« Le système des brevets est d’une immoralité totale »

François-Xavier Verschave est économiste (...)

Publié le 19 avril 2005 sur OSIBouaké.org

http://www.humanite.presse.fr/journal/2005-03-24/2005-03-24-459035

François-Xavier Verschave est économiste. Il a coordonné l’essai collectif « la Santé mondiale, entre racket et bien public ».

Que pensez-vous du système de la propriété intellectuelle appliqué aux médicaments ?

François-Xavier Verschave : C’est un système en contradiction avec deux des fondements de la civilisation occidentale. L’université, d’une part, qui a été fondée sur le partage du savoir pour se transformer en bien public. La concurrence, d’autre part, que les pères de l’économie classique ont mise en avant comme régulateur de l’économie. Le principe du brevet, c’est l’établissement d’une rente et d’un monopole qui se transforme en un système de racket. On établit des barricades autour d’un bout de la connaissance humaine qui souvent a été financé à 90 % par la recherche publique. Un certain nombre de gens s’emparent de ce bout de bien incorporel puis établissent une rente autour de ce bien, et sa défense s’obtient par des moyens criminels de l’ordre de la grande corruption. Concrètement, l’établissement des règles régissant la propriété intellectuelle à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) s’est fait grâce à un travail de lobbying mené par les grandes firmes pharmaceutiques et informatiques américaines, qui ont elles-mêmes corrompu massivement les principaux représentants des pays du Sud. Nous sommes dans le gangstérisme. L’Inde n’a pas échappé à cette règle.

Quels sont les outils de lutte à disposition pour tenter de changer ce système ?

François-Xavier Verschave : Le bien public est un bien de civilisation acquis grâce à des mouvements sociaux et des coalitions souvent hétéroclites qui considèrent que l’accès à tel bien est trop important, trop central pour relever seulement du jeu marchand. La mise à disposition de ce bien doit relever d’un cahier des charges de service public auquel même les prestataires privés sont obligés de souscrire, garantissant ainsi l’accès universel à ce bien. Pour chaque bien, il est important d’observer quel mouvement social se met en route. Et qui compose ce mouvement social. Dans le cas de l’accès aux médicaments, on retrouve des représentants des ayants droit, les associations de malades du sida   qui ont opéré de véritables bouleversements dans la perception de l’action politique. On retrouve l’industrie pharmaceutique et ses syndicats, le corps médical, les organisations de solidarité, de droits de l’homme, les chercheurs et les États. Ces derniers, poussés par leur population, peuvent garantir des droits, comme l’a fait le Brésil avec le sida  . Dans le livre, la Santé mondiale entre racket et bien public, nous avons essayé d’analyser ce mouvement social, et les victoires qu’il commence à obtenir. C’est un livre optimiste. Mais ce qui peut rendre pessimiste, c’est que, dans l’histoire, les tendances mafieuses d’une société sont généralement plus rapides à réagir que le mouvement social. Elles prennent donc un train d’avance et nous donnent l’impression que la cause est perdue. Or le rythme des mouvements sociaux est peut-être lent, mais il est aussi long et beaucoup plus durable. Par conséquent, il ne faut pas s’affoler face aux défaites relatives. Ce qui importe, c’est que s’ancre dans l’esprit des gens la certitude que la revendication est juste. Et que se rendent compatibles les logiciels d’indignation !

Selon vous, le bien commun peut donc triompher ?

François-Xavier Verschave : Oui, parce que des systèmes comme les brevets et la propriété intellectuelle sont des constructions fragiles, d’une immoralité totale et injustifiables d’un point de vue économique. Le baratin selon lequel les brevets servent à financer la recherche peut être entièrement démonté. Un travail sur les mentalités des peuples, des citoyens est donc nécessaire pour montrer que le système est scandaleux. Ce que font certains mouvements de malades et de lutte pour l’accès aux soins. Le jour où les malades du sida   ont commencé à traiter Big Pharma de marchand de mort, alors que son fonds de commerce est d’être marchand de vie, cela a fait très, très mal. Ces mouvements sociaux sont des combats dont l’échelle se situe au minimum à celle des décennies. La société est porteuse de mouvements lents, mais l’histoire nous montre qu’il n’y a pas du tout de raison de désespérer de leur force. Le droit à la santé s’est peu à peu ancré dans les esprits et n’est pas prêt à en partir.

Entretien réalisé par M. D.

La Santé mondiale entre racket et bien public, coordonné par Françoix-Xavier Verschave, Charles Léopold Mayer Éditions, 2004, 345 pages. 16 euros. pour en savoir plus sur le livre

L’association VECAM organise le 1er avril une rencontre : « Le développement face aux biens communs de l’information et à la propriété intellectuelle », avec Philippe Pignarre, Benjamin Coriat, Gaëlle Krikorian... pour les actes de la rencontre

imprimer

retour au site