Dans la tête de Kadhafi

Publié le 13 mars 2011 sur OSIBouaké.org

Slate - Dimanche 13 mars 2011 - Stéphanie Blasse

Un psychologue et un spécialiste du langage corporel analysent le comportement du « guide de la révolution libyenne ».

Le colonel Kadhafi souffrirait-il de troubles mentaux ? Serait-il complètement fou ? Depuis le début de l’insurrection en Libye, les médias enchainent les qualificatifs liés à la démence pour décrire le guide. « Fou furieux » et « un tyran psychopathe » pour la Nouvelle République du centre ouest, « un tyran fantasque et théâtral » pour le Figaro qui titrait lundi 28 février sur « Kadhafi : jusqu’au bout de la folie ». « La nature exacte de ses maux n’est pas confirmée, mais il est clair qu’il ne va pas bien », résumait au printemps 2009 l’ambassade des Etats-Unis à Tripoli. « Diabétique », « hypertendu », « hypocondriaque », Wikileaks révèle un Mouammar Kadhafi dépendant de son infirmière ukrainienne « voluptueuse ».

Mais qu’en est-il vraiment ?

« Un pervers narcissique »

Selon Jean-Pierre Friedman, psychologue et auteur du livre Du pouvoir et des hommes aux Editions Michalon, le guide libyen serait poussé, comme beaucoup de dirigeants politiques, par des pulsions infantiles non refoulées : la mégalomanie et le narcissisme. « Avant son accès au langage, l’enfant se sent l’objet de toutes les admirations. Il a l’impression d’être le plus extraordinaire au monde. Toutes ses volontés sont satisfaites, tout le monde lui obéit. Kadhafi semble vouloir continuer son rêve infantile ». Cette attitude correspond souvent à des profils type de cellule familiale : une mère ultra-protectrice, aimante, et un père absent auquel il faut prouver quelque chose. Toutefois, pour le guide de la Révolution, un autre processus viendrait accentuer ces pulsions : le rapport de force. « Cette valeur essentielle dans les sociétés arabes se confond avec la sexualité. Pour exemple, « niquer » en arabe veut dire faire l’amour mais aussi prendre le pas sur l’autre. Il s’agit d’affirmer sa virilité et d’aller jusqu’au bout pour montrer qu’on est le plus fort », observe Jean-Pierre Friedman. Pour autant, le guide pourrait-il être diagnostiqué comme fou ?

Selon l’avis d’une psychologue belge, habituée de la Libye et qui souhaite rester anonyme, le guide « ne souffrirait pas de démence ». « C’est plus un manipulateur, un pervers narcissique ayant des délires paranoïaques, analyse la spécialiste. Il tente de déstabiliser son interlocuteur. Il utilise le dénigrement, la menace et des informations contradictoires. La vérité ne lui importe pas, ce qui compte avant tout pour lui c’est d’être crédible. » Dans son discours télévisé du 24 février, Mouammar Kadhafi menace, terrifie.

Son vocabulaire est violent : appel à l’utilisation de la force pour mater « ces rats », « ces microbes », « ces drogués », « ces manipulateurs » qui droguent ces jeunes « fous » au service de le chef d’al-Qaida, Oussama Ben Laden. Une attitude que la psychologue explique par un état de grande vulnérabilité. « Il y a quarante deux ans, après son coup d’état contre le roi Idris 1er en 1969, cet homme était adulé. Et maintenant que son peuple ne le suit pas, il a le sentiment que c’est une trahison. » Pour cette spécialiste, Mouammar Kadhafi n’est pas prêt à laisser le pouvoir. « Il ne supportera pas l’échec. Actuellement, il vit un moment très difficile, il se sent très mal. Et dans son cas, une tentative de suicide n’est pas à exclure. » Un scénario de fin déjà évoqué par le ministre libyen de la Justice démissionnaire, Moustapha Abdel Jalil, et qui fait penser à celui d’un autre dictateur acculé : Adolf Hitler.

« Un Mussolini de carnaval »

Pourtant, d’après le synergologue Stephen Bunard, Kadhafi serait assez éloigné d’Adolf Hitler. Selon ce spécialiste du langage corporel, le guide libyen n’adopterait pas les mêmes postures que le dictateur allemand lors de ses récents discours. « A la différence d’Hitler ou de Benito Mussolini, l’axe de sa tête est rigide, le corps statufié, un signe de mise en distance et de contrôle. La main gauche qui représente l’affect, la passion, est un bout de bois mort. Emotionnellement, il n’est pas à fond dans son discours alors qu’il fait appel au peuple et aux valeurs. »

Seule ressemblance avec le Führer : son poing droit toujours en mouvement, lors de ces récentes allocutions télévisées, en signe de colère. Pour le reste, à en croire le synergologue, le colonel Kadhafi ne serait pas « un bon orateur ». Il n’aurait rien du tyran Hynkel représenté dans le film Le Dictateur par un Chaplin gesticulant, les bras sans cesse levés vers le ciel. « Il se rapproche plus du général Tapioca, “le Mussolini de carnaval”, un personnage fantasque, avide de pouvoir, représenté dans la bande dessinée Tintin. Il est décalé par rapport à l’attitude des autres dictateurs, par ses gestes saccadés, élevés et répétitifs, c’est sans doute pour cela qu’il apparaît aux yeux des gens comme grotesque et caricatural. »

Le contrôle de son apparence

Si ces gestes sont aisément analysables, les expressions de son visage restent difficiles à interpréter. La cause ? Parce que d’après les informations révélés par WikiLeaks, le colonel Mouammar Kadhafi se soumettrait très souvent à des traitements esthétiques afin de se débarrasser de ses rides. « Ses sourcils ne bougent pas, ses muscles faciaux sont figés comme sous l’effet du Botox. Du coup, une émotion aussi forte que la colère n’est pas décodée comme telle par le spectateur. Ce décalage nuit à sa crédibilité. On remarque chez lui peu de clignements de paupières. C’est une personnalité qui a besoin de se couper des autres et vit son monde intérieur comme un refuge », note le synergologue.

Jusque-là, l’attitude du guide de la révolution ne paraît pas extraordinaire, du même que celle de son fils Seïf Al-Islam Kadhafi qui a récemment « nié » que le régime libyen avait attaqué des civils. « Au niveau de son langage corporel, il se trouve dans un registre tout à fait classique. Dans sa dernière allocution, il a des gestes très figuratifs et symboliques comme ceux d’un manager, d’un homme politique », conclut Stephen Bunard.

Mouammar Kadhafi ne serait donc ni « fou », ni « psychopathe », seulement un homme qui dispose d’un pouvoir absolu exercé d’une façon autoritaire. Un dictateur qui semble avoir compris que la folie pouvait être une arme de pouvoir.

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