Le silence du bourreau de François Bizot

Publié le 11 décembre 2011 sur OSIBouaké.org

OSI Bouake - DG - 11 Décembre 2011 - Ayant été marqué par la lecture du premier livre de François Bizot "le Portail", amoureux du Cambodge, et suivant d’assez prêt les procès en cours, je ne pouvais que me précipiter sur ce livre. L’histoire qui lie Francois Bizot à Douch, connait plusieurs phases et plusieurs dates clefs, qui nous sont rappelées :

  • 1971 : Ethnologue, membre de l’École française d’Extrême-Orient, Bizot est arrêté au nord du Cambodge, où il vit et étudie. Soupçonné d’espionnage, il est transféré, au camp M13 dirigé par un jeune révolutionnaire de 27 ans Kaing Guek Eav alias Douch. Il sera libéré 3 mois plus tard après avoir subis des interrogatoires quotidiens (sans violence physique) au cours desquels naitra une étrange complicité entre les deux hommes… « l’homme en péril de mort quand les conditions le permettent, prend le parti de sympathiser avec ceux qui le menacent.(…) dans ce camp d’extermination, cette position équivoque du garde et du condamné que la victimologie a popularisé sous le nom de syndrome de Stockholm, m’a fait éprouver en moi-même l’impression d’une chute. Le phénomène relève du réflexe qui incite toute victime à s’attacher au destin de son propre bourreau, parfois même à le défendre, jusqu’à refuser ensuite de comparaitre contre lui. Avec Douch, je crois que je suis allé encore plus loin (…) à improviser de multiples scénarios d’approche afin d’éprouver à fond et le plus sincèrement possible toutes ses réactions, de captiver son attention et de le sensibiliser à mon sort. Le « séduire » intuitivement à ma manière, faire en sorte d’être crédible, et que se développe entre nous un sentiment réel d’identification » (sic) Bizot essaiera ensuite d’oublier, d’enfouir, de nier, cette période de sa vie, jusqu’à ce qu’elle ressurgisse un jour de 1988.
  • 1988 : Retournant au Cambodge et visitant le centre S21/ Tuol Sleng, il reconnaît dans la photo de son gardien. Il découvre que celui avec qui il avait tissé de si étranges relations, est le bourreau, tortionnaire, qui dirigeait S21 et est responsable de plusieurs dizaines de milliers de morts (il n’y aura que 7 survivants au S21). Bizot apprend que de son coté il est le seul survivant du camp M-13. On apprendra plus tard, par la bouche de Douch, que cette libération bien que décidée par Pol Pot lui-même (pour gagner les grâces de l’état français), mais a été reprochée à Douch, par son supérieur hiérarchique Ta Mok (l’homme qui se retournera des années plus tard contre Pol Phot et le maintiendra en détention à Along Veng). D’après Douch, Ta Mok était contre la libération de Bizot et lui ordonnera, ensuite de ne plus relâcher un seul prisonnier (Douch utilisera cet argument comme ligne de défense plus tard)
  • 1999 : Douch est arrêté et demandera à ses son geôlier que l’on contacte son "ami" Bizot.
  • 2000 : Bouleversé par cette arrestation qui le confronte une nouvelle fois à Douch, Bizot voit affluer les souvenirs de sa détention et de sa relation avec Douch, qu’il croyait enfoui, il les couche sur le papier pour écrire "le portail", récit autobiographique qui se veut sans doute expiatoire
  • 2009 : Bizot témoigne au procès de Douch...
  • 2011 : Il publie le « silence du bourreau »

Le livre comporte en annexe, la déposition de Bizot à la cour pénale, et une lecture commentée par Douch lui-même des passages du livre « le Portail » concernant les mois passés à M13.

Comment peut-on être un des seuls survivants d’un des pires bourreaux que l’histoire a jugé ? Que faire de l’étrange complicité née entre les deux hommes lors des trois mois d’interrogatoires quotidien ? Que faire quand votre bourreau vous appelle mon ami, s’enquiert de la santé de votre famille ? Que peut penser Hélène, la fille de François Bizot en voyant, lors du procès, l’homme à qui "elle doit" d’avoir un père encore en vie ? Que faire, sinon l’accueillir au moins dans la famille des êtres humains et ne pas se contenter d’en faire un monstre...

C’est tout le propos de Bizot…c’est aussi son drame…

Contrairement à son livre « Le Portail » où il nous livrait un récit fluide et brillant sur sa captivité mais aussi sur le Cambodge, le bouddhisme khmer,…et pour finir sur la chute de Phnom Penh… ; Bizot apparaît dans le « silence du bourreau » totalement effracté par sa relation avec Douch… C’est un homme peu sur de lui, qui apparaît devant la cour : trahissant lui-même son propre récit, contredisant parfois ce qu’il a écrit dix ans plus tôt dans « le Portail »…plongeant semble t’il l’audience dans le désarroi quand pour se défendre de ses contradictions, il dit avoir fait en partie œuvre romanesque dans « le Portail », que tout à chacun avait considéré jusque là comme un document autobiographique…

Au final ce livre n’intéressera vraiment que ceux qui ont déjà lus « Le Portail », récit dont je vous recommande vivement s la lecture, dont l’intérêt va bien au delà l’autobiographie et de l’épisode tragique du camp M13…

Pour moi Bizot n’est jamais aussi intéressant que lorsqu’il fait œuvre d’ethnologue et nous parle de la culture et du bouddhisme khmer…ce qu’il fait constamment en filigrane dans "le Portail"


Le silence du bourreau François Bizot

Flammarion, 246 p. ISBN : 978-2081243163


Le Portail François Bizot

Gallimard, collection Folio, 439 pages ISBN : 978-2070417650

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