Toronto J+4 : Chronique politiquement incorrecte de Sida Info Service

Publié le 28 août 2006 sur OSIBouaké.org

TORONTO 2006 / 19-08-2006 / Chroniques de Toronto J+4

L’un des problèmes que pose ce type de conférence internationale est, pour pouvoir atteindre son objectif mondial, d’avoir des outils tellement globalisants qu’ils finissent par ne rimer à rien. En effet, pour pouvoir échapper à une succession de présentations locales, dans un contexte particulier, avec des enjeux spécifiques, il est nécessaire de trouver des questionnements transversaux à même de retenir l’attention du public. Si cela est le plus souvent possible à l’échelle d’un pays, d’une grande région géo-économique, voire d’un continent, à l’échelle mondiale on risque trop souvent de friser un niveau de généralité proche de la caricature et même du ridicule. La table ronde « Engaging men in Gender Equity and HIV/AIDS » (Engager les hommes dans un processus d’égalité des genres dans le contexte du sida  ) présente un bon exemple de cet écueil. Se basant sur une analyse globale, à l’échelle de la planète, les différents orateurs ont présenté une vision apocalyptique de la masculinité et de la socialisation en tant qu’homme.

Sans même caricaturer, le processus de socialisation hétéro-patriarcal des jeunes hommes basé sur un primat de la notion de compétition les rendait coupables de la violence au sein de leur communauté, de la violence intra-communautaire, de la domination masculine, des abus sexuels et en dernier lieu de la transmission du vih  /sida  . Seul bémol face à ce constat, les évolutions positives que connaissent les pays industrialisés où existe un début de partage dans les tâches domestiques. D’où la nécessité de réformer l’éducation des garçons en vue de réduire la transmission du sida  , avec des exemples à l’appui de campagnes de sensibilisation au Brésil, en Afrique du Sud et au Kenya.

Au sortir de cette table ronde, retrouvant ma collègue et amie Annie Velter de l’InVS qui assistait aussi à cette séance, je ne pus m’empêcher de lui dire de ne pas s’approcher de moi : je n’étais qu’un monstre plein de testostérone prêt au crime et au viol. J’espérais simplement en tant que gay avoir quelques circonstances atténuantes en regard de mon genre.

La question n’est bien évidemment pas de remettre en cause l’immense travail mené en anthropologie, en sociologie, au sein des études féministes démontrant les mécanismes de la domination masculine. Mais un usage d’autant plus simpliste qu’il doit gommer toutes les différences culturelles des travaux portant sur la construction du masculin et du féminin rendait les conclusions de cette session grotesques. Pour simplifier (et là je caricature, mais à peine) l’humanité était constituée de deux grands groupes : les hommes (les bourreaux) et les femmes (les victimes). La duplicité des premiers est telle qu’ils utilisent même un virus pour assurer leur pouvoir.

De manière portant beaucoup moins à polémique, la même logique des catégories ultra-globalisantes est apparue l’après-midi même lors de la table ronde portant sur la reprise de l’épidémie chez les hommes ayant des rapports sexuels avec d’autres hommes. Chaque intervention portait globalement sur une grande zone géographique pour pouvoir établir des comparaisons. L’orateur américain se devait de procéder à l’analyse de la situation aux Etats- Unis et dans les pays industrialisés (Canada, Europe de l’Ouest, Australie, Nouvelle-Zélande). En fait, pensant probablement que le monde des riches est univoque, son intervention n’a porté que sur des données états-uniennes sans intervention contradictoire, du moins à ma connaissance (j’avoue avoir quitté la salle avant la fin des questions pour éviter un énervement mal venu). Le phénomène a du moins la chance d’être risible puisque si quelqu’un avait lu le titre de la communication, puis n’avait assisté qu’aux conclusions de l’intervention, il aurait retenu que le principal problème des pays industrialisés vis-à-vis de la population gay était la minorité afro-américaine. J’espère que l’INPES et la Direction générale de la santé vont vite se saisir de cette question pour notre politique nationale.

Enfin, je suis heureux d’apporter un véritable scoop au travers des ces chroniques. Sans que nous le sachions, le Canada, la Nouvelle-Zélande, l’Europe de l’Ouest, et donc la France, ont été annexés et nous sommes tous devenus citoyens états-uniens au cours de cette avant-dernière journée de congrès.

Pierre-Olivier de Busscher

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