Les origines animales de la culture

Publié le 28 juillet 2010 sur OSIBouaké.org

OSI Bouaké - SD - 29 juillet 2010

En plein été, les conseils de lecture sont bienvenus. Voici le notre !

Dominique Lestel (2001), Les origines animales de la culture , Champs Essais, Flammarion, 2003, Paris : 414 pages, 10€ - ISBN-10 : 2080800698 - ISBN-13 : 978-2080800695

Présentation de l’éditeur : L’éthologie contemporaine a opéré une révolution majeure dont on n’a pas encore pris la mesure. Les représentations classiques de l’animal ne sont plus tenables : l’opposition entre nature et culture ne suffit plus à rendre compte de la différence qui sépare l’homme de l’animal. Une véritable ethnologie est désormais nécessaire pour comprendre de nombreuses sociétés animales comme celles des chimpanzés, des éléphants ou de certains mammifères marins. Réexaminant les notions d’outils, de communication, de rationalité, Dominique Lestel montre que les comportements culturels ne constituent pas une rupture propre à l’humain, mais qu’ils émergent progressivement dans l’histoire du vivant. Il suggère par ailleurs que certains animaux doivent être considérés comme d’authentiques sujets dotés d’une histoire, d’une conscience de soi et de représentations complexes. Autant dire que le statut de l’humain doit être repensé de façon radicale : c’est là une des questions majeures du XXIe siècle

Quatrième de couverture : L’éthologie contemporaine a opéré une révolution majeure dont on n’a pas encore pris toute la mesure. Les représentations classiques de l’animal ne sont plus tenables : l’opposition entre nature et culture ne suffit plus à rendre compte de la différence qui sépare l’homme et l’animal. Une véritable ethnologie est désormais nécessaire pour comprendre de nombreuses sociétés animales comme celles des chimpanzés, des éléphants ou de certains mammifères marins. Réexaminant les notions d’outil, de communication et de rationalité, Dominique Lestel montre ici que les comportements culturels ne constituent pas une rupture propre à l’humain mais qu’ils émergent progressivement dans l’histoire du vivant. II suggère par ailleurs que certains animaux doivent être considérés comme d’authentiques sujets dotés d’une histoire, d’une conscience de soi et de représentations complexes. Autant dire que le statut de l’humain doit être repensé de façon radicale : c’est là une des questions majeures du XXIe siècle.


  • Une longue note de lecture sur cet ouvrage ici.

Conférence de Dominique Lestel : L’animal est l’avenir de l’homme


Dominique Lestel, L'animal est l'avenir de l'homme
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Dominique Lestel est philosophe et éthologue. Il enseigne les sciences cognitives à l’École Normale Supérieure. Il est aussi chercheur associé en éco-anthropologie pour le Muséum d’histoire naturelle. Il s’oppose aux représentations classiques de l’animal, et s’intéresse particulièrement aux interactions homme-animal. Il est l’auteur notamment de L’animalité, essai sur le statut de l’humain (1996) et de Les origines animales de la culture (2001).

Transcription de la conférence : "La vie en commun avec l’animal constitue ce que signifie être humain.

* Je vais vous parler de l’homme et de l’animal en prenant le contre-pied total de ce qui vient d’être dit, puisque, pour être rapide, pour introduire cet exposé, on pense en général que nous sommes cousins de l’animal, et que nous provenons de l’animal et donc que l’animal est notre passé, alors que l’animal est plutôt notre futur, que notre passé.

* Il faut repenser l’histoire dans laquelle nous nous situons, et en particulier notre histoire culturelle occiendentale. Le rapport homme/animal a été pensé dans la tradition occidentale en termes de propre de l’Homme, notion absolument décisive. Or le propre de l’Homme c’est ces caractéristiques qui font non seulement que l’Homme est différent de l’animal, mais également que l’homme par ses caractéristiques, est tellement différent de l’animal que ça l’en fait sortir de l’animalité.

* Jusqu’au XIXe siècle, le propre de l’Homme était pour beaucoup des caractéristiques soit métaphysiques, soit théologiques, comme la possibilité d’avoir une âme ou une raison, mais prises dans une perspective encore très théologique. Un premier changement apparaît véritablement avec Darwin. Par l’intermédiaire de sa thérorie de l’évolution, il propose une autre histoire, disant en substance"nous ne sommes pas si différents des autres animaux, puisque fondamentalement, nous sommes aussi des animaux. Fondamentalement, les humains sont des grands singes.Fondamentalement nous sommes extraordinairement liés aux grands singes, notre passé est celui des grands singes, nous provenons d’une lignée phylogénétique qui est celle des grands singes." Une dame anglaise aristocratique de l’époque ayant entendu cela a dit paraît-il : "Mon Dieu, pourvu que cela ne se sache pas." C’est raté, ça c’est sûr.

