Sortons du placard !

Publié le 30 juin 2012 sur OSIBouaké.org

Le Monde - 29 Juin 2012 - "Come out, wherever you are", scandait dans les années 1970 le militant américain Harvey Milk pour inciter les homosexuel-le-s au coming out (la révélation de l’homosexualité). Cet appel vaut toujours, pour n’importe qui d’entre nous, dans notre famille, notre entourage, notre travail.

Mais surtout pour celles et ceux qui, parce qu’ils occupent des postes en vue, ont accès à la parole publique. Qu’ils/elles le veuillent ou non, ils/elles constituent des exemples... mais sont encore bien trop nombreux à rester silencieux.

Samedi, des centaines de milliers de personnes défileront pour la Gaypride à Paris. La marche annuelle donnera lieu à des reportages dans les journaux télévisés, elle sera aussi l’occasion de rappeler à nos nouveaux élu-e-s leurs promesses de mariage et d’adoption pour les couples de même sexe. L’espace d’une journée, les lesbiennes, gays, bisexuel-le-s et transexuel-le-s (LGBT) seront à la fête, partout, bien visibles. Et pourtant...

Puisque nous sommes si nombreux, pourquoi si peu de gays et de lesbiennes connu-e-s parmi les journalistes, les présentatrices et présentateurs de télévision, les actrices et les acteurs, les dirigeantes et les dirigeants d’entreprises privées ou d’institutions publiques, les sportifs, les responsables syndicaux et patronaux, les élu-e-s ?

Sur plus de 900 parlementaires, seuls trois, Frank Riester, Roger Karoutchi (UMP) et Corinne Bouchoux (Europe Ecologie-Les Verts), ont affiché publiquement leur orientation sexuelle. Seraient-ils tous et toutes hétérosexuel-le-s ? Evidemment non. La très grande majorité continue de ne rien dire, au nom d’un prétendu droit à l’indifférence. Quand les journalistes leur posent - rarement - la question, ils préfèrent esquiver.

Par crainte de poursuites ou par autocensure, les médias continuent de parler de tel PDG comme d’un "célibataire endurci" ou d’insister sur le fait que telle actrice en vue "protège jalousement sa vie privée". Ces tournures hypocrites parlent immédiatement aux initié-e-s mais restent obscures pour le plus grand nombre.

Quand le directeur de l’Institut d’études politiques Richard Descoings est mort le 3 avril, son homosexualité a été évoquée avec une extrême prudence comme s’il s’agissait d’une odieuse intrusion dans la vie privée, l’expression d’une insupportable tyrannie de la transparence.

Aujourd’hui, il est encore bien difficile de nommer les choses, comme si dire publiquement de quelqu’un de connu qu’il ou elle est homo constituait la violation d’un tabou.

L’égalité des droits est un combat essentiel. Depuis des années, il est mené avec force et ténacité par l’ensemble des associations LGBT. Elles ont bataillé pour sa concrétisation que nous espérons rapide. Mais cette lutte a en partie occulté l’émergence d’une autre parole publique à même de transformer en profondeur les représentations.

Se dire homo, juste le dire, c’est montrer à la société ce que nous sommes réellement, dans notre diversité. C’est aussi offrir aux plus jeunes d’entre nous, aux plus fragiles, à celles et ceux qui vivent dans des milieux pas ou peu tolérants, des points d’accroche pour se construire et avancer.

Chaque année, des jeunes se suicident parce qu’ils se sentent seuls au monde en découvrant leur homosexualité. Adolescent-e-s ou jeunes adultes, nous avons nous-mêmes désespérément cherché des "modèles" en qui nous projeter.

Dire publiquement "je suis responsable d’un grand syndicat et je suis homo", "je dirige une grande entreprise publique et je suis homo", "je suis député-e, maire, présidente ou président de collectivité et je suis homo", "je suis un acteur ou une actrice, et je suis homo", "je suis footballeur ou footballeuse de haut niveau, et je suis homo", ce n’est pas, comme on veut nous le laisser croire, être réduit à sa seule homosexualité. C’est encore moins se caricaturer. C’est simplement, banalement, dire la réalité.

Bientôt, les débats sur le mariage entre couples de même sexe et l’adoption vont, malheureusement, réveiller la haine et l’homophobie, comme l’ont prouvé les adhérents de l’Union nationale des associations familiales de France, huant à Toulon la nouvelle ministre déléguée à la famille Dominique Bertinotti venue leur rappeler la promesse de l’égalité des droits.

Le combat s’annonce difficile. Lesbiennes, gays, bi, trans, ayant accès aux médias ou à toute forme de parole publique, nous attendons donc que vous disiez enfin qui vous êtes. "Come out, wherever you are ! " Il est urgent de sortir du placard.

Lucas Armati, journaliste ; Alix Béranger, consultante ; David Belliard, journaliste ; Alice Coffin, journaliste ; Mathieu Magnaudeix, journaliste ; Anne Susset, travailleuse associative homosexuel-le-s.

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