Sida et hépatites : la Russie au bord du gouffre

Dossier de presse pour tout savoir sur la situation des PVVIH en Russie (Act Up-Paris & Frontaids)

Publié le 14 mai 2005 sur OSIBouaké.org

10 mai 2005

Des membres d’Act Up-Paris se sont rendus à Moscou et St Petersbourg pour rencontrer les activistes de Frontaids et faire le bilan de la situation en Russie. Des données épidémiologiques exponentielles et pourtant très sous/mésestimées, des traitements accessibles à moins de 1% des séropositifs des mesures discriminatoires inscrites dans la loi qui excluent les premiers touchés (usagers de drogues et prostituées), un accès à l’information et au matériel de prévention inexistant, une répression de l’usage de drogues qui éloignent les usagers de l’échange de seringues, les traitements de substitution interdits, de gigantesques prisons mouroirs. La Russie est au bord du gouffre. Le récit de ce voyage et les témoignages des militants russes sont accessibles en intégralité sur le site d’Act Up-Paris.

Les épidémies de sida   et d’hépatites virales sont hors de contrôle. Si les autorités russes et la communauté internationale ne prennent pas la mesure de la catastrophe, les prochaines années verront une explosion de la mortalité contre laquelle il sera trop tard pour agir.

Mais le gouvernement et les administrations russes sont dans le déni le plus total. Elles assènent un dogme selon lequel le sida   est l’affaire de l’occident et ne concerne en Russie que des personnes négligeables et indignes de vivre. Leur politique est fondée sur les principes suivants : répression de populations plus exposées à ces épidémies, parmi lesquelles les usagErEs de drogues, les travailleuses du sexe et les homosexuels ; discrimination des personnes vivant avec le virus du vih   et/ou des hépatites ; refus d’alerter la population sur les risques de transmission du vih   par voie sexuelle ; absence de financement public des associations et des activités de réduction des risques ; refus de financer l’accès aux traitements pour toutes les personnes qui en ont besoin ; conduite d’essais cliniques privés dans la plus parfaite opacité ; refus, enfin, du gouvernement russe et de Vladimir Poutine d’assumer leur part de responsabilité dans la lutte contre le sida   au niveau international.

Tout est réuni pour que l’hécatombe qui endeuille l’Afrique touche bientôt, avec une ampleur au moins égale, la Russie. Pourtant, le pays de Vladimir Poutine est membre du G8. Il devrait se doter des moyens humains, financiers, matériels et structurels pour faire face au sida   et aux hépatites virales. Mais la volonté politique manque.

Nous demandons au gouvernement français de prendre la mesure de la catastrophe et d’alerter Vladimir Poutine. L’ingérence sanitaire est de mise : comment lutter contre le sida   au niveau mondial si nous laissons un pays aussi important que la Russie continuer une politique mortelle ? Nous appelons les médias occidentaux à accroître leur intérêt pour la situation du sida   et des hépatites virales en Russie, ainsi que dans l’Europe centrale et de l’Est.

Ce dossier de presse a été écrit en collaboration avec des activistes russes de Frontaids, dont on trouvera les coordonnées ci-dessous. Il s’appuie par ailleurs sur les données de l’Onusida  , de l’OMS  , de l’UNDP et de Human Rights Watch.

Contacts presse : Jérôme Martin (Act Up-Paris) : + 33 (0) 6 84 47 20 92 - jerome.martin@samizdat.net

Daniel Novichkov (Frontaids) : +7 (812) 958 78 25 - daniel.novichkov@gmail.com

Sur le Web : http://www.actupparis.org/article1941.html (et suivants)

DOSSIER DE PRESSE

Epidémiologie

Statistiques des autorités russes (Centre fédéral sida  )

  • Nouveaux cas vih   : 163 en 1994 -> 37 336 en 2004
  • Nbre total cas vih   : 889 en 1994 -> 308 243 en 2004
  • Nbre décès séropos : 169 en 1995 -> 5 500 en 2004 (non recensé en 1994)
  • Nbre total séropos : 889 en 1994 -> 302 743 en 2004
  • Morbidité / 100 000 : 0,6 en 1994 -> 210,2 en 2004
  • Morbidité par an / 100 000 : 0,1 en 1994 -> 26,1 en 2004

Des chiffres officiels sous-estimés

Les chiffres russes sous-estiment l’ampleur des épidémies de sida   et des hépatites virales. Le dépistage obligatoire pour les usagErEs de drogues, associé à la répression dont ils et elles sont l’objet dans le système de soins, fait que beaucoup d’entre eux, elles ne vont pas se faire dépister. De même, l’absence de campagnes de prévention massives, et notamment d’incitation au dépistage, laisse supposer que de très nombreuses personnes sont séropositives au vih   et/ou à des hépatites virales sans le savoir. Il y a donc une épidémie cachée, dont les autorités russes refusent de tenir compte. Les activistes de Frontaids ainsi qu’un médecin de Saint-Petersbourg nous confiaient qu’il fallait multiplier par 5 le nombre officiel de séropositifVEs enregistréEs pour avoir une idée de la prévalence réelle.

