Public Eye Awards : Neste Oil élue entreprise la plus irresponsable de l’année

Publié le 30 janvier 2011 sur OSIBouaké.org

Blog Le Monde Ecolo - Vendredi 28 janvier 2011

C’est le genre de distinctions que les entreprises ne souhaitent pas se voir décerner. Depuis dix ans, en marge du Forum économique mondial de Davos, en Suisse, les Public Eye Awards récompensent les firmes les plus irresponsables tant sur le plan écologique que social. Cette année, c’est la compagnie pétrolière finlandaise Neste Oil qui s’est vu remettre, vendredi, le prix de la honte du public, le People’s Award, octroyé par le vote de plus de 53 000 internautes. Le prix du jury, le Global Award, a, quant à lui, été remis à l’entreprise minière sud-africaine AngloGold Ashanti, après le vote de six experts de Greenpeace et de la Déclaration de Berne, les deux ONG coordinatrices de ce “contre-sommet critique”. Présentation de cet anti-classement de six entreprises.

La lauréate, c’est donc Neste Oil, une compagnie pétrolière bien plus discrète que les majors du secteur, que sont ExxonMobil, Shell, ConocoPhillips, Total ou la désormais célébrissime BP. Avec 17 000 votes, l’entreprise finlandaise a donc accompli l’exploit de ravir la première place du prix du public à sa concurrente britannique, à l’origine de la pire catastrophe naturelle de l’histoire des Etats-Unis.

C’est que Neste Oil a du potentiel. L’entreprise est en effet à l’origine d’une marée noire d’un autre genre, celle que provoque une déforestation galopante qui brûle chaque jour davantage de forêts tropicales primaires. Car, avec 2,5 millions de tonnes d’huile de palme consommées, la compagnie devrait devenir, l’an prochain, le principal producteur d’agrocarburants du monde, avec son produit phare, le Neste Green diesel. Une appellation trompeuse puisqu’il s’agit d’un diesel à base d’huile de palme.

En même temps que Neste Oil augmente sa capacité de production à Rotterdam et à Singapour, son principal fournisseur – IOI – a doublé la surface de ses plantations d’huile de palme et contribue donc activement à la déforestation. Un phénomène responsable de la destruction de l’habitat de peuples indigènes et d’espèces animales ainsi que de la moitié des émissions de gaz à effet de serre dans le monde. Sans compter que la production de cette huile requiert des produits chimiques qui empoisonnent l’eau, la terre, la faune, la flore et les habitants.

Le deuxième bonnet d’âne du développement durable, avec 13 000 votes, revient, vous vous en doutez, à BP, que l’on ne présente plus. A son actif : 11 morts lors de l’explosion de la plate-forme pétrolière Deepwater Horizon, le 20 avril 2010, plus de 800 millions de litres de pétrole répandus dans le golfe du Mexique pendant quatre-vingt-sept jours et des décennies nécessaires à la régénération de la faune et de la flore environnantes.

Le stimulus nécessaire à une prise de conscience écologique ? Que nenni ! Au contraire, BP est même passée à la vitesse supérieure dans l’exploitation de pétrole à haut risque. En décembre, elle s’est ainsi lancée dans l’extraction des sables bitumineux canadiens, des résidus de pétrole présents dans les roches superficielles sous forme d’un bitume très visqueux et lourd, aggloméré avec du sable ou du schiste. Leur exploitation s’avère très coûteuse et surtout extrêmement polluante. A leur actif : destruction de forêts primaires, pollution des sols, de l’air et des nappes phréatiques, consommation considérable d’électricité, d’eau et de carburant. Au total, selon Greenpeace, de son extraction à sa consommation, ce pétrole émet cinq fois plus de gaz à effet de serre que le pétrole conventionnel. BP, Beyond Petroleum !

On passe maintenant dans la tranche des petits joueurs, qui n’ont pas dépassé la barre des 10 000 votes. Phillip Morris se voit crédité de 8 000 votes pour une affaire touchant à la santé publique : l’entreprise a ainsi porté plainte auprès d’une instance de la Banque mondiale contre l’Uruguay et sa loi antitabac. “Le chiffre d’affaires cumulé des multinationales du tabac est deux fois plus élevé que le PIB de l’Uruguay. Cette relative faiblesse a forcé le pays à faire une concession : une réduction de la taille des messages de prévention de 85 % à 65 % de la surface des paquets de cigarettes”, expliquent les associations organisatrices du prix.

L’Uruguay n’est toutefois pas le seul à s’être fait enfumer. Si les Public Eye Awards ne portaient pas seulement sur une mauvaise pratique en particulier mais sur le comportement de l’entreprise de manière générale, les ONG auraient pu pointer les ravages environnementaux de la culture du tabac. Chaque année, ce sont en effet plus de 200 000 hectares de forêts primaires qui partent en fumée dans les pays en développement, particulièrement en Afrique, où le rythme de la déforestation est dix fois plus important dans les régions tabacoles que sur l’ensemble du continent.

La quatrième récompense du public (6 000 votes) ainsi que le prix du jury reviennent à la compagnie minière AngloGold Ashanti, qui extrait de l’or au Ghana. Une entreprise plus regardante sur le nombre de carats de ses pépites que sur ses conséquences sur l’environnement et les conditions de travail de ses salariés. “La production de 30 kg d’or entraîne quotidiennement l’extraction, le broyage et le traitement au cyanide de près de 6 000 tonnes de roches. Les déchets miniers hautement toxiques qui en résultent sont stockés dans des lacs et polluent les fleuves et les sources d’eau potable ainsi que tous ceux qui en dépendent. De plus, le personnel de sécurité des mines s’est rendu coupable de torture et d’avoir lâché les chiens sur des personnes ’suspectes’, entraînant plusieurs décès, détaillent les ONG. Cette entreprise combine donc des mauvaises pratiques écologiques et sociales.”

En queue de peloton, deux entreprises se disputent la dernière place : Foxconn (4 700 votes) et Axpo (4 300 votes). La première, l’entreprise d’électronique taïwanaise, qui produit des composants informatiques pour Apple, Dell, HP ou encore Nintendo, est devenue célèbre pour les mauvaises conditions de travail dans ses usines, qui ont poussé 18 employés au suicide en 2010. La seconde, distributeur d’énergie suisse, se procure en toute discrétion de l’uranium auprès de l’usine de retraitement de Maïak, en Russie, l’un des endroits les plus irradiés du monde. “Les eaux usées chargées en déchets radioactifs sont directement déversées dans la rivière Tetcha ou sont stockées dans des bassins à ciel ouvert. Les taux de cancer et de fausse couche sont extraordinairement élevés au sein de la population locale, et de nombreux enfants sont lourdement handicapés”, assurent les associations.

Si dans ce genre d’anti-récompenses, comme pour lesprix Pinocchio décernés par Les Amis de la Terre, l’humour et la dérision sont de mise, les organisateurs n’en sont pas moins un brin défaitistes. “Depuis dix ans que nous organisons ces prix, ce sont toujours les mêmes entreprises qui sont nommées. Elles ressentent le poids de la société civile mais n’en changent pas moins leurs pratiques”, déplore Bruno Heinzer, coordinateur des Public Eye Awards pour Greenpeace.

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