

Le bétail serait mieux abreuvé et le développement de l’irrigation des cultures favoriserait la sécurité alimentaire tout en ralentissant l’exode rural.

Les quelques milliers d’Himba, un peuple de la région, pourraient aussi réclamer l’abandon, une fois pour toutes, d’un projet de barrage près des chutes d’eau d’Epupa qui risque d’inonder les terres sur lesquelles ont été enterrés leurs ancêtres.

DES SOURCES SOUTERRAINES QUI PEUVENT SE RENOUVELER

A l’échelle du continent, la découverte namibienne fait écho à la publication, en avril, des premières cartes répertoriant l’ensemble des réserves d’eaux souterraines. Selon les chercheurs de l’Institut d’études géologiques britannique (BGS), le volume total des aquifères présents dans le sous-sol africain (660 000 km3) est cent fois supérieur à la quantité d’eau tombant en surface chaque année, et représente vingt fois le volume d’eau douce présente dans tous les lacs africains.

"Les hydrogéologues se doutaient qu’il y avait beaucoup d’eau encore largement inexploitée sous terre, commente Alan Mac Donald, responsable de l’étude. Mais il fallait la rendre "visible", notamment pour faire prendre conscience aux gouvernements et aux organisations humanitaires qu’il y a aussi cette solution pour les 300 millions d’Africains qui n’ont toujours pas d’accès à l’eau potable."

Même si cet or bleu est inégalement réparti sur le continent (la Libye, l’Algérie, l’Egypte et le Soudan sont les pays les mieux pourvus), la grande majorité des Africains peut avoir accès à des nappes plus petites grâce à l’installation de pompes manuelles.

Ces aquifères seront à l’avenir des atouts pour lutter contre les effets du changement climatique, souligne M. Mac Donald : "L’eau souterraine résistera plus facilement à une succession de sécheresses en surface."

Contrairement aux aquifères présents sous le désert du Sahara, qui renferment de l’eau fossile, la majorité des sources souterraines de l’Afrique peuvent se renouveler, à un rythme plus ou moins rapide selon le degré de perméabilité des sols.

Comme son collègue britannique, M. Quinger met toutefois en garde contre les risques d’épuisement des nappes. "L’aquifère namibien pourrait alimenter les besoins actuels de la population pendant quatre siècles, mais techniquement, il sera difficile d’extraire plus de 30 % de cette eau, juge-t-il. Et le niveau de pompage doit être fonction du taux de remplissage du sous-sol, car il faut assurer un développement durable."

PAS DE "SOLUTION MIRACLE"

Dans certains pays africains, l’exploitation commerciale des eaux souterraines pour développer des projets d’irrigation agricole (pompage de plus de cinq litres par seconde) n’est donc "pas recommandée", selon les chercheurs britanniques. L’un des risques serait une déstabilisation de l’écosystème local à cause de l’assèchement des terres en surface.

Même pour une utilisation à plus petite échelle, ajoutent les scientifiques, les eaux souterraines ne sont pas forcément une "solution miracle", à cause de leur coût d’extraction qui varie en fonction de la profondeur des sources.

"Au Zimbabwe, il faut débourser entre 4 000 et 5 000 dollars [entre 3 200 et 4 000 euros] pour installer une pompe à main qui alimentera 500 habitants", explique, depuis la capitale Harare, Richard Owen, responsable du Réseau africain des eaux souterraines (AWG-Net). Environ 30 % des puits en Afrique ne sont plus opérationnels, faute de financement pour les maintenir en état. Mieux récolter et stocker l’eau de pluie demeure ainsi une alternative plus intéressante pour de nombreux experts.

Le continent manque également d’hydrogéologues. Ceux-ci permettent de repérer les meilleurs endroits pour forer et de recommander les bonnes pratiques. "Si l’on creuse n’importe comment, il y a un risque de contaminer l’aquifère namibien avec l’eau salée contenue dans un aquifère plus petit situé juste au-dessus", met en garde M. Quinger.

Le chercheur allemand craint aussi les forages sauvages. "On a mené une campagne de sensibilisation auprès de la population, rapporte-t-il. Les chefs traditionnels connaissent la valeur de cette eau et sauront la protéger."

Comme de plus en plus de gouvernements africains, les autorités namibiennes pourraient, d’ici à la fin de l’année, faire entrer en vigueur une nouvelle législation sur l’eau. Des permis instaurant des contraintes environnementales seraient alors exigés pour forer dans la zone devenue protégée.

Mais l’absence de moyens pour contrôler ce grand pays inquiète, tout comme la demande croissante en eau de l’industrie minière. Il y a deux ans, le groupe français Areva a inauguré la première usine de dessalement d’eau de mer de Namibie pour alimenter sa mine d’uranium.

Découvert le long de la frontière, l’aquifère namibien pourrait se prolonger chez le voisin angolais. "Il est même peut-être encore plus vaste de l’autre côté !", imagine Martin Quinger. Ce cas n’est pas unique. Une quarantaine d’aquifères transfrontaliers ont été identifiés en Afrique. Autant de sources de tensions potentielles autour d’une ressource de plus en plus stratégique.

Encadré : L’accès à l’eau potable progresse, avec de fortes disparités

- Eau potable : Fin 2010, selon les chiffres publiés en mars dans un rapport conjoint de l’Unicef et de l’Organisation mondiale de la santé (OMS  ), près de 89 % de la population mondiale (6,1 milliards de personnes) bénéficiaient d’un accès à l’eau potable. Un résultat supérieur d’un point à la cible des Objectifs du millénaire pour le développement (88 % en 2015).

- Disparités : Seuls 61 % des habitants de l’Afrique subsaharienne ont accès à des sources d’eau consommable grâce à la construction d’infrastructures de raccordement à un réseau de distribution ou de puits. Ce pourcentage grimpe à 90 % ou plus en Amérique latine, dans les Caraïbes, en Afrique du Nord et dans une grande partie de l’Asie.

- Inégalités : Dans les régions rurales des pays les moins avancés (PMA  ), 97 % des gens n’ont pas accès à un approvisionnement en eau par canalisation ; 14 % de la population boit de l’eau de surface, provenant, par exemple, des rivières, des étangs ou des lacs.

Encadré : Les aquifères mondiaux largement surexploités

Quelque 1,7 milliard de personnes, soit le quart de la population mondiale, vivent dans des régions où les réserves d’eau souterraine sont menacées par la surexploitation, selon une étude canado-néerlandaise publiée, jeudi 9 août, dans la revue Nature. "Les hommes surexploitent l’eau de beaucoup de grands aquifères cruciaux pour l’agriculture, spécialement en Asie et en Amérique du Nord", écrivent les chercheurs.

Ces excès ne concernent que 20 % des nappes mondiales, mais la pression exercée sur celles-ci est considérable. C’est notamment le cas du bassin sud-caspien en Iran, du bassin supérieur du Gange et du bassin inférieur de l’Indus en Inde, du nord et du sud de l’Arabie saoudite, du delta du Nil en Egypte, ou de l’ouest du Mexique.

Les réserves aquifères sont également surexploitées, mais à un moindre degré, dans les grandes plaines d’Amérique du Nord, le bassin du Danube et les plaines du nord de la Chine.

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