318 enfants d’Haïti pour Noël !

Publié le 4 janvier 2011 sur OSIBouaké.org

LeMonde.fr | 04.01.11 | par Pierre Lévy-Soussan, Psychiatre et psychanalyste, et Sophie Marinopoulos, psychanalyste

Une mère couvre de baisers une enfant en larme qui éloigne son visage d’elle, la mère sourit, presse à nouveau ses lèvres sur les joues mouillées, l’angoisse est visible sur le visage de l’enfant, saisi par les flashes des journalistes.

Superficiellement, une scène émouvante d’une mère adoptante avec une enfant "sauvée" du séisme, du choléra, de la mort. Plus profondément, une enfant incomprise dans sa détresse, dans ses émotions profondes. Une enfant exhibée, manipulée, montrée comme une preuve absolue des "bonnes intentions parentales".

Ces scènes sont semblables à celles que nous avons observées dix mois auparavant, lors de la précédentes "accélération" des procédures d’adoption en Haïti de 368 enfants, à l’aéroport d’Orly. Lors de cette première "livraison" d’enfants du 11 février, nous avions vu des enfants perdus, oscillant entre se taire en se plongeant dans une hypersomnie, des états de sidération, de prostration ; ou bien des enfants hurlant, marchant le regard perdu, n’attendant plus rien de ce monde adulte. La chronologie des troubles permettait d’évoquer une cause traumatique, liée au déplacement dans l’urgence des enfants.

Aujourd’hui l’histoire se répète et risque de compromettre l’adoption pour trois raisons principales : La première est celle de l’urgence du déplacement sans vérification de la fiabilité du dossier médical, psychologique, social. La seconde est secondaire au profil des parents allant en Haïti qui présentent pour beaucoup un statut de célibataire (70 à 80%), de parents plus âgés ou dont le profil psychologique fragile a été refusé dans d’autres pays. La troisième raison est l’absence de cadre juridique fiable garantissant l’accord des parents de naissance pour son adoption (indispensable au regard des trafics d’enfants).

La France s’est déjà faite sévèrement critiquées par les pays partis à la Convention de la Haye lors d’une Commission spéciale en juin sur les adoptions accélérées d’enfants haïtiens, alors que le Bureau permanent de La Haye avait pris le soin de rappeler que "l’adoption internationale n’était pas une solution d’urgence". Le cabinet de M. Kouchner avait décidé de mieux réguler ces adoptions et de respecter les procédures légales, dans l’intérêt de l’enfant. L’exigence éthique choisie était la vérification des procédures afin qu’aucun enfant ne soit issue d’un trafic d’enfants, ou bien que son identité n’ait pas été falsifié comme c’est souvent le cas pour des pays n’ayant pas signé la convention de La Haye.

"Tous les dossiers de ces enfants sont dits sans faille et les procédures datent d’avant le séisme" annonce sans sourciller l’avocat des familles. Ce n’est pas l’avis de Terre des hommes qui dès le 22 décembre dénonce notre empressement : "La majeure partie de ces enfants n’a pas eu de jugement d’adoption : ils ne peuvent légalement pas être adoptés… Leur situation familiale n’a pas été vérifiée par les autorités haïtiennes. Ces enfants ont peut-être encore leur famille et n’ont pas été préparés à quitter leur pays".

La réalité derrière ce "conte de Noël" est un nouveau scandale en matière d’adoption. Alors que la presse française titre "Les enfants haïtiens vont passer Noël en famille", terre des hommes, ONG présente à Haïti, titre "Un enfant pour Noël ?".

UN ENFANT A BESOIN DE PARENT, PAS DE HÉROS

Cette colonisation moderne que véhiculent nos comportements politiques en matière d’adoption, n’est pas tolérable. Pas tolérable de la part d’un pays qui a mis les droits des enfants au cœur de ses préoccupations, pas tolérable au nom de l’adoption qui n’a pas pour vocation de sauver un enfant mais bien de construire une famille.

Les deux processus se distinguent : là où l’intervention humanitaire a une logique légitime d’intervention rapide, la construction filiative demande du temps. On ne devient pas le fils ou la fille d’un sauveur d’enfant. Un enfant a besoin de parent, pas de héros. La dette de l’enfant à ses parents est une dette de vie, jamais une dette de survie. La possession d’enfant ne doit pas prendre le pas sur la construction familiale car si tel était le cas, la haine viendra en lieu et place de l’amour. S’en suivra des faits divers dans lesquels des parents adoptifs abandonneront à nos services de l’aide sociale à l’enfance, leur enfant. Sujet tabou des tabous, trop loin du conte de Noël raconté d’une seule voix en ce 24 décembre.

Les débordements politiques médiatiques qui tiennent à valoriser la main tendue du gouvernement français, les images de parents-sauveurs, les commentaires qui exposent le geste généreux parental doivent être condamnés. Pendant que nous imaginons être des sauveteurs d’enfants, le monde nous regarde. Les plus graves conséquences seront subies par les enfants et leurs familles et les années à venir révéleront des échecs d’adoption fabriqués de toutes pièces. La double "livraison" des enfants d’Haïti va laisser de lourdes traces dans l’histoire de l’adoption internationale en France.

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