Des séropositifs menacés d’expulsion

Publié le 30 septembre 2011 sur OSIBouaké.org

l’Express - Delphine Legouté, le 29/09/2011 - Malgré leur droit d’être en France pour raison médicale, des étrangers gravement malades ne parviennent plus à renouveler leur titre de séjour. Enquête.

Nina* est Camerounaise et séropositive. Depuis sept ans, elle bénéficie d’une carte de séjour pour raison médicale. Comme 28 000 personnes (dont 6000 malades du sida  ), elle a besoin d’être en France pour se soigner. Chez elle, au Cameroun, le traitement contre le VIH   est rare et le suivi médical quasi inexistant. Pourtant, le 9 août dernier, le renouvellement de sa carte lui a été refusé

Nina n’accepte de témoigner qu’à travers la voix de son avocate ou de l’association Aides qui la soutient dans ses démarches. Autour d’elle, en France comme au Cameroun, personne ne sait qu’elle est porteuse du VIH  , encore moins qu’elle peut rester en France uniquement en raison de sa maladie.

Lorsqu’elle quitte son pays en 2004, la jeune femme ignore qu’elle est séropositive. La nouvelle n’arrive que plus tard, lors d’un examen médical à l’hôpital de Strasbourg. Pendant sept ans, son état lui permet de renouveler sans trop de difficulté sa carte de séjour. En France, elle se construit une nouvelle vie, rencontre quelqu’un, suit des formations et trouve un travail d’aide à la personne.

Obligation de quitter le territoire

Son dossier est régulièrement étudié par un médecin de l’agence régionale de santé alsacienne (ARS) et par la préfecture. Le médecin est là pour transmettre au préfet un avis favorable ou défavorable. La personne est-elle gravement malade ? Un traitement existe-t-il dans son pays d’origine ? Il doit répondre à ces questions sous couvert du secret médical. Cet été, contre toute attente, le médecin estime que le " traitement approprié existe dans le pays d’origine " de Nina. D’après lui, le Cameroun serait en capacité de soigner les séropositifs. Nina n’aurait donc plus de raison de rester en France. La préfecture lui demande donc de partir.

Selon Aides, cette situation tend à se répéter depuis quelques mois. L’association suit actuellement cinq personnes porteuses du virus du sida   et menacées d’expulsion. En cause : une modification du code d’entrée et de séjour des étrangers datée du 16 juin 2011. " Jusque là, une personne malade pouvait rester en France si elle n’avait pas un " accès effectif " au traitement dans son pays d’origine, explique Adeline Toullier, membre d’Aides. A présent, la loi parle d’ "absence de traitement". La précision des termes est primordiale : un traitement existe dans chaque pays, même le moins développé. La question est de savoir si ce traitement est disponible en quantité suffisante, s’il n’est pas trop cher ou si un suivi médical est possible. "Pour Aides, certains médecins ARS n’hésiteraient pas à interpréter la loi " à la lettre", sans se préoccuper de l’accès réel aux soins.

Avis médicaux encadrés

Pourtant, des circulaires existent pour encadrer le travail des médecins et éviter ce genre de situation. En 2005, puis de nouveau en 2010, le ministère de la santé fait circuler une série de consignes. On peut y lire que "dans l’ensemble des pays en développement, il n’est pas encore possible de dire que les personnes séropositives peuvent avoir accès aux traitements antirétroviraux ni à la prise en charge médicale nécessaire pour les porteurs d’une infection du VIH  ". Un autre document interne précise quels pays sont "en développement". Enfin, une liste d’outils - dont une majorité de sites Internet - est censée aider les médecins dans leur prise de décision.

"Pratique décomplexée du refus"

Dès lors, comment un médecin ARS peut-il décréter qu’une Camerounaise ou un Sénégalais gravement malade peut retourner dans son pays ? Aides dénonce une "inégalité géographique dans l’application de la loi". "Dans certaines régions, le Centre par exemple, des médecins ont une pratique décomplexée du refus, observe Adeline Toullier. Ils durcissent d’eux-mêmes les modalités d’accès aux soins. Ils peuvent se le permettre car il y a un manque d’instructions précises : le ministère de la santé n’a pas publié de circulaire d’application depuis la nouvelle loi. "Aucune agence régionale de santé contactée par LEXPRESS.fr n’a souhaité expliquer les avis rendus par ses médecins, notamment celle du Centre.

Pour Nina, à Strasbourg, le soutien de Aides a porté ses fruits. Prévenue par l’hôpital, l’association a lancé une procédure juridique et obtenu un nouvel avis du médecin. Celui-ci a accepté de revoir sa décision. Ailleurs, comme à Chartres, une jeune femme sénégalaise, séropositive elle-aussi, est toujours sous le coup d’une obligation de quitter le territoire. Malgré les multiples recours, son médecin ARS reste sur sa position.

*le prénom a été changé

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