Les savoirs kanak bientôt « brevetés »

Publié le 28 septembre 2010 sur OSIBouaké.org

Les nouvelles calédoniennes - 15 Septembre 2010 - Jeudi dernier, le gouvernement a examiné le premier jet d’un projet de loi qui invente le concept de droits intellectuels autochtones, taillé sur mesure pour défendre et valoriser les savoirs coutumiers kanak. Lorsque cette loi du pays aura abouti, la Nouvelle-Calédonie sera à l’avant-garde de la protection des savoirs traditionnels.

Ce qui se trame ici n’a quasiment pas d’équivalent dans le monde ; seule l’Amérique latine, et notamment le Pérou, a tenté l’expérience. Il s’agit de tailler sur mesure un système juridique protégeant les savoirs kanak, dans le respect de l’esprit et des valeurs de la coutume. Des savoirs, artistiques, culturels et biologiques, qui se transmettent oralement de génération en génération et que d’autres s’approprient pour en tirer seuls les bénéfices. Jeudi dernier, Régis Lafargue, conseiller à la Cour de cassation, a présenté un avant-projet de loi du pays devant le gouvernement réuni en collégialité. D’emblée, le magistrat prévient les inquiétudes : « Ce projet de loi ne cherche pas à écrire le droit coutumier, simplement à élaborer une procédure et donner un cadre [juridique] permettant l’expression de la coutume. » « C’est un travail lancé il y a plusieurs mois, à la demande de la province Nord », poursuit Déwé Gorodey, membre du gouvernement en charge de la culture, de la condition féminine et de la citoyenneté. Pour élaborer ce premier jet, un comité de pilotage, présidé par Emmanuel Tjibaou, a été créé début août : « L’idée, c’était de partir de la pratique, des questions soulevées par nos vieux, par nos clans », explique-t-il, fort du travail d’enquête et de conservation du patrimoine mené au sein de l’ADCK (*). Pas question d’appliquer ici la notion de propriété intellectuelle du Code civil français pour protéger la culture traditionnelle kanak. D’abord parce que « ces savoirs ne sont pas la création d’individus, mais sont hérités des générations antérieures », précise Régis Lafargue. Ensuite parce que « la Nouvelle-Calédonie a, de toute façon, compétence en droit coutumier et pas en droit civil ».

Là, c’est comme si la coutume n’avait pas de visage.

[La loi reconnaîtra que les savoirs traditionnels appartiennent au peuple autochtone. ::] La solution passe alors par l’invention du concept de droits intellectuels autochtones, complètement modelé sur la situation calédonienne. « Chaque génération présente est le dépositaire et le gardien de ce patrimoine collectif autochtone inaliénable », pose le conseiller à la Cour de cassation. La loi du pays reconnaîtra que ces savoirs appartiennent au peuple autochtone, que celui-ci en a les droits intellectuels, et créera un régime « d’accès et de partage des avantages » commun aux trois provinces. Et pour que cela ne reste pas un vœu pieux, l’idée est de créer une Haute autorité indépendante calédonienne auprès de laquelle les clans pourront enregistrer leurs savoirs sur un fichier de la propriété intellectuelle traditionnelle (lire en repères). Lorsqu’une demande de brevet extérieur sera déposée, par exemple, sur une plante pour ses vertus thérapeutiques, la Haute autorité pourra comparer avec le fichier du patrimoine kanak et refuser si le savoir appartient déjà à un clan.Car, il ne faut pas se leurrer, « les chercheurs ne se hasardent guère à chercher une application sur telle ou telle plante, sans avoir déjà pris connaissance auprès de la population de ses vertus », fait remarquer Régis Lafargue. La future loi du pays aura pour but de rétablir l’équité. En dehors du travail législatif restant à mener sur ce texte, reste à savoir si ceux qui détiennent les savoirs auront envie de les enregistrer, même auprès d’une autorité indépendante. « Cela passera par une relation de confiance, répond Emmanuel Tjibaou. L’ADCK a déjà commencé ce travail auprès des coutumiers, avec le recueil de données. Il faudra faire de l’information sur cette structure. Ce projet est très important, car, là, c’est comme si la coutume n’avait pas de visage. »

Bérengère Nauleau

(*) ADCK : Agence de développement de la culture kanak.

imprimer

retour au site