"Kamerun ! Une guerre cachée aux origines de la Françafrique. 1948-1971" et "Au Cameroun de Paul Biya" : une sale guerre oubliée

Publié le 14 octobre 2011 sur OSIBouaké.org

Le Monde | 10.10.11 | Lecture | Philippe Bernard et Christophe Châtelot |

Certains "trous de mémoire" de l’histoire de France sont en cours de résorption. L’amnésie sur la véritable guerre coloniale que mena la France au Cameroun entre 1955 et 1960 demeure totale. Kamerun !, un livre, documenté, passionnant jusqu’à l’ahurissement, vient la rompre à point nommé.

Le 9 octobre, les Camerounais ont voté lors d’une présidentielle dont l’issue - la réélection de Paul Biya, autocrate "ami de la France" au pouvoir depuis vingt-neuf ans - ne fait guère de doute. Or les auteurs de Kamerun ! - nom donné à l’époque coloniale par les nationalistes au pays, ex-colonie allemande partagée entre Français et Britanniques en 1918 puis placée sous tutelle de l’ONU   en 1945 - montrent de façon convaincante que les méthodes de répression en vigueur aujourd’hui sont les directes héritières de celles, d’une terrifiante brutalité, qui furent utilisées par l’armée française pour réduire à néant l’Union des populations du Cameroun (UPC), le parti indépendantiste, et l’insurrection des populations bamiléké.

"Si les "forces de l’ordre" sont choyées, expliquent-ils, c’est que le régime Biya n’a jamais rompu avec le système de soumission et de terreur instauré au temps de son prédécesseur (Ahmadou Ahidjo formé à l’école coloniale française."

Humiliée en Indochine en 1954, l’armée française exporta immédiatement ses techniques de "guerre contre-révolutionnaire" au Cameroun. Bombardements, torture, exécutions sommaires, décapitations pour l’exemple : la guerre oubliée du Cameroun fut, sur le terrain, à l’image de celle d’Algérie. Mais le petit nombre de colons français, l’absence de conscrits et l’ombre portée du conflit algérien firent que cette "sale guerre"-là fut menée quasiment à huis clos. En déléguant à des autochtones la répression au niveau local, la France transforma pourtant un conflit colonial en guerre civile, dont les feux n’ont jamais vraiment été éteints.

A la différence de l’Algérie, ce fut une guerre "gagnée", au sens où la France assassina les leaders indépendantistes et installa au pouvoir les militaires camerounais qu’elle avait recrutés pour les combattre. Dignes de mauvais romans de guerre et d’espionnage, les meurtres des responsables de l’UPC, Ruben Um Nyobè et Félix Moumié, sont racontés de façon saisissante grâce à des archives inédites.

Refoulement

Mais il ne s’agit pas seulement d’Histoire : le livre montre que le Cameroun indépendant s’est construit sur un refoulement absolu de ces événements. Même les cadavres, pourtant savamment exposés à des fins pédagogiques par le colonisateur, sont censés ne pas avoir existé. Cette mystification de l’Histoire produit des conséquences contradictoires. Effacée de force des mémoires, la guerre franco-camerounaise des années 1950 a vu son bilan exagéré par des militants désireux de briser le silence, au risque d’invalider leur récit. Imprécis mais étayé, l’inventaire qu’établissent les auteurs - "plusieurs dizaines - voire plusieurs centaines - de milliers" de morts - est pourtant déjà accablant.

Et il ne faut pas compter sur le pouvoir actuel, concentré sur sa survie politique, pour regarder en face cette histoire tourmentée. C’est tout au moins l’avis de Fanny Pigeaud. Dans son livre au vitriol, Au Cameroun de Paul Biya, la journaliste décrit un régime finissant qui "hypothèque chaque jour un peu plus les chances du pays de changer de direction". "Si sous Ahidjo, écrit-elle, la pensée dissidente était réprimée, il ne semble même plus y avoir de pensée du tout après trente années de régime Biya, ce dernier ayant peu à peu dévalorisé la connaissance et l’intelligence."

  • Kamerun ! Une guerre cachée aux origines de la françafrique  , 1948-1971, de Thomas Deltombe, Manuel Domergue, Jacob Tatsitsa. La Découverte, 742 p., 25 €.
  • Au Cameroun de Paul Biya, de Fanny Pigeaud. Karthala, 276 p., 24 €.

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