Le monde peut mieux faire

Signe d’un certain désengagement, les politiques seront les grands absents de la conférence mondiale sur le sida qui s’ouvre demain à Mexico

Publié le 3 août 2008 sur OSIBouaké.org

Mais où sont donc passés les politiques ? Alors que s’ouvre, ce dimanche, à Mexico, la conférence mondiale sur le sida  , ils seront les grands absents. Seule une poignée de chefs d’Etat a décidé de faire le déplacement. Même constat pour les ministres de la Santé. L’ordre des priorités mondiales aurait-il changé ?

« Avec le départ de Kofi Annan de l’ONU  , mais aussi celui de Jacques Chirac, avec le retrait de plus en plus marqué de Nelson Mandela, il y a un vrai problème de leadership mondial dans la lutte contre le sida  , note le professeur Michel Kazatchkine, directeur du Fonds mondial de lutte contre le sida  . On négocie un passage de relais, qui reste encore assez flou. Déjà, lors du congrès mondial de Toronto, en août 2006, le Premier ministre canadien n’était pas venu, de peur de se faire chahuter. »

La conférence de Mexico - où vont se retrouver plus de 20 000 cliniciens, chercheurs, malades et associations - sera donc l’occasion de vérifier la réalité des engagements et le poids des promesses. Une sorte de baromètre de l’état de la mobilisation mondiale.

« Concurrence ».

Va-t-on continuer et amplifier la dynamique lancée ? Ou se contenter des promesses d’hier, et se tourner vers d’autres urgences planétaires ? Un chiffre résume les enjeux à venir : en 2008, quand deux personnes sont mises sous traitement, cinq autres, pendant le même laps de temps, sont contaminées. Bref, la course de vitesse pour casser la chaîne de transmission se poursuit de plus belle. Plus on traîne, plus la contamination progresse.

A la veille de l’ouverture de cette conférence, des inquiétudes nouvelles affleurent. Dernier signal d’alerte, assurément le plus troublant : la réunion du G8 à Hokkaido (Japon), début juillet. Pour la première fois depuis des années, le sommet a fait profil bas sur le sida  . Service minimum. Aucune nouvelle mesure pérenne de financement n’y a été annoncée. Tous les observateurs ont noté que l’on a parlé surtout d’autre chose. De nouvelles urgences planétaires se sont imposées, comme le réchauffement climatique, mais aussi la crise alimentaire mondiale, avec les émeutes de la faim. Comment résister à cette « concurrence » ? « Le silence du G8 a été pesant, note Eric Fleutelot, responsable des actions internationales au sein du collectif Ensemble contre le sida  . Regardez la France. Certes, elle a donné 270 millions d’euros, et en 2005, on était à 250, mais ce n’est pas les 300 millions prévus. Chaque pays grignote. » Michel Kazatchkine rectifie : « Lors du dernier G8, la place de la santé et des maladies infectieuses est restée importante. Pour le Fonds mondial, on s’est réengagé sur 60 milliards de dollars [38 milliards d’euros, ndlr] sur cinq ans. De même, l’objectif de l’accès universel au traitement pour 2010 est maintenu. Certes, d’autres priorités se dégagent. Le Japon traverse des difficultés budgétaires considérables. Quant aux Européens, s’ils maintiennent leurs engagements, ils connaissent eux aussi une période difficile. » Mais Eric Fleutelot n’en démord pas : « Quoi qu’on dise, les financements à venir ne sont pas sécurisés. »

Vaccin.

D’autres signes préoccupants se multiplient. Ainsi, le mois dernier, le laboratoire pharmaceutique suisse Roche a décidé de suspendre la recherche sur de nouveaux médicaments contre le sida  , « par manque de résultats probants sur les études en cours ». Les Etats-Unis ont aussi décidé de mettre fin à un projet d’essais cliniques à grande échelle d’un vaccin antisida, suite à des inquiétudes concernant son efficacité. Une décision d’autant plus inquiétante qu’elle intervient un an après l’arrêt des essais du laboratoire américain Merck, qui était considéré comme l’un des plus prometteurs. Aujourd’hui, la quête d’un vaccin est totalement en panne.

Ces dernières années, des efforts considérables ont pourtant été entrepris : en sept ans, les crédits pour les pays en développement ont été multipliés par six. Qui aurait imaginé, en 2002, lors du congrès mondial sur le sida   de Barcelone, et alors que le Fonds mondial venait tout juste d’être créé, que près de 3 millions de patients seraient traités dans le monde six ans plus tard ?

Michel Kazatchkine ajoute : « On peut considérer que l’on est loin de couvrir les besoins : il faudrait, en théorie, 25 milliards de dollars par an, alors que nous tournons autour de 11 milliards. Mais il faut analyser la demande, c’est-à-dire la capacité des pays en développement à recevoir cette aide. Hier, la demande était faible car ces pays n’étaient pas en état d’absorber toute l’aide sur les traitements du sida  . Le changement est spectaculaire : à Mexico, on va annoncer que, pour la première fois, la demande devrait être proche de l’offre. »

Budget

. Autre signal plutôt optimiste : le vote, le mois dernier, par le Congrès américain, de 50 milliards de dollars, dans les années à venir, pour financer les programmes contre le sida  . La somme est impressionnante. Mais, notent les sceptiques, ce n’est pas un budget qui a été voté : le Congrès a simplement donné au gouvernement l’autorisation de pouvoir dépenser jusqu’à 50 milliards.

Conclusion de Michel Kazatchkine : « Il y a toujours des raisons d’être inquiets. Mais aujourd’hui, et c’est ce que je dirai à Mexico, félicitons-nous d’abord ! Jamais les choses n’ont autant bougé. Les traitements atteignaient 10 000 dollars il y a dix ans. Aujourd’hui, ils sont à 82 dollars par an et par patient. On ne peut plus dire que c’est hors de portée. »

Eric Favereau - Libération

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