Autre preuve du déni des autorités : il n’y a aucune donnée sur la mortalité liée au sida  . Les décès parmi les personnes séropositives sont recensés sans aucune corrélation avec le vih  . Ainsi, en Russie, on reconnaît officiellement le décès de ces personnes, mais ce n’est pas le sida   qui les tue. C’est ainsi qu’on peut lire simplement dans la brochure réalisée par le centre sida   de Saint-Pétersbourg que la mortalité chez les séropositifs a " augmenté en 2004 ", sans aucune information supplémentaire. De la même manière, il existe très peu de données sur les hépatites virales.

Séroprévalence au vih  

Le rapport annuel d’ONUSIDA   faisait état, en décembre 2003, d’un nombre de séropositifVEs compris entre 420 000 et 1 million 420 000. L’épidémie a explosé à partir de la fin des années 90 et début 2000. À Saint-Petersbourg, on enregistrait comme séropositif 100 usagErEs de drogue par jour en 2000. Selon les chiffres officiels, la séroprévalence dans cette même ville est passée de 0,013 % en 1998 à 1,3 % en 2002.

Modes de transmission

En 2002, selon le registre fédéral, la base de donnée qui recense au niveau national les cas de vih  , 93% des séropositifVEs avaient été contaminéEs par injection. En 2001, 4,7% des nouveaux diagnostics étaient liés à une transmission par voie sexuelle ; en 2002, ce taux était de 12%, et de 17% en 2003. Les données disponibles semblent indiquer que les contaminations par injection ont atteint un " seuil de saturation "., mais que la transmission par voie sexuelle pourrait reprendre le relais. Une très grande majorités des travailleuses du sexe sont aussi usagEres de drogues. 80% d’entre elles vivraient avec une hépatite virale, près de 50 % avec le vih  , selon l’UNDP. La plupart du temps, elles ont été enregistrées séropositives suite à une contamination par injection.

Tuberculose

Parmi les affections opportunistes, la tuberculose est la maladie la plus prégnante. L’OMS   estime que cette maladie tue chaque année 30 000 personnes.

Hépatites

Il n’existe pas de données épidémiologiques sur les hépatites virales en Russie. Cependant, en considérant d’une part la situation des usagers de drogue en occident et d’autre part les témoignages des personnes touchées rencontrées sur place, il est impossible de penser que l’épidémie d’hépatites virales, notamment le VHC, soit moins catastrophique que celle du sida  . La contamination au vih   par injection s’accompagne toujours d’une prévalence des hépatites encore supérieure.

Situation en prison

En prison, selon les chiffres officiels, la séroprévalence est passée de 1 pour 1000 détenuEs en 1996 à 42,1 pour mille en 2003. 36 000 sur 830 400 détenuEs seraient séropositifVes au vih  , ce qui représente, selon les chiffres officiels, plus de 15 % des séropositifVES vivant en Russie. 10 % des détenus ont la tuberculose à Saint-Pétersbourg.

Discriminations des séropositifs

En 2004, le budget alloué à la prévention par le gouvernement fédéral était inférieur à 1 million d’euros. Le niveau de connaissance sur le VIH  /sida   et sur ses modes de transmission est extrêmement bas, et cette ignorance est donc sciemment entretenue. En 2001, une enquête menée par téléphone à Saint-Petersbourg montre qu’un tiers des répondants pensent que le préservatif n’est pas une mesure de protection fiable ; 48% croient que le VIH   se transmet par un baiser, 30% en partageant une cigarette et 56% par des piqûres d’insecte.

La méconnaissance générale du virus, y compris par la majorité des médecins, est un terrain favorable à toutes les discriminations. Celles-ci se produisent à tous les niveaux de la société. Un sondage auprès de 470 personnes séropositives révélait en 2003 que 30% des répondantEs avaient été excluEs de soins à cause de leur statut sérologique. 10 % ont été renvoyéEs de leur travail après la révélation de leur séropositivité. Les nouveaux-nés dont la mère est séropositive (cette mention est inscrite dans le dossier médical du bébé) sont refusés par les crèches, même quand ils, elles sont séronégatifVEs. En mars 2003, le ministre de la défense voulait exclure les séropositifs du service militaire et envisageait un dépistage obligatoire à l’entrée dans l’armée.

