Nagoya mon amour (les charlatans au pouvoir)

Publié le 2 novembre 2010 sur OSIBouaké.org

Planète Sans Visa - Fabrice Nicolino- le 31 octobre 2010 - La ville japonaise de Nagoya vient d’accueillir 12 journées de blabla. Soit la dixième Convention mondiale sur la biodiversité depuis la signature d’un traité au cours du Sommet de la terre de Rio, en 1992. La quasi-totalité des commentaires publiés au sujet de Nagoya sont ineptes, sous-informés, ridicules. Ne rayez aucune mention, car nulle n’est en l’occurrence inutile. Rappelons qu’à Rio, il s’agissait déjà de « conserver la diversité biologique », de « veiller à l’utilisation durable » de la biodiversité et de « partager équitablement ses ressources ». Vingt ans plus tard, rien n’a bougé. Ou plutôt, tout s’est aggravé dans des proportions inouïes. Il existe - faut-il réellement le rappeler ?

  • un consensus chez les biologistes de la conservation de la nature : nous vivons la sixième crise d’extinction des espèces, probablement plus grave que celle qui entraîna la mort des dinosaures il y a 65 millions d’années.

Autrement exprimé, nous sommes plongés dans une crise biblique, ou plutôt biosphérique, dont personne ne peut prévoir les conséquences. Elles sont d’ores et déjà au-delà du drame. Mais qu’importe aux politiciens de ce monde ? Avant même que quiconque ait pu lire les articles techniques et foisonnants du soi-disant Accord de Nagoya, tout le monde était sur le pont pour enfumer un peu plus un public enivré. La palme à Chantal Jouanno, sous-ministre à l’Écologie présente au Japon, qui avait lâché dès le 28 octobre : « Disons-le franchement, c’est une négociation qui a l’obligation d’aboutir. Après Copenhague, l’échec de Nagoya n’est pas permis ». Comme c’était interdit, cela ne s’est donc pas produit, et dès la fin de la conférence de Nagoya, madame Jouanno a pu clamer devant les caméras sa joie devant la « réussite extraordinaire » d’un « Accord historique ».

Je le répète : personne, PERSONNE ne sait ce qui a été signé réellement. Je fais confiance aux surpuissants lobbies présents dans les coulisses pour avoir influencé la rédaction des principaux articles au profit de leurs mandants de l’industrie. Tout n’est que mise en scène, et si par extraordinaire une décision utile figurait au programme, retenez avant tout que le texte adopté n’a pas la moindre valeur contraignante. Ce ne sont de toute façon que des mots ! L’objectif passé de cette fumeuse Convention mondiale - la dixième, je le répète - était 2010. Lisez par vous-même (au bas de cette page, un document en français, à charger) ce texte officiel, qui date de 2006. Je cite : « Atteindre l’objectif de 2010 relatif à la diversité biologique est une tâche ambitieuse mais le faire est essentiel. Cet objectif engage les Parties à la Convention sur la diversité biologique à parvenir, d’ici 2010, à un ralentissement sensible du rythme actuel d’appauvrissement de la diversité biologique aux niveaux mondial, régional et national, de façon à contribuer à l’atténuation de la pauvreté et pour le plus grand bien de toutes les formes de vie sur Terre ». Et c’est signé : Ahmed Djoghlaf, secrétaire exécutif de la Convention sur la diversité biologique.

Le même engagement, qui ne sera pas tenu, vient d’être pris solennellement. Ce n’est plus 2010, mais 2020. Et ce sera ensuite 2030, 2040, et la suite. Un salut confraternel au journal Le Monde, qui se fend dans son édition du dimanche 31 octobre d’une manchette de Une en tout point mensongère : « Biodiversité,un accord mondial décisif est adopté ». Page 4, l’accord décisif - i.e qui aboutit à une conclusion

  • est devenu, dans le titre, un « accord limité mais significatif ». Est-ce bien la même chose ? Je vous pose la question. Preuve de l’immense intérêt porté au sujet, notre quotidien de référence s’est contenté d’envoyer sur place son correspondant à Tokyo, Philippe Mesmer. Ce n’est pas faire injure à ce dernier que de dire cette évidence qu’il ne connait rien au sujet, et qu’il a dû improviser un papier dans l’extrême urgence d’une fin de conférence savamment manipulée.

Je renvoie pour un peu plus de sûreté à la déclaration du Colombien Karmen Ramírez Boscán, lui aussi présent au Japon. Représentant du peuple indien Wayúu, Boscán a parlé de trahison, ajoutant : « Nous étions là, nous avons pu nous exprimer, mais toutes les choses que nous demandons depuis longtemps pour le respect des savoirs traditionnels et des ressources génétiques des terres indigènes n’ont pas été prises en compte ». Pas de conclusion. Ma foi, non, car c’en est une.

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