ONG : le grand tournant

Publié le 22 octobre 2010 sur OSIBouaké.org

Temoignage Chrétien - Elsa Fayner - 21 Octobre 2010 - Devenues des acteurs incontournables de la géopolitique, les ONG humanitaires ont acquis un pouvoir et une influence qui peuvent se retourner contres elles. Jusqu’à mettre leurs actions en péril.

C’est l’une des opérations les plus massives de l’histoire de l’humanitaire. Le séis­me du 12 janvier 2010 a tué en Haïti entre 217 000 et 300 000 personnes. Estimation globale des dégâts : 14 milliards de dollars. Deux tiers des contributions des bailleurs de fonds passent par les dizaines d’ONG humanitaires qui s’activent pour soigner, reconstruire, assurer l’accès à l’eau potable et aux denrées de première nécessité.

ONG Plurielles

Elle est bien loin l’image de la poignée de médecins français qui, en 1968, débarquaient au Biafra, sac de riz sur l’épaule, pour secourir les populations frappées par le blocus et les affrontements. En 1971, ils créaient Médecins sans frontières (MSF  ). Viendraient ensuite, dans la lignée, Action contre la faim (ACF), Médecins du monde (MDM), Handicap   International (HI), Solidarités, Première Urgence…

Aujourd’hui, on compterait 40 000 ONG dans les pays du Nord, selon l’Union des associations internationales. Entre 300 000 et 500 000 ONG dans les pays du Sud, en fonction des sources. L’estimation reste délicate, car il n’existe aucune définition légale de l’organisation non gouvernementale. Encore moins de l’ONG humanitaire.

Une chose est sûre, toutefois : celle-ci se distingue des deux autres grandes familles d’ONG, celles qui œuvrent dans le domaine de l’environnement, comme WWF ou Greenpeace, et celles qui défendent les droits de l’homme, comme Amnesty International ou Human Rights Watch. En affinant, l’« ONG humanitaire » se démarque aussi de l’« ONG de développement ». Elles sont d’ailleurs apparues successivement dans le temps.

Origines

En 1942, des citoyens britanniques fondent l’Oxford Committee for Famine Relief (Oxfam), pour soutenir la population grecque, sous occupation nazie, qui connaît une situation alimentaire et sanitaire effroyable. En 1946, c’est l’américaine Care, nouvellement créée, qui fait parvenir par bateau 15 000 colis de vivres à la population française.

La décolonisation conduit ces premières grandes ONG à élargir leurs activités, de l’assistance aux victimes de guerres au développement des sociétés du Tiers-monde. L’idée : répondre aux difficultés structurelles, en matière d’éducation, de santé, d’accès à l’eau potable, etc. S’instal­ler dans la durée, travailler avec les associations et les gouvernements locaux.

Sans Frontières

Mais que faire en cas catastrophes naturelles, ou de conflits armés, quand les gouvernements ne donnent pas leur aval, et qu’il y a pourtant urgence ? Dès le début des années 70, une nouvelle génération d’ONG entend répondre. On commence à parler de « sans-frontiérisme », et d’« ONG humanitaires d’ur­gence ».

La fin de la guerre froide, l’essor du multilatéralisme, le regain de vigueur des Nations unies leur donne une place qu’elles n’avaient ja­mais occupée auparavant.

Même si, en matière de solidarité internationale, le modèle largement dominant reste celui de l’association qui soutient la construction d’une école kenyane, le parrainage d’étudiantes chinoises ou l’artisanat d’un village mongol. Seules quelques organisations atteignent une dimension transnationale et peuvent intervenir simultanément dans une centaine de pays.

« Dans presque tous les pays du Nord, 20 % des ONG concentrent entre 80 et 90 % des ressources to­tales », estime Philippe Ryfman, auteur d’une Histoire de l’humanitaire (La Découverte). Les revenus des plus importantes rejoignent ceux d’entreprises multinationales : 1,8 milliard d’euros pour la plus riche, l’Américaine évangélique World Vision.

Incontournables

Est-ce à dire que les organisations humanitaires sont devenues des ac­teurs incontournables sur la scène internationale ? Difficile d’imaginer aujourd’hui une guerre, une épidémie, un cyclone sans le soutien immédiat de centaines d’ONG, comme ce fut le cas lors du tsunami : les humanitaires européens et américains, mais également taïwanais, chinois, japonais, sud-coréens, australiens ou singapouriens ont débarqué en quelques jours pour secourir les victimes.

De plus en plus puissantes, de plus en plus professionnelles, les organisations humanitaires sont désormais capables d’intervenir avec rapidité et méthode n’importe où. Puis de prolonger leur intervention d’urgence en action de reconstruction, voire, sur un plus long terme, de développement.

Car la tendance est au « multi mandats ». La distinction entre « ONG de développement » et « ONG humanitaires » perd peu à peu de sa pertinence. Les ONG humanitaires aujourd’hui s’attardent après les crises, parfois des années. Elles vont jusqu’à intégrer des fonctions de proposition, de dénonciation, ou de plaidoyer pour peser dans les décisions internationales.

En 1997, un regroupement de six ONG, dont Handicap   International, obtenait ainsi le Prix Nobel de la Paix après avoir mené campagne pour la suppression des mines antipersonnel.

La confusion des gen­res guette, pourtant. Car bien qu’autoproclamées « non-gouver­nemen­ta­les », les ONG dépendent pour la ma­jorité du bon vouloir financier de leur gouvernement. Tandis que les Nations unies entreprennent de coordonner au niveau in­ternational les moyens de l’action humanitaire, au nom d’une meilleure efficacité. Comment distinguer, alors, entre les intentions des ONG participantes et celles des pays membres de l’ONU   ?

Confusions

Le flou devient d’ailleurs total en cas d’intervention armée. Ainsi, en 1992, en Bosnie, le déploiement de convois militaro-humanitaires n’a pas aidé à dissiper la confusion qui règnait déjà entre les positionnements politiques et les responsabilités humanitaires.

Aujourd’hui, au Darfour, ce sont les Casques bleus qui escortent les humanitaires dans certaines zones. Pour des raisons de sécurité là encore. Et les ONG ne cessent de marteler leurs différences.

Pas facile, pourtant, sur place et par média interposé, de savoir qui est qui, qui fait quoi. Encore moins quand, en Afghanistan, les militaires français se mettent à construire des écoles, misant sur le développement pour pacifier le pays.

D’ailleurs, « pour certains hommes d’État, pour certains généraux, l’action humanitaire n’est qu’une composante d’une action plus globale, politique et militaire. Ils estiment que nous visons tous le même but, et le font savoir, s’inquiète Bruno Jochum, directeur des opérations pour MSF   Suisse. Résultat : des populations locales qui ne seraient pas d’accord avec ces objectifs globaux ne font plus la distinction entre militaires et humanitaires. »

Tribut

Sur le terrain, ce sont les travailleurs humanitaires qui en payent les conséquences. En 2008, 62 ont été kidnappés, et 122 tués, dont 104 recrutés localement, selon l’ONU  . Trois fois plus que dix ans plus tôt. Si le recueil de l’information s’est certainement amélioré, il n’en reste pas moins que la ten­dance est à la hausse.

Plus globalement, c’est l’existence même d’orga­nisations humanitaires bâties sur des principes d’indépendance et d’impartialité qui est en jeu.

Sauront-elles se réinventer dans un monde qui s’est recom­posé ?

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