En 2001, une directive fédérale a levé l’obligation de séparer les détenus séropositifs et séronégatifs. Mais cela reste une pratique courante dans de nombreux centres russes comme par exemple au centre de détention n°7 ou la prison Kristen, à Saint-Petersbourg.

Des usagEres de drogues

L’article 228 du code pénal russe, qui date de 1996, définit comme crime la fabrication, acquisition, utilisation, cession, vente et consommation de drogues illégales.

Cette législation est un blanc-seing accordé à des forces de police particulièrement corrompues qui ont tout pouvoir sur les usagErEs qu’ils arrêtent. Le contrôle au faciès sur les lieux de consommation ou près des structures de RDR (réduction des risques), l’arrestation pour simple détention de seringues, la demande de libération sur remise d’argent, etc. sont des pratiques policières systématiques. Dès lors, les lieux de RDR, pharmacies, associations, ainsi que le dispositif de soins sont peu fréquentés par les usagErEs, car ce sont pour eux et elles des zones d’arrestation plus que probables.

Les responsables russes ont beau jeu de stigmatiser l’irresponsabilité des usagErEs de drogues, incapables selon eux, elles de suivre des traitements contraignants. Comment, dans de telles conditions, et alors que le personnel soignant est souvent responsable de discrimination, iraient-ils et elles dans des structures de soins ? Une association d’auto-support compare ainsi la situation des usagErEs à celle de cardiaques à qui on demanderait d’aller consulter au 17ème étage d’un immeuble sans ascenseur.

Cette législation a été un peu assouplie le 12 mai 2004. La simple détention de drogue est passible d’une peine administrative, et les doses minimales justifiant une punition ont été révisées. Les activistes espéraient une libération massive des usagErEs détenuEs et une amélioration des comportements policiers. Ces espoirs n’ont été que partiellement remplis. Pire, le comité gouvernemental de contrôle des drogues, créé l’année dernière, et qui est une structure issue de l’ancienne administration fiscale, réclame un retour en arrière et plus de répression envers les usagEreEs.

Officiellement, les programmes d’échange de seringues ne sont ni promus, ni interdits. Le Ministère de la santé les propose comme une possibilité d’intervention, tout au plus. Le même comité de contrôle sur les drogues avait envisagé de fermer tous les programmes de RDR, accusés de faire de la propagande pour les drogues. Il s’est heureusement heurté à l’opposition du ministère de la santé. L’accès à un produit de substitution (méthadone, subutex) est illégal alors même que cette possibilité est venue compléter de façon efficace la politique de réduction des risques dans de nombreux pays et a été validé par l’OMS   et l’ONUSIDA  . L’administration Poutine , y compris au niveau du ministère de la santé, est inflexible sur le sujet.

Des travailleuses du sexe

Le code pénal n’envisage pas la prostitution. Une amende pour conduite provocante est possible. Les prostituées sont néanmoins quotidiennement contrôlées, et racketées par les forces de police, à la fois en tant que travailleuses du sexe, mais aussi en tant qu’usagère de drogue. Chez les prostituées, beaucoup plus que chez les travailleurs du sexe masculin, l’usage de drogue injectable est extrêmement fréquent. Elles sont donc deux fois poursuivies et punies.

Des homosexuels

C’est entre 1993 et 1996 que Boris Eltsine a abrogé les dispositifs de loi criminalisant l’homosexualité, qui furent adoptés par Staline en 1933. Ce n’est qu’en 1999 que l’homosexualité a été retirée de la liste des " désordres mentaux " recensés par le ministre de la santé. Elle continue à faire l’objet d’un fort rejet social, qui empêche toute politique de prévention ciblée. Seules quelques rares structures assurent ce travail dans les lieux communautaires, mais les bénévoles se heurtent à un déni extrêmement fort de la part de personnes qu’aucune campagne nationale n’est venue sensibiliser.

Accès aux traitements : des moyens pour l’accès aux traitements ridicules

Les autorités russes ne voient pas la nécessité de fournir des traitements contre le vih  . A Saint-Petersboug, ville " privilégiée " par rapport au reste du pays, 250 personnes sur 25 000 séropositifs officiellement enregistrés ont des traitements de la part de la ville en 2004. A Tomsk, en Sibérie, un séropo sur 700 officiellement enregistrés reçoit une trithérapie. Sur l’ensemble du territoire, selon les associations, 140 000 personnes au moins auraient besoin de traitements. Selon le gouvernement russe, 5000Š

Au-delà du refus institutionnel de financer ces traitements, les séropositifs se heurtent à des difficultés administratives énormes : l’inscription à la Sécurité sociale, qui permet la gratuité des soins, se fait dans la ville de votre naissance. Si vous résidez ailleurs, il est possible d’obtenir des inscriptions provisoires. Mais elles ne permettent pas de couvrir les soins liés aux MST, à la tuberculose ou encore au vih  . Ce dispositif absurde, héritier du soviétisme, est un obstacle de plus à l’accès aux traitements.

