Les impacts sur le vécu familial
par Monica RUIZ-CASARES, de Namibie
Publié le 1er octobre 2006 sur OSIBouaké.org
Nous dénombrerons 15 millions d’enfants orphelins en 2008, dont 2/3 seront des orphelins du sida . Dans une décennie, 1 enfant sur 5 aura perdu au moins un parent sur deux.
La proportion très élevée d’orphelins risque de provoquer une augmentation de la pauvreté. Nous risquons d’assister à de nombreux cas de spoliations de propriété - une pratique déjà répandue. L’assistance aux autres causes que le VIH -sida risque de baisser.
Les aînées abandonnent l’école pour s’occuper de leurs parents malades ou de leur fratrie, ce qui les perturbe à titre personnel et modifie l’interaction familiale.
Les familles ne pouvant plus s’occuper de tous les enfants, les situations d’abandon ou d’abus (notamment sexuel) se multiplient. Les filles sont amenées à se marier très tôt, ou à fréquenter un « papa gâteau ».
Lorsqu’ils sont recueillis, les enfants le sont plutôt par des parents du côté de la mère. Lorsque les enfants restent avec leur père, qui se remarie, il arrive que la nouvelle épouse refuse de prendre en charge les enfants du précédent mariage.
En Namibie, on dénombre 16 % d’enfants « chefs de famille » parmi les orphelins ; cette proportion peut atteindre 21 % dans les milieux ruraux. Les enfants « chefs de familles » se rencontrent dans deux types de foyers :
- Les foyers non-accompagnés
Un ou plusieurs enfants font la cuisine, mangent ensemble et dorment ensemble, sous la responsabilité d’un enfant de 18 ans ou moins.
- Les foyers accompagnés
Un adulte est encore présent, mais il est trop malade pour s’occuper des enfants.
En Namibie, la recherche commence seulement à s’intéresser à ce phénomène. Selon les derniers chiffres, on recenserait 7 000 foyers non-accompagnés. La plupart des enfants « chefs de famille » sont des filles ; ces enfants sont devenus chefs de famille dans 55 % de cas après le décès de la mère et dans 39 % des cas après le décès du père.
Après le décès des parents, l’enfant aîné souhaite souvent rester auprès de ses frères et sœurs pour maintenir l’indépendance de la fratrie et conserver le patrimoine hérité. Il est difficile aux orphelins du sida de trouver une famille d’accueil, parfois à cause de la peur de la maladie ou à cause des conditions économiques. Je citerais le témoignage d’une fille chef de famille de 17 ans : « Après l’enterrement, les gens nous ont ignoré. Nous avons vécu pendant un mois chez la mère d’une amie, mais elle donnait davantage de nourriture à ses enfants. Nous ne mangions que du porridge. Nous ne savions pas où aller ».
J’encourage les chercheurs à réaliser des études longitudinales pour évaluer la stigmatisation et le changement de ressources vécu par les enfants de façon consécutive à la disparition des parents.
Certains enfants chefs de famille ne sont pas orphelins, mais ils ont dû quitter leurs parents résidant en zone rurale afin de pouvoir terminer leurs études. Ils habitent dans une hutte près de l’école, et revoient leurs parents uniquement pendant les périodes de congé scolaire.
Nous distinguons dans l’entourage de l’enfant d’une part le réseau primaire et d’autre part le réseau fonctionnel. Le réseau primaire contient les personnes qui, selon l’enfant, jouent un rôle important ; dans les foyers accompagnés, il s’agit souvent de membres de la famille. En revanche, la faible présence de membres de la famille dans le réseau primaire des enfants en foyers non-accompagnés semble montrer un affaiblissement des relations avec la famille après la disparition des parents. Les cas de spoliation d’héritage sont une preuve supplémentaire de l’affaiblissement des relations familiales, accentué par les migrations locales des orphelins après la disparition des parents.
Il existe à la fois des faiblesses et des forces dans le système d’enfants « chefs de famille ».
En effet, ces enfants prennent la responsabilité des parents dans l’éducation de la fratrie, ce qui n’est pas leur rôle légitime. Ils n’ont pas le temps de jouer, et mènent un combat quotidien pour réussir à payer l’école, les vêtements et la nourriture de la fratrie. Pour se constituer de petits revenus, ils sont parfois amenés à se prostituer. De ce point de vue, les filles sont encore plus vulnérables.
Il est toutefois positif que la fratrie ne soit pas séparée. De plus, en restant dans le domicile des parents après leur disparition, les enfants sont en mesure de maintenir des liens avec leur communauté et de protéger leur propriété.
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