RD Congo : Elections à risques pour les enfants de la rue

Les enfants de plus en plus souvent accusés de sorcellerie, abusés et abandonnés

Publié le 8 avril 2006 sur OSIBouaké.org

A l’approche des élections présidentielles, les dizaines de milliers d’enfants des rues que compte le Congo risquent d’être victimes de manipulations politiques et de maltraitances physiques, a déclaré Human Rights Watch dans un rapport publié aujourd’hui.

Ces dernières années, les dirigeants des partis politiques ont recrutés des enfants des rues pour semer l’agitation lors de manifestations de masse. Dans la plupart des cas, les forces de l’ordre ont réagit à ces manifestations par un usage excessif de la force, tuant ou blessant ainsi des dizaines d’enfants.

Le rapport « Quel avenir ? Les enfants de la rue en République démocratique du Congo » [1], montre de quelle façon les forces militaires, policières et d’autres adultes abusent quotidiennement des enfants de la rue au Congo. Les conflits armés, le SIDA  , l’existence de frais de scolarité et les accusations de sorcelleries ont fait doubler le nombre d’enfants des rues ces dix dernières années. Dépourvus d’un abri, de nourriture et de la possibilité de répondre à leurs besoins fondamentaux, ces enfants vivent dans l’insécurité et la peur.

Au lieu de leur fournir assistance et protection, les forces policières et militaires recourent souvent à la violence physique et aux menaces d’arrestation pour mater ces enfants. Ils doivent également affronter les brutalités physiques et les sévices sexuels infligés par des adultes ou d’autres enfants de la rue plus âgés, qui profitent de leur vulnérabilité. Le viol, tant sur des filles que sur des garçons, est courant.

« Dans un premier temps, le gouvernement congolais doit protéger ces enfants pendant la période des élections. Les agences de l’ONU   au Congo doivent également redoubler d’effort pour prévenir les abus, » a déclaré Tony Tate, chercheur sur le droit des enfants à Human Rights Watch et auteur du rapport. « Les autorités congolaises devraient saisir cette opportunité pour commencer à agir sur les abus commis envers ces enfants. »

Le gouvernement congolais ordonne périodiquement des rafles massives d’enfants de la rue, légitimant leur détention grâce à une loi datant de l’ère coloniale qui interdit aux enfants de recourir à la mendicité.

Coupables uniquement de ne pas avoir la chance de vivre sous un toit, ces enfants sont alors détenus dans des cachots surpeuplés, dans lesquels ils sont souvent mêlés aux prisonniers adultes. Enfermés de nombreux jours dans des conditions déplorables, ils sont souvent relâchés sans qu’aucune charge ne soit retenue contre eux, et renvoyés à la rue.

« Les autorités congolaises doivent aider les enfants sans-abri, et non les jeter en prison, » a déclaré Tony Tate. « Le gouvernement devrait arrêter les rafles et suspendre ces lois qui criminalisent ces enfants parce qu’ils sont sans abris. »

Egalement alarmant, un nombre croissant d’entre eux est accusé de sorcellerie, même si de telles accusations sont nommément prohibées par la nouvelle Constitution congolaise. Les orphelins ou les enfants qui vivent avec leur belle-famille, en particulier, sont la cible d’accusations proférées par leur entourage qui affirme qu’ils sont des sorciers responsables du malheur de leur famille. Ces enfants accusés sont bien souvent négligés, victimes d’abus et mis à la porte de leur foyer.

Les agences qui travaillent avec ces enfants à Kinshasa, estiment que 70% des enfants des rues ont été accusés de sorcellerie avant d’y échouer.

Les pasteurs spécialistes de ces domaines ou les prophètes des « églises de réveil » mettent en place des cérémonies destinées à ôter à l’enfant ses capacités de sorcelleries. Dans beaucoup de ces églises, des dizaines d’enfants peuvent être séquestrés, sans eau ni nourriture. Dans les pires cas, les enfants sont fouettés, battus ou purgés de force jusqu’à ce qu’ils avouent leur sorcellerie. Même une fois l’aveu obtenu, les enfants peuvent être victimes d’abus supplémentaires chez eux ou être finalement abandonnés.