Un comité de sélection où dominent les institutionnelLEs (médecins, représentantEs des administrations sanitaires, du budget, etc.) choisit les malades " dignes " d’accéder aux traitements. Une sélection est faite, qui écarte tousTEs ceux et celles jugéEs " indignes " : usagers de drogues, alcooliques, personnes vivant dans la rue, etc. Les enfants ont cependant tous accès aux traitements quand ils en ont besoin. Pour les autres, entre le financement insuffisant et les pratiques discriminatoires, il n’y a aucune place pour un accès aux ARV  .

La vie des malades russes contre les profits de l’industrie pharmaceutique.

La seule solution est alors d’acheter soi-même ses traitements. Mais à 12 000 dollars par an, une trithérapie est inabordable. La production et/ou l’importation de génériques devient donc une priorité. Depuis un an, les autorités russes ne cessent de promettre aux activistes l’enregistrement de médicaments génériques L’industrie locale est évidemment très intéressée, et certains labos sur les starting-blocks. Mais il n’existe aucune volonté politique pour faire baisser le prix des médicaments à 700 dollars par an.

Il y a urgence : le Fonds mondial a débloqué des ressources (120 millions de dollars sur 5 ans) qui devraient permettre la mise sous traitement d’un millier de personnes supplémentaires. Mais le programme d’accès aux traitements, qui devait débuter cet été sur la base d’une réduction des prix promise par trois laboratoires pharmaceutiques, est aujourd’hui remis en cause. BMS et Boehringer Ingelheim ont en effet annoncé qu’ils ne pouvaient pas se permettre de baisser les prix ¬ cela signifie que moins de personnes recevront de traitements. Merck, de son côté, prétend ne pas pouvoir fournir les traitements demandés avant décembre, car il serait " débordé ". Une fois de plus, la logique de profits s’impose aux besoins des malades.

Des essais cliniques en toute opacité

Le dernier recours pour avoir des traitements est de s’inscrire à des essais cliniques. Or, ceux-ci sont tenus dans la plus parfaite opacité. Il s’agit exclusivement d’essais privés visant à l’inscription de nouveaux médicaments, comme le T20 de Roche ou le Kaletra d’Abott, auprès de l’administration russe. Au cours de leur mission, les militants d’Act Up n’ont pu obtenir aucune information claire sur la conduite de ces essais. Cela est plus qu’inquiétant : vu la faiblesse de l’accès aux traitements, les séropositifVEs russes sont des cobayes faciles pour une industrie pharmaceutique qui entend aller au plus vite pour occuper le marché national, donc de passer outre les règles éthiques élémentaires.

Conclusion

Les autorités russes doivent dès aujourd’hui sortir du déni. Il est temps qu’elles tirent les leçons de la lutte contre le sida   dans les autres pays du globe, et qu’elles cessent de se voiler la face, en condamnant la vie de centaines de milliers de personnes, dans les 10 prochaines années. Tout doit être engagé pour :

  • lutter contre les discriminations dont sont victimes les personnes vivant avec le vih   , des hépatites virales et des IST ;
  • lutter contre les discriminations dont sont victimes les usagErEs de drogues, les homosexuels et les prostituées ;
  • mettre fin au dépistage obligatoire de groupes dits " à risques " et mettre en place des campagnes d’incitation au dépistage volontaire ;
  • imposer de véritables campagnes de préventions nationales ;
  • favoriser la réduction des risques envers les usagErEs de drogue ;
  • mettre fin à la criminalisation des usagErEs de drogue ;
  • légaliser l’accès aux produits de substitution pour les usagEreEs de drogues ;
  • réformer les règles de la couverture sociale pour assurer à tous et toutes la gratuité des soins, quel que soit l’état de santé ;
  • libérer les malades des centres de détention et assurer un véritable accès aux soins en prison ;
  • financer un accès pour tous et toutes aux médicaments contre le vih  , les hépatites virales, la tuberculose et toutes les maladies opportunistes ;
  • autoriser l’importation et/ou la production de médicaments génériques pour accroître l’intérêt des programmes d’accès aux traitements.

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