Sida : entretien avec le Nobel de médecine Barré-Sinoussi

Elle est femme et chercheur, elle vient d’avoir le prix Nobel de médecine

Publié le 7 octobre 2008 sur OSIBouaké.org

Par Têtu.com | Le site des gays et des lesbiennes | 06/10/2008 | 20H03

Françoise Barré-Sinoussi, 61 ans, a reçu avec le professeur Luc Montagnier le prix Nobel de médecine pour ses travaux qui ont permis, en 1983, d’isoler le virus VIH  . Lorsqu’elle a appris la nouvelle, ce lundi, elle se trouvait à l’Institut Pasteur du Cambodge, où elle dirige le site de l’Agence nationale de recherches sur le sida   et les hépatites (ANRS) en Asie du Sud-Est.

Interrogée, à Phnom Penh, en exclusivité pour Têtu, elle a rendu hommage aux militants des associations de lutte contre le sida   et s’est exprimée en faveur de l’accès aux médicaments génériques pour les pays du Tiers-Monde.

Ce prix met-il fin à la polémique sur la paternité de la découverte du virus du sida   ? De mon point de vue, cette polémique avait déjà trouvé son point final depuis longtemps. Aujourd’hui, néanmoins, c’est le professeur Luc Montagnier et moi-même qui avons été désignés, et pas l’équipe américaine. Cela dit, il faut reconnaître les travaux des chercheurs américains. Il est vrai qu’il s’est écoulé un long moment entre 1983 et la remise de ce prix, mais ce n’est pas le premier exemple en la matière, et cela ne provient pas de la polémique.

Aujourd’hui, où en est la recherche pour un vaccin contre le sida   ? On ne peut absolument pas dire à quel horizon un vaccin sera disponible, ni s’il existera un jour. Mais des pistes entières de la recherche n’ont pas encore été abordées, et j’espère que, grâce à ce prix, les efforts vont s’amplifier.

Dans les pays du Tiers-Monde, certains organismes américains continuent de considérer l’abstinence comme un des trois piliers de la prévention contre le sida  , avec le préservatif et la fidélité… Il est vrai qu’une classe d’hommes politiques américains organise des campagnes sur l’abstinence, mais aujourd’hui, ils en sont bien revenus. Sur le terrain, la grande majorité des professionnels, y compris américains, ne se retrouvent plus dans la promotion de l’abstinence, heureusement.

En France, après l’instauration des franchises médicales, plusieurs patients ont annoncé une « grève de soins », et l’un d’entre eux, séropositif, a arrêté son traitement pendant plusieurs mois. Que pensez-vous de cette démarche ? Je suis proche des activistes des associations de lutte contre le sida  , qui ont beaucoup fait avancer les choses. Mais je ne me retrouverai jamais dans une démarche aussi dangereuse, à titre individuel ou collectif. Je ne comprends pas cette méthode, ce n’est pas une décision juste, quel que soit le but recherché.

Approuvez-vous la volonté affichée de Roselyne Bachelot (non encore suivie de faits) de permettre aux gays de donner leur sang ? Je m’oppose fermement à toutes les discriminations. Mes amis activistes ont raison de lutter contre elles, mais il faut trouver les moyens de responsabiliser tous les donneurs de sang potentiels, et pas seulement les homosexuels. Lorsque quelqu’un a un doute sur son statut sérologique, il doit absolument éviter de donner son sang. Chacun doit être responsable, c’est tout.

En 2007, un conflit a opposé Abbott au gouvernement thaïlandais car le laboratoire refusait de baisser ses prix sur deux antirétroviraux. Approuvez-vous la fermeté de Bangkok dans sa réaction ? Oui, c’est grâce à ce type d’actions, en mettant la pression sur les grosses compagnies pharmaceutiques, qu’on a obtenu des résultats en matière d’accès aux médicaments génériques dans les pays du Tiers-Monde.

Le Cambodge, où vous travaillez, est souvent cité comme un exemple parmi les pays du tiers-monde dans le domaine de la lutte contre le sida  . Pourtant, le gouvernement a récemment adopté une loi interdisant la prostitution, abandonnant sa politique « 100% préservatif » lors des rapports sexuels tarifés… C’est vrai. Mais comme on le sait, ce type d’interdit n’est jamais respecté. Je pense qu’en continuant à faire la promotion du préservatif de façon générale, on touchera aussi les prostituées. J’espère aussi que ce prix attirera l’attention des jeunes sur la nécessité de continuer à se protéger, au moyen du préservatif et des antirétroviraux.

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