« La nouvelle constitution congolaise interdit explicitement d’accuser les enfants de sorcellerie. Les autorités congolaises doivent prendre des mesures contre les adultes qui maltraitent les enfants, » a ajouté Tony Tate.

Les enfants affectés du virus du SIDA   sont particulièrement susceptibles d’être l’objet de telles accusations de sorcellerie. En raison de la croyance que le VIH   est transmissible par la sorcellerie, les membres de la famille accusent parfois les enfants d’être responsable de la mort de leurs parents. Déjà orphelins du SIDA  , ces enfants deviennent doublement victimes de l’épidémie. Les campagnes nationales de prévention du VIH  /SIDA   doivent sensibiliser la population congolaise sur les causes du virus et de la maladie, et réfuter l’argument selon lequel il peut être transmis par la sorcellerie.

Témoignages issus du rapport :

« Ce qui nous inquiète, c’est ce qu’il adviendra de ces enfants demain. Des milliers d’enfants vivant dans la rue sans surveillance, sans éducation, sans amour ni attention, habitués à la violence et aux brutalités quotidiennes. Quel avenir y a-t-il pour ces enfants et pour notre pays ? » —Educateur d’enfants de la rue à Lubumbashi

« La vie est dure ici dans la rue, nous sommes tout le temps harcelés par les militaires. Ils viennent la nuit, n’importe quand après 22 heures. Ils nous frappent ou nous donnent des coups de pied. Ils réclament régulièrement de l’argent ou des objets qu’ils peuvent vendre, comme des téléphones portables. Seuls ceux qui s’enfuient et ne sont pas rattrapés sont hors de danger. Si nous avons travaillé toute la journée pour 100 francs (0,20 $US), ils peuvent même nous prendre ça. » —Emmanuel, enfant de la rue âgé de 14 ans

« Quelques enfants volaient sur le marché et la police a arrêté tout un groupe de gosses de la rue dans le quartier. Il y avait une vingtaine d’enfants dans une petite salle du poste. On nous a fouettés sur le derrière avec une corde en plastique. Les enfants pleuraient et criaient. Mes amis ont payé 400 francs (0,80$) aux policiers pour qu’ils arrêtent. J’ai été libérée ce jour-là. » —Rebecca, jeune fille de 17 ans à Goma

Parfois des hommes arrivent et me prennent de force et après, ils partent sans laisser d’argent. Cela arrive souvent... J’ai commencé ce travail lorsque j’avais dix ans. Ce n’est pas une belle vie. Je préférerais aller ailleurs et étudier. » —Amélie, jeune fille de 15 ans à Lubumbashi

« J’ai commencé à passer de plus en plus de temps hors de la maison dans l’enceinte d’une église voisine. Mon frère m’y a trouvé un jour et m’a donné de violents coups de poing, me disant de quitter le quartier. Le pasteur a dit à mon frère de cesser de me battre mais il a semblé le croire quand il lui a dit que j’étais un sorcier et il m’a obligé à quitter l’église. Je n’avais pas d’autre choix que celui d’aller dans la rue. » —Albert, 10 ans, anciennement enfant de la rue à Mbuji-Mayi

« Nous n’avons pas eu le droit de manger ni de boire pendant trois jours [que ce soit à l’église ou à la maison]. Le quatrième jour, le prophète a placé nos mains au-dessus d’un cierge pour nous forcer à avouer. » —Bruno, 12, enfant des rues accusé de sorcellerie à Kinshasa

« Les enfants sorciers ont le pouvoir de transmettre n’importe quelle maladie, dont le SIDA  , à leurs proches. Le SIDA   est une maladie mystérieuse utilisée comme arme par ceux qui pratiquent la sorcellerie. » —Un prophète spécialisé dans les enfants sorciers pour une des églises de réveil de Mbuji-Mayi

Kinshasa, le 4 avril 2006 ; Human Rights Watch

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[1] « Quel avenir ? Les enfants de la rue en République démocratique du Congo », rapport complet téléchargeable en fin d’article