Malawi : dans les villages, au plus près des malades

Dans quelques villages du district de Chiradzulu, au Malawi, MSF va s’appuyer sur des patients spécialement formés pour suivre régulièrement d’autres malades sous traitement et leur distribuer leurs antirétroviraux.

Publié le 24 novembre 2006 sur OSIBouaké.org

Ce matin, une soixantaine de personnes patientent devant le centre de santé de Nkalo. Alors qu’il dessert 21.800 habitants répartis dans 96 villages, seules deux infirmières et un assistant médical y travaillent. A Nkalo et dans les villages alentours, environ 2.200 adultes seraient séropositifs, et 420 malades du sida   sont actuellement sous traitement antirétroviral. Chaque vendredi, une équipe de Médecins Sans Frontières renforce le centre de santé de Nkalo. Le médecin reçoit en moyenne 35 patients dans la journée, les deux infirmières MSF   en voient 60 chacune. Et l’équipe comprend également un conseiller chargé d’accompagner les patients dans la prise de leur traitement. Avec l’organisation actuelle, il n’est pas possible d’augmenter le nombre de consultations sans risquer d’altérer la qualité des soins.

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Centre de santé de Nkalo
Enock, 45 ans, sous traitement depuis deux ans et demi, à l’état de santé très stable, est l’un de ces patients suivi par une infirmière plutôt que par un médecin.

Epidémie et pénurie de personnel médical

Pour augmenter le nombre de personnes ayant accès au traitement, Médecins Sans Frontières a commencé à former les infirmières des centres de santé, à la prise en charge des infections opportunistes d’abord, à la délivrance des traitements ARV   ensuite. Eveness, une des deux infirmières permanentes du centre de santé de Nkalo, est aujourd’hui capable de donner seule les ARV   aux patients les moins compliqués. Si elle soupçonne qu’ils ne prennent pas bien leur traitement ou si leur état de santé s’est dégradé, elle les réfère immédiatement à l’hôpital ou leur demande de revenir le vendredi, jour de consultations par l’équipe de MSF  .

Enock, 45 ans, sous traitement depuis deux ans et demi, à l’état de santé très stable, est l’un de ces patients suivi par une infirmière plutôt que par un médecin. « C’est mieux pour moi, je viens le mardi, il y a moins de monde. Tant que je ne suis pas malade, je n’ai pas besoin de médecin. »

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Des patients formés pour suivre d’autres malades
Dans le cadre du projet pilote, 4 patients volontaires délivreront les ARV, mais devront aussi identifier d’éventuels problèmes de suivi ou d’échec de traitement et, dans ce cas, immédiatement référer les malades aux personnes compétentes

Déléguer les tâches pour prendre en charge plus de patients

Mais les infirmières n’étant elles-mêmes pas suffisamment nombreuses par rapport au nombre de personnes séropositives, MSF   a décidé d’impliquer des personnes non médicales dans le suivi des malades stables sous traitement. Ne pas essayer des solutions innovantes, cela reviendrait à accepter d’abandonner des patients qui auraient besoin d’être mis sous traitement.

Enock fait partie des premiers patients qui pourraient participer à ce projet pilote et recevoir ses ARV   dans un village plus proche de chez lui, donnés par un autre patient spécialement formé pour cela. « Ces patients volontaires donneront le traitement antirétroviral pour deux mois, reverront les personnes deux mois après et si tout va bien, ils leur redonneront le traitement pour deux mois, explique Annick Hamel, responsable de la mise en place de ce projet pilote. Sauf dégradation de leur santé, les patients ne devront revenir au centre de santé pour une consultation avec du personnel médical que tous les six mois seulement. Cette organisation devrait permettre aux infirmières de dégager du temps pour prendre d’autres patients en charge. » Sur les premiers patients auxquels ce changement a été proposé, 16 ont accepté, intéressés par la possibilité de gagner du temps en récupérant leurs médicaments plus près de chez eux.

Former des patients volontaires

Quatre patients ont été identifiés et reçoivent une formation pour pouvoir délivrer le traitement antirétroviral, mais aussi identifier d’éventuels problèmes de suivi ou d’échec de traitement et, dans ce cas, immédiatement référer les malades aux personnes compétentes. Fahad est l’un de ces « patients-experts ». « Depuis 2002, je suis sous traitement. Je pesais 39 kilos, j’en pèse aujourd’hui 20 de plus, et je suis en bonne santé. Mon expérience de la maladie et du bénéfice des antirétroviraux peut être un bon exemple. » Fahad sait qu’il ne s’agit pas uniquement de donner leurs médicaments aux patients et de les convaincre de l’importance de bien continuer le traitement. « Avec ce projet, je sais que je vais me heurter à de nouveaux problèmes, mais je ne suis pas tout seul pour y faire face, je vais m’appuyer sur les infirmières quand je ne saurai pas. »

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Des patients suivis plus près de chez eux
Annick Hamel, de MSF, et Maria, infirmière du centre de santé de Nkalo, proposent à une patiente d’être suivie plus près de chez elle par du personnel non médical. Sur les premiers malades auxquels ce changement a été proposé, 16 ont accepté.

Impliquer du personnel non médical dans une partie des tâches, n’est-ce pas prendre des risques pour le patient ? « Ce projet n’est destiné qu’aux patients très stables, sous traitement depuis plus d’un an et n’ayant pas de problèmes de santé, précise Annick. La qualité, est-ce d’assurer le maximum de compétences médicales au prix de ne traiter qu’une minorité de ceux qui en ont un besoin urgent et vital ? Ou bien de prendre en charge davantage de personnes malades, de sauver plus de vies, en assumant de confier une partie du travail à des personnes non médicales, mais spécialement formées ? » En décembre, dans le cadre du projet pilote de MSF   à Nkalo, les quatre patients volontaires sélectionnés commenceront à suivre des malades. Comme dans toute innovation, une part de risque existe. Les patients experts vont-ils remplir leur rôle ? S’ils renvoient trop souvent, sans que cela soit justifié, les malades qu’ils suivent vers les infirmières, alors ces dernières ne pourront pas mettre sous traitement de nouveaux malades. Si, au contraire, ils ne détectent pas à temps des problèmes médicaux, alors ils mettront les patients en danger. C’est pourquoi nous suivrons de très près les résultats de ce projet pilote.

Photographies : © Anne Yzebe, octobre 2005

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