Libre de parler sous couvert d’anonymat

Publié le 18 novembre 2010 sur OSIBouaké.org

Le Monde - Chronique d’abonnés - par Marie Ansquer - 16.11.10

« La démocratie, c’est la liberté d’expression, » qui pourrait contredire les propos de Aung San Suu Kyi, symbole de ce combat dans un pays cadenassé de tous bords ? En soi personne et pourtant, rares sont les pays, même occidentaux, où la liberté d’expression est totalement libre.

On est libre de penser, mais libre de parler, il en est moins sûr. Autrement dit, il n’y a pas équation parfaite entre la liberté de pensée et la liberté de parole. Vous pensez une chose, mieux vaut parfois garder ses lèvres scellées. Bien sûr, pas de résidence surveillée. Heureusement ! mais très certainement une forme d’intimidation qui d’ailleurs fonctionne relativement bien. L’évolution du relationnel au travail en fournit la preuve. Même si toute vérité est, dit-on, bonne à dire, il est sage de la taire à moins d’être juridiquement bien armé. Où alors, il est préférable d’appartenir à une organisation aux reins solides. La critique même bien échafaudée et raisonnable s’avère parfois difficile à exprimer par un seul individu. La prise de risque est bien réelle dans certains milieux.

Il existe dans la fonction publique, mais aussi dans nombre de professions, ce que l’on appelle le devoir de réserve. La mesure est certes essentielle et permet de protéger les individus. Mais jusqu’où peut aller le devoir de réserve lorsqu’il y a danger dans la maison ? Un salarié ne doit-il pas dénoncer les graves dysfonctionnements d’un service sans courir le risque de la réprimande, voire pire ? La limite est finalement floue. Il faut savoir dire sans avoir rien dit. Pas vu pas pris. À voir l’usage excessif de l’anonymat sur la toile, il est difficile de nier l’appréhension et peut-être même la peur des individus lorsqu’ils expriment une opinion. La crainte de la représaille s’est incrustée dans les mentalités. Évidemment, l’intensité langagière de certains propos impose l’anonymat. Mais nous faisons ici allusion à de simples avis, nous ne parlons pas d’injures ou de diffamation.

Une liberté d’expression sous le sceau de l’anonymat peut-elle être toujours le garant de la démocratie ? Vaste débat… qui déclenchera peut-être une rafale de réactions… encore anonymes. Dommage ! le pseudo est roi et passe-partout. Aujourd’hui, la liberté d’expression consiste à se créer un autre nom afin de s’exprimer librement. À croire qu’il est de plus en plus périlleux d’émettre un avis en signant de son vrai nom. Il est permis de s’exprimer à condition de rester masqué. Quelle drôle de liberté d’expression ! Les grandes démocraties occidentales n’ont pas de quoi pavoiser. Pourtant, la soif de s’exprimer est bien là, prête à bondir au moindre soubresaut de l’actualité. En attendant, il en existe d’autres qui jettent leur tablier pour retrouver leur liberté de parole, à visage découvert cette fois et sans crainte de mise à pied.

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