L’homophobie, une discrimination toujours actuelle

Publié le 17 mai 2012 sur OSIBouaké.org

Le Monde.fr - 16 Mai 2012 - L’association SOS Homophobie a publié son rapport annuel, lundi 14 mai. A la veille de la Journée internationale contre l’homophobie, qui depuis huit ans a lieu le 17 mai, en hommage au 17 mai 1990, jour où l’Organisation mondiale de la santé a retiré l’homosexualité de la liste des maladies mentales, l’association SOS Homophobie a publié mercredi son seizième rapport sur l’état de l’homophobie en France. Le constat est alarmant : alors même que l’opinion des Français semblait évoluer de manière favorable sur la question de l’homosexualité, le rapport sur l’homophobie 2012 révèle qu’un cas sur trois relève de l’homophobie de proximité, c’est-à-dire au travail, en famille ou dans le voisinage.

"Des manifestations plus spectaculaires avaient occulté la réalité quotidienne de l’homophobie, mais elles ont diminué avec la médiatisation et l’acceptation croissante de l’homosexualité dans le débat public et, aujourd’hui, on se rend compte de ce bastion d’homophobie qui persiste dans la société", analyse Elisabeth Ronzier, présidente de l’association SOS Homophobie et directrice de publication du rapport. Pour rendre compte de ce quotidien, l’association s’est basée sur les 1 556 témoignages récoltés pendant un an un peu partout en France. Jamais autant de personnes n’avaient participé à ce rapport annuel : une augmentation certainement due à une plus forte mobilisation de la part de SOS Homophobie, mais qui correspond aussi à "une libération de la parole des victimes", d’après Elisabeth Ronzier.

Harcèlement au travail

Le nombre de témoignages reçus en 2011 sur des actes d’homophobie au travail est en forte hausse par rapport aux années précédentes (+ 36 %). Ce sont majoritairement des hommes de 35 à 50 ans, vivant en province, et recevant des insultes de la part de leur supérieur hiérarchique qui ont témoigné. Une situation inquiétante qui s’expliquerait, pour l’association, par la situation de crise économique. "Pour renvoyer des gens sans les licencier, on peut choisir la solution du harcèlement", estime Elisabeth Ronzier. Les victimes n’osent souvent pas porter plainte et quittent d’eux-mêmes leur emploi.

La même logique prévaut dans les rapports de voisinage. "Les occasions ne manquent pas d’utiliser l’homosexualité réelle ou supposée ou la transidentité pour envenimer un conflit banal. Parce qu’elles s’inscrivent dans une sphère privée où l’agresseur est dans la plupart des cas une personne identifiée, beaucoup de victimes ne souhaitent pas porter plainte, pour ne pas aggraver la situation ou par peur de représailles", peut-on lire dans le rapport.

Des situations qui amènent les victimes à croiser leurs agresseurs quotidiennement et qui peuvent mener à des états de détresse. Le 13 décembre 2011, l’Institut de veille sanitaire (InVS) a dressé un état des lieux du suicide en France en s’intéressant particulièrement aux "minorités sexuelles face au risque suicidaire". Dans l’éditorial du bulletin hebdomadaire, Jean-Louis Terra, professeur de psychiatrie à l’Université Claude-Bernard de Lyon écrit que "l’homophobie, et non l’orientation sexuelle par elle-même, est le principal facteur qui peut induire un sur-risque de crise suicidaire et de tentative de suicide". Un constat partagé par l’expérience de SOS Homophobie.

Agression dans la rue

Alors que, dans une étude IFOP datant de juin 2011, 63 % des Français se déclaraient favorables au mariage homosexuel, les faits révèlent une homophobie latente qui peut se déclarer partout. Parmi tous les témoignages rassemblés par l’association, 11 % d’entre eux portent sur les agressions subies dans les lieux publics, et tout particulièrement la rue ou les parcs. "Comme l’homophobie est de plus en plus réprimée, on assiste à une radicalisation de l’homophobie", insiste Elisabeth Ronzier.

Selon le rapport, si les insultes restent majoritaires, les altercations dégénèrent bien souvent en agression physique. Les récits sont nombreux, souvent suivant le même schéma : des personnes de même sexe sont interpellées verbalement par des personnes souvent en groupe, et les insultes fusent. Comme l’histoire de Justine : sortie fumer devant un bar gay, elle se fait accoster par deux femmes visiblement éméchées qui la traitent de "sale lesbienne" et la jettent à terre pour la frapper, finissant par s’échapper en lui volant son portable.

Les témoignages sur les agressions visant les lesbiennes dans les lieux publics ont été plus nombreux cette année. Suzanne témoigne : alors qu’elle embrassait sa compagne sur le quai du RER, un homme surgit et met sa main dans le soutien-gorge de sa copine. Pour SOS Homophobie, "ces situations démontrent qu’une relation homosexuelle entre femmes est acceptée tant qu’on laisse une possibilité à l’homme d’y participer comme dans le schéma intégré de la pornographie. Dans le cas contraire, l’agressivité surgit."

Les "Biches" traquent le net

Comme tous les ans, c’est pourtant sur Internet que l’homophobie continue à être la plus active, notamment grâce à l’anonymat et à la distance permis par le Net. C’est pour cela que l’association SOS Homophobie a créé, il y a quelques années, la brigade d’intervention contre l’homophobie et le sexisme sur Internet (Biche). Cette brigade composée d’une dizaine de personnes réparties sur le territoire français interviennent suivant les réclamations qui lui parviennent. Commentaires, forums, blogs ou applications homophobes : toutes ces dérives du Net sont traquées et autant que possible supprimées.

Mais bien souvent, les détracteurs les plus virulents de l’homosexualité s’arrangent pour se faire héberger à l’étranger, afin de ne pas tomber sous le coup de la loi française. Malgré tout, les "Biches" ont réussi quelques coups d’éclat. Elles n’ont pas hésité à dénoncer l’application très douteuse "Mon fils est-il gay ?" accessible sur l’Androïd Market en octobre 2011, et supprimée depuis, qui proposait aux mères inquiètes de découvrir en vingt questions et autant de clichés la sexualité supposée de leur enfant.

Pour faire évoluer les mentalités, l’association mise sur la prévention, dès le collège et le lycée. Comme le souligne Olivier Vecho, maître de conférences en psychologie du développement à l’Université Paris Ouest-Nanterre et spécialiste de l’homophobie, "le milieu scolaire est propice aux manifestations de l’homophobie", car "les interactions entre adolescent-e-s y sont souvent peu soumises au contrôle des adultes, et les personnels de l’éducation nationale sont peu sensibilisés à la question de l’homosexualité, qui reste un sujet tabou dans le système scolaire".

La preuve avecla dernière polémique sur l’idée de genre introduite dans les manuels scolaires de sciences et vie de la terre, ou la diffusion controversée du film d’animation sensibilisant à la question gay, Le Baiser de la Lune. "C’est par l’éducation qu’on peut lutter efficacement contre l’homophobie car c’est très tôt qu’on apprend ce qu’est le genre, et il faut le déconstruire le plus tôt possible", estime Elisabeth Ronzier.

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