* Donc à partir de Darwin, nous savons que nous sommes des primates. On va ensuite en biologie, en éthologie, etc., dans des disciplines qui s’intéressent à ce que sont les animaux, en génétique, on va montrer que nous sommes d’une proximité extrêmement grande entre l’humain et les autres grands singes. Comme disait Sirulnick : "Nous sommes 100 % grands singes". Il n’y a aucune ambiguité sur cette question. Mais nous ne sommes pas uniquement des grands singes. Nous sommes aussi autre chose, nous sommes aussi des humains qui se sont développés dans un environnement, et ça mérite d’être clair et de comprendre un peu plus ce qui est en question.

* Ce qui est en question en particulier avec Darwin, c’est que l’animal est fondamentalement ce dont on provient. Mais on peut essayer d’adopter une autre perspective et considérer que l’animal est aussi ce qui est notre futur, et c’est ce que je vais essayer de faire ici.

* Que ce soit avec Darwin, ou avec la théologie ou la philosophie classiques, il y a toujours une grande différence entre l’homme et l’animal. Même avec Darwin, et c’est ce que vont montrer ou essayer de montrer les paléoanthropologues et les préhistoriens, nous sommes dans une perspective de différenciation avec l’animal. Autrement dit, l’homme s’est constitué comme homme contre l’animal. Il n’y a plus une espèce de faculté merveilleuse qui nous sépare de l’animal, mais il y a plus exactement une mutation miraculeuse, qui fait que nous sommes différents. Ce que l’on va avoir, ce sont des caractéristiques, par exemple cognitives, de cognition, de méta-cognition, de raisonnement, de raison, qui vont nous mettre au-delà de l’animalité. Dans tous les cas de figure, on est pensés comme étant à part. Il y a beaucoup d’autres traditions qui nous mettent au contraire au milieu de l’animalité.

* Déjà, dans une perspective occidentale, un anthropologue français, George André Audrécourt, avait eu une phrase remarquable et qui mettait sur la piste de ce qui peut être en question ici. Il disait que c’étaient les chevaux qui avaient appris à l’Homme à courir, que c’étaient les grenouille qui avaient appris à l’Homme à sauter, et que c’étaient les oiseaux qui avaient appris à l’Homme à chanter. Dit d’une façon un peu métaphorique, ça veut dire que nous avons appris quelques-unes de nos caractéristiques humaines fondamentales de l’animal et de l’animalité. Il y a toute une série de traditions non-occidantales, une majorité, en fait, qui disent que nous sommes, les humains, tributaires des autres animaux, nous sommes profondément liés aux autres animaux, non seulement dans une perspective phylogénique, dans une perspective historique, mais aussi dans une perspective écologique et spirituelle. Nous sommes fondamentalement des êtres qui avons interagi, et qui continuons fondamentalement d’inte ! ragir avec les animaux. En ce sens la question de la domestication devrait être complètement reprise. A partir du moment où nous sommes devenus humain, non pas contre les animaux, mais tout contre, c’est-à-dire avec l’animal, la question de la domestication devient autre chose qu’une simple relation instrumentale, ça devient une véritable relation ontologique, qui mérite d’être pensée dans cette perspective. Un projet tout à fait fondamental dans les années à venir est d’essayer de penser ce que nous devons à l’animal, en quoi nous sommes tributaires de l’animal, et en quoi nous sommes encore tributaires de l’animal.

* C’est-à-dire en particulier que la question de la disparition des animaux, du sort qui est fait à l’animal aujourd’hui, cette question ne relève pas seulement d’une urgence écologique, mais d’une urgence ontologique. L’un de ceux qui avaient le mieux vu ce point, et de façon très précoce, c’était un écrivain français, Romain Gary, avec son prix Goncourt en 1956, Les Racines du Ciel, qui est un roman très bizarre, très étrange, avec un individu, Morel, qui se bat au Tchad pour le défense des éléphants sauvages. On est en 56, on n’est pas encore dans la vogue écologique. Ce que montre très bien Romain Gary, c’est que personne ne comprend ce qui se passe, ce que veut cet individu. En particulier, les indépendantistes (le Tchad est encore une colonie française) pensent que c’est une ruse des Français pour empêcher la décolonisation, et les Français pensent que c’est une ruse des indépendantistes pour accélérer la décolonisation. Et quand quelqu’un demande à Morel "Pourquoi est-ce que tu t’intéresses aux éléphants, pourquoi est-ce que tu veux sauver les éléphants ?", Morel répond "parce que ma liberté est liée à la liberté des éléphants". C’est absolument fondamental : il décrit, explique, conceptualise les raisons pour lesquelles lui, homme, ne peut plus S eatre libre si des animaux comme les éléphants ne sont plus être libres dans leur existence. Il établit là un lien ontologique absolument fondamental entre son existence d’homme en tant qu’homme et l’existence des éléphants. C’est l’une des premières fois où ceci est dit d’une façon si claire et aussi explicite.

