« Les traits de folie de Kadhafi lui ont servi pour garder le pouvoir »

Publié le 2 mars 2011 sur OSIBouaké.org

Libération - 01/03/2011 - Recueilli par Quentin Girard

Le professeur de psychologie Pascal de Sutter passe en revue les pathologies du dictateur libyen et leur influence sur l’exercice du pouvoir.

Depuis le début des contestations en Libye, chaque prise de parole de Kadhafi donne la même impression : cet homme est fou. Mais l’est-il vraiment et de quelles types de maladies mentales est-il atteint ?

Tentative de réponse avec Pascal de Sutter, professeur de psychologie à l’université de Louvain en Belgique et auteur du livre Ces fous qui nous gouvernent, publié aux éditions Les Arènes.

S’il en a, quelles sont les principales maladies psychiatriques de Kadhafi ?

Kadhafi est aujourd’hui un des rares dirigeants sur la planète qui soit vraiment fou. Il a d’ailleurs déjà eu des traitements psychiatriques.

On retrouve un trio assez classique chez lui, de la paranoïa, un délire de grandeur et de la mégalomanie avec une composante importante de narcissisme. De plus, il a de temps en temps des accès de schizophrénie. A un moment, il voulait envahir l’Egypte, et le Tchad, il avait son ambition de nation panarabe, ce sont de vrais délires de grandeur.

Comment en est-il arrivé là ?

Il peut y avoir une part de génétique. On sait que dans certaines familles on trouve malheureusement plus de dépressifs par exemple.

L’environnement peut ensuite stabiliser ou aggraver l’état du patient. La plupart du temps, le fait d’être au pouvoir, avec une cour autour de soi, est assez déséquilibrant.

Lord Acton disait, « le pouvoir corrompt, le pouvoir absolu corrompt absolument ». C’est pareil pour la folie. C’est difficile de ne pas prendre la grosse tête. C’est un classique en France par exemple, c’est frappant la manière dont les hommes politiques changent une fois devenus ministres.

De plus, quand on est dictateur, on devient presque un demi-dieu, on peut tout se permettre, c’est très déstabilisant. A force d’avoir des gens qui expliquaient à Kadhafi qu’il faisait tout bien, il a fini par le croire.

Mais ce type de problème psychiatrique n’est-il pas un avantage pour accéder au pouvoir ?

Déjà, au départ, pour penser qu’on a une chance d’accéder au pouvoir, de devenir en France par exemple président de la République, il faut être un peu illuminé.

Pour Kadhafi, il a fallu aussi une vraie dose de délire au départ, pour faire un coup d’Etat, alors qu’il n’était que capitaine.

Ses traits de folie lui ont servi pour atteindre le pouvoir, mais aussi pour le garder. Il faut avoir le cran de provoquer un bain de sang. Il faut être aussi antisocial, un psychopathe avec peu de valeurs morales. Après, il a aussi une sorte d’esprit messianique. Il est persuadé qu’il a été choisi et il ne doit pas comprendre la contestation.

Je pense que dans ses discours, il est sincère la plupart du temps, sauf peut-être dans les parties calculées où il parle d’Al-Qaeda.

Est-ce qu’il peut changer ?

Le monde a cru qu’il avait changé, mais cela n’a jamais été le cas. Si, à une époque, il a un peu modifié son comportement, le fond du personnage n’a jamais changé. C’est comme quand Sarkozy dit qu’il change, il a déjà dû le dire cinq fois, il n’y a plus que les gogos pour y croire.

Je pense qu’un être humain ne change jamais. C’est comme si on disait que Staline et Hitler pouvaient changer. Un alcoolique reste toujours un alcoolique, même abstinent, un avare reste toujours un avare, même s’il le cache, un psychotique paranoïaque reste un psychotique paranoïaque.

Psychologiquement, à quels autres dictateurs Kadhafi ressemble-t-il ?

Il a un côté Saddam Hussein, dans le fait d’avoir pris et gardé le pouvoir par la violence. Un peu Staline aussi. Kadhafi, dès le départ, il a à la fois des problèmes de santé mentale et un énorme charisme, un charme de séducteur.

Dans le côté farfelu et original, il ressemble un peu à Kim il-Sung de Corée du Nord, où à Niazov, du Turkménistan.

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