L’Inde, amie du Sud ?

Les dirigeants actuels du parti du Congrès sont davantage la réincarnation de Tony Blair que celle de Nehru

Publié le 25 avril 2005 sur OSIBouaké.org

Cédric Waelti - Publié le 23 avril 2005

Il y a quelques jours, l’Inde a décidé de réviser sa loi sur les brevets. Le pays, champion incontesté des génériques et, depuis Cancún, symbole de la résistance du Sud à la déréglementation, ne pourra en principe plus copier de nouveaux médicaments (lire nos éditions du 16 avril). En cédant aux injonctions de l’OMC, l’Inde a-t-elle sabordé malgré elle son industrie pharmaceutique ou suit-elle finalement son karma, celui de la mondialisation ? Tout indique aujourd’hui que la deuxième hypothèse est la plus crédible.

Les vives protestions des ONG, qui craignent que les millions de séropositifs des pays pauvres soient privés des traitements les plus efficaces, n’ont rencontré que peu d’écho au sein du gouvernement indien. Certes, le parlement de New Delhi a accepté d’introduire une clause d’exception qui lui permet de produire des génériques « en cas d’urgence sanitaire ». Mais avec cinq millions de malades du sida   sur son territoire et une épidémie en constante progression, le gouvernement indien pouvait difficilement faire autrement. D’autant plus que l’OMC elle-même autorisait les pays en voie de développement à user de ce régime dérogatoire. Aux critiques qui fusaient, comme celles d’Act-Up qui accusait les autorités et le parti du Congrès « d’avoir trahi les 40 millions de personnes atteintes par le VIH   », le ministre du commerce Kamal Nath a répondu que cette « nouvelle loi sur les brevets est le reflet de l’Inde qui change ».

Les derniers signes économiques viennent étayer cette assertion. L’Inde est moins une nation en voie de développement qu’une superpuissance en pleine expansion. L’année dernière, les exportations indiennes ont enregistré une hausse de 24% pour atteindre 80 milliards de dollars. Jamais le pays n’avait connu une telle augmentation. Confiant, le ministre du commerce annonce un nouveau record pour 2007 en prédisant que le plafond de 150 milliards devrait être atteint. Tout récemment, le premier ministre indien Manmohan Singh et son homologue chinois ont signé un accord de libre-échange qui prévoit la suppression mutuelle des droits de douane en 2015. Secteur emblématique de cette Inde conquérante, avide de nouveaux marchés : l’informatique. Dotées d’un réservoir de compétences intarissable, d’un savoir-faire vieux de vingt ans, ces sociétés ont non seulement fait le bonheur des multinationales européennes et américaines qui délocalisaient leur informatique sur le sous-continent, mais elles se sont aujourd’hui imposées à l’étranger. L’Inde étant devenu le premier vendeur mondial de services en technologie de l’information.

Un mouvement de privatisation accompagne la croissance. L’industrie indienne est dorénavant dominée par des énormes consortiums privés comme Tata, qui a quasiment vengé à lui tout seul la nation en rachetant début 2000 le distributeur de thé britannique Tetley pour 400 millions. Le 31 mars dernier, le conseil d’administration de la compagnie étatique Indian Airlines s’est prononcé pour une introduction en bourse. Le gouvernement devrait donner son feu vert prochainement. Après les dernières élections, certains observateurs pensaient que le mythique parti du Congrès allait freiner le processus de libéralisation. Cela n’a pas été le cas. Bien au contraire. Le premier ministre a même salué récemment l’offre américaine de partenariat visant à faire de l’Inde « une puissance majeure du 21e siècle ». Les dirigeants actuels du parti du Congrès sont davantage la réincarnation de Tony Blair que celle de Nehru. L’alignement de l’Inde sur les normes de l’OMC en matière de brevets nous oblige à rompre avec une vision trop romantique « de la plus grande démocratie du monde ». L’Inde n’est finalement ni pire ni meilleure que les autres superpuissances. Elle suit ses propres intérêts qui passent bien avant la défense des autres pays en voie de développement. En renonçant aux génériques, le gouvernement indien attend que l’industrie pharmaceutique nationale vienne concurrencer les grands groupes occidentaux sur le terrain de l’innovation. Outre le retour des cerveaux indiens, cela devrait permettre aux pharmas locales de réaliser des profits beaucoup plus importants que ceux issus des génériques.

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