* Un autre auteur auquel on peut se référer pour trouver des outils pour penser cela, c’est un auteur américain peu connu, Paul Sheppard, qui a développé une écologie de l’humain, qui n’a rien à voir avec ce qu’on entend aujourd’hui par écologie de l’humain, puisque la question qu’il se posait était de savoir comment on pouvait comprendre les relations ontologiques, intrinsèques, fondamentales qui lient l’homme avec les autres animaux. Sheppard avait une expression extrêmement juste "les animaux étaient les premiers habitants de l’oeil de l’esprit", c’est un peu obscur, mais c’est une phrase qui permet de comprendre comment on peut changer assez radicalement de perspective sur les relations de l’homme et de l’animal. Pour lui, nous sommes fondamentalement des interlocuteurs des animaux, et les animaux sont des interlocuteurs de l’humain, et à tous les niveaux, pas seulement au niveau phylogénétique. Dans une perspective phylogén ’e9tique, nous sommes énormément liés aux animaux, mais dans une perspective développementale aussi. Il se désole du fait que de plus en plus , les enfants ne sont plus en contact avec les animaux, avec la nature, parce que le contact avec l’animal, la vie en commun avec l’animal, constitue ce que signifie être humain. Il y a un renversement de perspective intéressant, car on a l’habitude de penser que ce qui nous fait véritablement humain, c’est ce qui va nous séparer nous séparer de l’animal, alors que quelqu’un comme Sheppard montre que ce qui nous fait fondamentalement, être humain, c’est au contraire capacité formidable que nous pouvons avoir à nous rapprocher de l’animal. Toute la pensée homme-animal en général dans nos pays est faite en insistant sur les différences, et il serait intéressant de repenser ces relations dans une perspective de convergence, et de penser ces convergences. Elles vont être de plus en ! plus importantes avec un nouvel acteur, qui va nous obliger à repenser notre relation avec l’animal,ce nouvel acteur est la robotique autonome et toutes les technologies cognitives et les technologies de l’information que nous avons aujourd’hui. Une des caractéristiques fondamentales de notre technologie, c’est de développer des technologies partiellement autonomes. Par exemple, vous avez peut-être vu les AIBO de Sony, ces espèces de chiens artificiels, très impressionnants. Ce sont des robots, aucune ambiguïté sur la question, mais quand vous êtes en face d’un AIBO, vous vous laissez attirer : ce sont des machines qui sont des véritables pièges affectifs et des véritables pièges de signification. Or, nous allons multiplier autour de nous des artefacts de ce type, des artefacts auxquels nous allons pouvoir donner un statut d’interlocuteur ; pour pouvoir vivre avec eux, nous allons devoir utiliser, mobiliser des ressources que nous avon ! s à notre disposition, et ce sont les ressources que nous avons dª 9veloppées dans la domestication avec les autres animaux. Dans la perspective des technologies cognitives, la question de la domestication mériterait d’être complètement reprise.

* Pour continuer dans cette perspective, il est important comprendre que l’animal peut être notre futur, non seulement en continuant de pouvoir constituer ce qu’est l’humain, et à cet égard, il y a beaucoup de discussions autour du post-humain, et dans une perspective extrêmement productiviste, le post-humain est toujours vu comme celui qui fait plus, qui peut plus. Je pense que l’on peut essayer de penser le post-humain différemment, comme humain re-déployé, et en particulier dans ses relations avec l’animal et l’animalité.

* L’animal peut être aussi un avenir pour l’humain dans une autre perspective, qui a été très bien mise en évidence par un autre écrivain, l’écrivain américain de science-fiction Philip K. Dick, dont un roman Les Androïdes rêvent-ils de moutons électriques, qui a donné le film Blade Runner, porte sur les relations de l’homme avec l’animal, et sur les relations de l’homme avec la machine. Le thème de ce roman, et de ce film, est la façon dont l’homme va instaurer, développer de nouvelles alliances avec l’animalité, pour pouvoir se défendre face à une artificialité, qui va prétendre devenir, non seulement des interlocuteurs, mais aussi des concurrents sérieux pour vivre.

Pour en savoir plus

Transcript de la conférence

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