Le Sida bat en retraite

Publié le 24 juillet 2012 sur OSIBouaké.org

Le Monde.fr - 23.07.2012 - L’Union africaine prend l’initiative de transformer la riposte au Sida   à travers la responsabilité partagée et la solidarité au niveau mondial. Lors de son sommet qui s’est tenu il y a très peu de temps en Ethiopie , elle a dévoilé une "feuille de route" planifiant la mise en place de ce nouveau paradigme.

L’espoir est permis, en ce moment où, le monde entier scrute les progrès de la riposte à l’épidémie. Des dirigeants de ce monde ont récemment évoqué le début de la fin du Sida  . Dans la plupart des pays africains, des récits témoignent de nombreuses vies sauvées, de la diminution du nombre de nouvelles infections à VIH   et de la réduction du taux de mortalité lié au Sida  . En effet, depuis une décennie, dans 22 pays du continent, on note que le nombre annuel de nouvelles infections a été réduit de plus de 25 % pendant que plus de six millions d’Africains reçoivent un traitement antirétroviral, alors qu’ils n’étaient que 50 000 malades traités il y a dix ans.

Odile fait partie de ces six millions de personnes traitées. Son histoire illustre parfaitement la raison d’être d’une "feuille de route". Elle vit avec ses quatre enfants à Cotonou, la capitale du Bénin, et a découvert sa séropositivité en 1997, suite à un test. Après la mort de son premier mari un an plus tard elle craignait pour sa vie. Mais fort heureusement, elle fait partie de cette minorité qui a eu la chance de pouvoir bénéficier d’un traitement par les antirétroviraux (ARV  ). Depuis, elle s’est remariée et a donné naissance à une petite fille née indemne du VIH  , et cela grâce à une intervention médicale simple, la prise d’ARV  . Comme le dit Odile, le traitement lui a fait le cadeau de l’espoir, de la volonté de vivre, de la santé et du courage de prendre soin de ses enfants. Elle est fière d’eux, qui n’ont pas honte du statut de leur maman vivant avec le virus, et place beaucoup d’espoir dans leur avenir comme dans le sien.

Les progrès historiques de la riposte au Sida   reflètent les progrès constatés à travers le continent Africain. La forte croissance économique des pays du continent est alimentée par des réformes politiques avisées et des progrès réels sur le plan de la paix et de la sécurité. La dépendance à l’égard de l’aide baisse à mesure que les recettes intérieures générées par la croissance augmentent – un tiers des pays africains au moins reçoivent une aide qui équivaut à moins de 10 % de leurs recettes fiscales. Ces transformations conjuguées ont favorisé le démarrage d’un cycle de croissance intérieure dynamique et durable.

La croissance et la stabilité ont fait sortir des millions d’Africains de la pauvreté au cours de ces dix dernières années. Cette décennie a également été marquée par une baisse substantielle de la mortalité post-infantile, une hausse de la scolarisation dans les écoles primaires et un accès accru à l’eau potable.

Cependant il ne faut pas se reposer sur les acquis ni espérer que les bonnes recettes du passé restent efficaces dans un monde qui change vite. Chaque jour, 3 500 Africains meurent du Sida   faute de soins. Actuellement, 5 millions d’Africains vivant avec le VIH   sont en attente du traitement indispensable à leur survie. Et si, dans les pays du Nord, aucun nourrisson ou presque ne contracte le VIH  , 300 000 enfants naissent avec le virus chaque année en Afrique, dont un sur trois mourra avant d’atteindre l’âge d’un an. Il s’agit là d’une grave injustice sociale que nous refusons tout simplement de cautionner.

À l’heure où nous évaluons le travail considérable qui reste à accomplir pour en finir avec l’épidémie, nous devons chercher des solutions durables. La riposte au Sida   est un investissement à long terme car des millions d’Africains auront besoin toute leur vie d’un accès aux programmes de prévention et au traitement du VIH  . C’est un investissement fructueux à travers l’augmentation de la productivité, la baisse des couts de prise en charge de frais de santé et d’orphelinat, et la restauration de la dignité et de l’espoir. Dans ce contexte, il faut répondre au problème de la dépendance excessive de l’Afrique en matière de riposte au Sida  , notamment en ce qui concerne les investissements, les médicaments et les solutions extérieures : plus de 80 % des dépenses liées au traitement proviennent de sources internationales, et le pourcentage est le même pour les médicaments importés vers l’Afrique.

Les relations traditionnelles entre donateur et bénéficiaire sont aussi obsolètes que le colonialisme. Avec la montée en puissance de l’Afrique, les économies émergentes qui deviennent des partenaires stratégiques en matière de développement, la crise économique qui perdure et les limites visibles des approches du développement qui ne sont pas centrées sur le leadership national, le monde est devenu plus complexe et les exigences de justice sociale se font plus vives. Le temps du changement est venu. La responsabilité partagée et la solidarité mondiale supposent d’admettre que tous les pays ont des responsabilités différenciées pour tenir leurs engagements à l’égard des personnes vivant ou affectées par le virus. Les gouvernements et la société civile doivent faire preuve de leadership et de vision politique en définissant collectivement comment ils conduiront leur riposte et en demandant aux partenaires du développement d’appuyer cette vision. Les partenaires et les pays partagent la responsabilité de trouver ensemble les financements manquants pour lutter contre le VIH  , en investissant, chacun sa " juste part " dans le cadre d’une transition harmonieuse. Enfin, il incombe à toutes les parties prenantes de s’assurer que les ressources sont investies de façon à garantir des résultats maximaux, dans le respect des droits humains et de l’égalité des sexes. Ces actions sont essentielles pour orienter les réponses sanitaires de l’Afrique conformément au cadre de développement pour l’après—2015.

La responsabilité partagée et la solidarité mondiale seront des points prioritaires à l’ordre du jour du prochain sommet de l’Union africaine à Addis-Abeba – avec l’appui de notre nouvelle feuille de route vers 2015. Celle-ci vise à exploiter pleinement les ressources, l’activisme et l’élan en faveur de la riposte au Sida   à travers une série de solutions africaines pratiques comme l’élaboration d’un modèle de financement de la santé plus durable, un meilleur accès aux médicaments grâce à la production locale et à l’intégration des marchés régionaux ou encore la promotion d’une gouvernance plus efficace et plus équitable du secteur de la santé. Nous invitons tous les leaders africains à adhérer à cette " feuille de route " pour que les enfants d’Odile, ainsi que toutes les générations futures, puissent grandir dans un monde sans Sida  . Un monde qui aura été transformé par les innovations, l’humanité et la ténacité de la réponse à cette l’épidémie.

Yayi Boni, président du Bénin et en exercice de l’Union africaine, Michel Sidibé, directeur exécutif du Programme commun de l’ONU   sur le VIH  /Sida  .

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