Le documentaire « Zambie : à qui profite le cuivre ? » mouille l’Europe

Publié le 1er juin 2011 sur OSIBouaké.org

Rue89 | Par Sophie Verney-Caillat | 31/05/2011 |

C’est un film ahurissant que diffuse France 5 ce mardi soir. L’enquête « Zambie, à qui profite le cuivre ? » montre comment la banque européenne d’investissement (BEI) finance en Afrique le leader mondial des matières premières, Glencore, soupçonné d’évasion fiscale. Afrique, pauvreté, pollution, comptes dissimulés, et pourtant, Alice Odiot et Audrey Gallet ont réussi, pour leur premier documentaire, à illustrer parfaitement ce qu’on appelle la « malédiction des ressources naturelles » :

« Comment un pays riche en matière première peut-il être pauvre ? »

Reprenons l’histoire au début : l’économie de la Zambie, l’ancienne Rhodésie du Nord devenue indépendante en 1964, repose en grande partie sur l’extraction du cuivre, dont le cours baisse drastiquement les années 80.

Les mines sont privatisées dans les années 90, sous pression de la Banque Mondiale. La mine de Mopani tombe dans l’escarcelle de Glencore, leader mondial des matières premières.

C’est ici qu’intervient la BEI, la banque publique de l’Europe, à laquelle souscrivent les 27 Etats membres. En 2005, elle accorde à la mine de Mopani un prêt de 48 millions d’euros, en vue de moderniser la fonderie, de réduire les émissions de dioxyde de soufre et de maintenir l’emploi.

Glencore, un géant qui lève des milliards en bourse

Or, en 2009, quand les journalistes arrivent sur place, que trouvent-elles ? Des milliers de salariés mis au chômage ou passés en contrat d’intérim, des problèmes de santé alarmants dus à une poussière persistante, la désertification des services publics et une révolte qui commence à gronder.

Guidées par Christopher, licencié de la mine, et Savior, économiste courageux, elles partent en quête d’explications à ce désastre cautionné par la BEI. En remontant les filières opaques de l’évasion fiscale, elles découvrent :

  • que Mopani appartient à une société-écran, basée dans îles vierges britanniques et filiale de Glencore, le géant suisse des matières premières ;
  • que Glencore réussit l’exploit de ne déclarer aucun bénéfice en Zambie depuis dix ans, alors que les cours du cuivre sont au plus haut et l’extraction du minerai extrêmement rentable ;
  • malgré tout, l’introduction en bourse la semaine dernière a été saluée comme la troisième la plus importante de l’histoire européenne.

Dans le salon de Christopher, qui se demande s’il va le mois prochain payer l’école de sa fille OU sa facture d’électricité, l’un des envoyés de Bruxelles admet qu’en Europe, « une entreprise ne serait pas autorisée à opérer ainsi ».

Plaintes, audit, la BEI surveille Glencore

Depuis fin mai, des députés européens se mobilisent. Cinquante d’entre eux demandent un moratoire sur les aides à l’extraction minière. Anne-Sophie Simpere, des Amis de la terre, qui a accompagné l’enquête du film, estime que :

« La BEI n’a aujourd’hui ni les normes, ni les procédures, ni les capacités d’évaluer et de suivre les projets miniers qu’elle finance en Afrique. Tant que des normes et procédures strictes et contraignantes ne seront pas en place, des cas comme Mopani pourront se reproduire. »

L’Europe va-t-elle entendre cet appel ? Sur le terrain judiciaire, cinq ONG, dont, en France, Sherpa, ont porté plainte contre Glencore pour évasion fiscale. Une plainte contre la pollution est déposée en Zambie, et une « class action » (recours collectif) va démarrer en Grande-Bretagne. Mais « c’est David contre Goliath », reconnait Anne-Sophie Simpere.

Convoqué pour s’expliquer devant le parlement européen, le président de la BEI, Philippe Maystadt a déclaré :

« Si la fraude fiscale, selon la loi zambienne, était avérée, cela exposerait Mopani à des pénalités financières en Zambie. »

Il ajoute que la BEI refusera toute nouvelle demande de financement émanant de Glencore ou d’une de ses filiales. La BEI précise avoir « pris très au sérieux les soupçons d’évasion fiscale » et lancé une enquête indépendante. Chaque Européen engouffre 10 kg de cuivre par an

La réalisatrice croit peu à des sanctions contre le géant Glencore. Et maintient qu’elle n’a pas eu de réponse à l’une des questions essentielles de son enquête :

« J’ai demandé la preuve que les travaux ont bien réduit la pollution car sur place tout le monde me dit que c’est pire qu’avant. Or, la BEI m’a renvoyée vers Glencore, qui ne m’a pas fourni de comparatif avant-après.

Les seules mesures indépendantes dont on dispose témoignent d’un taux de dioxyde de soufre en 2009 qui est 72 fois supérieur aux normes. »

Aujourd’hui gênée par cette situation, la BEI répète que l’outil qu’elle a financé (un des fours de la mine) « fonctionne et qu’il est moins polluant ». Ce que la banque ne dit pas, ce sont les intentions cachées de ce type de prêts. Alice Odiot décrypte :

« L’UE   a besoin d’investir dans les mines afin de devenir client privilégié face à la concurrence des agences chinoises. Le cuivre s’épuise, alors qu’on en commande 10 kg par an par Européen, notamment pour les ordinateurs, les voitures… »

« Zambie, à qui profite le cuivre ? », mardi 31 mai à 20h35 sur France 5 – film produit par Yami 2 – avec la participation de Stéphane Horel.

imprimer

retour au site