Khmers rouges : le génocide oublié des Chams musulmans du Cambodge

Publié le 18 juillet 2011 sur OSIBouaké.org

AFP - Chraing Chamres - Il y a trente ans, prier Allah au Cambodge envoyait directement à la mort. Aujourd’hui, les Chams musulmans du pays nourrissent l’espoir que ce génocide oublié, noyé dans le torrent des horreurs des Khmers rouges, trouve sa place dans l’Histoire.

Chefs religieux exécutés, massacres de masse, mosquées détruites, corans brûlés, interdiction du foulard, musulmans forcés à manger du porc : les membres de cette minorité musulmane "étaient systématiquement et méthodiquement visés et tués", affirme l’acte d’accusation contre les quatre plus hauts responsables du régime marxiste encore vivants, actuellement jugés par le tribunal international de Phnom Penh.

Personne ne sait exactement combien de Chams sont morts. Mais selon le Centre de documentation du Cambodge (DC-Cam) qui enquête sur cette période, 100.000 à 500.000 sur 700.000 ont péri entre 1975 et 1979.

Zakaria Bin Ahmad, lui, a survécu. "Les gens essayaient toutes sortes de subterfuges pour prier. Parfois quand ils conduisaient une charrette à boeufs (...), parfois dans la jungle quand nous demandions d’aller faire nos besoins, parfois quand nous nous lavions".

Mais cet homme de 61 ans se rappelle surtout de ceux qu’il n’a jamais revus. "Beaucoup ont été tués", raconte-t-il calmement dans sa modeste maison construite à l’ombre du dôme bleu de la nouvelle mosquée de Chraing Chamres, fierté de la ville.

Alors les Chams espèrent obtenir justice. "Nous soutenons totalement le procès (...), pour dire ce qui s’est passé sous le régime de Pol Pot", le "frère numéro un" mort en 1998, insiste Sales Pin Apoutorliep, leader religieux —ou hakem— de la mosquée de Chraing Chamres.

"Maintenant, nous pouvons raconter notre histoire", ajoute-t-il, précisant avoir perdu à l’époque ses parents et quatre de ses frères et soeurs.

Lors de ce procès historique, suspendu jusqu’en août et qui devrait durer des années, l’idéologue du régime Nuon Chea et trois autres cadres sont jugés pour la mise en oeuvre méthodique d’une utopie marxiste délirante qui a tué d’épuisement, de famine, de maladie ou à la suite de tortures et d’exécutions, quelque deux millions de personnes.

Ils doivent répondre de génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre.

Mais les Khmers rouges n’avaient pas l’intention de rayer le peuple cambodgien de la carte. Les massacres, fussent-ils de masse, des Khmers par les Khmers ne sont donc pas considérés par les Nations unies comme un génocide.

Le terme s’applique en revanche aux 20.000 victimes vietnamiennes et aux Chams. Et il a le mérite d’avoir fait sortir de l’ombre un destin tragique mais longtemps négligé.

"Dans le passé, il y avait peu de référence à la souffrance des Chams sous le régime khmer rouge", rappelle Farina So, experte au DC-Cam. "Il n’y a pas eu beaucoup de recherches sur les souffrances des Chams (...). Ils ont besoin de la reconnaissance de la population".

Aujourd’hui libres de pratiquer le culte, les Chams sont environ un demi million au Cambodge, pour la plupart sunnites.

"Ils ont reconstruit les mosquées, ranimé leur identité religieuse et ethnique, ils ont ouvert des écoles islamiques et enseigné l’islam", souligne Farina So. "Ils essaient de surmonter ce traumatisme mais c’est un processus lent".

La blessure est vive aussi pour les plus jeunes, qui n’ont pas vécu cette période. Comme Yakin El, 24 ans, belle-fille de Ahmad.

"Je suis contente que la souffrance des Chams soit abordée lors du procès", explique-t-elle, se rappelant avoir été "choquée" en apprenant, petite fille, le calvaire vécu par ses proches.

"Je ne peux pas l’oublier parce que la plupart des musulmans ont été tués à cette époque", poursuit la jeune femme en robe traditionnelle et foulard assorti. "Nous devons nous souvenir d’eux".

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