Howard Zinn : l’impossible neutralité

Un hymne à l’activisme politique et à la désobéissance civile

Publié le 2 avril 2006 sur OSIBouaké.org

C’est par l’autobiographie d’Howard Zinn que j’inaugure cette nouvelle rubrique du blog. Une des idées maitresse d’Howard Zinn est que nous sommes tous des acteurs de l’Histoire. Il a une lecture de l’Histoire, passablement éloignée des discours officiels « ce qu’il y manque ce sont les innombrables petites actions entreprises par des inconnus qui ont pourtant ouvert la voie à ces grands moments. Si nous comprenons cela, nous comprenons également que les plus infimes actes de protestation peuvent constituer les racines invisibles du changement social » C’est d’ailleurs exactement dans cet esprit qu’il écrira l’« histoire populaire des Etats-Unis, de 1492 à nos jours » [1]

Cet engagement individuel, cette importance qu’il donne à nos actes, cet activisme qu’il prône, a pour lui une réelle portée « De tout temps c’est d’abord le radical - et seulement ensuite le modéré - qui tend la main à celui que l’ordre social a jeté au sol », et est même souvent le seul moyen de contrecarrer un pouvoir politique qui par définition a pour unique vocation d’arriver au pouvoir et de s’y maintenir en surfant la vague de l’opinion majoritaire. « du fait même du processus électoral, le politicien est à la fois un adepte du compromis et un opportuniste qui navigue au gré des vents. Sans les coups des réformateurs radicaux, ils resterait immobile ou se satisferait aisément de la justice en vigueur ».

Zinn rejette aussi l’idée de la neutralité que l’on exige trop souvent des historiens ou sociologues (manque de neutralité qui fut tant reprochée chez nous à Bourdieu) « L’intellectuel n’aime guère les démonstrations d’émotivité. Il les considère comme une insulte à ce qu’il vénère par-dessus tout : la raison ».... « et pourtant assis dans une baptiste noire du sud profond à écouter les gens chanter « we shall overcome...we shall overcome... » et crier « freedom...freedom... », notre intellectuel pourrait bien éprouver une bouffée de joie et d’amour vaguement teintée d’un léger malaise devant une démonstration aussi spontanée d’émotivité. Selon moi ce malaise est du à son incapacité à admettre plusieurs choses : que l’émotion est un instrument « moralement neutre » qui peut servir à une grande variété de fins, qu’elle sert un objectif positif lorsqu’elle est liée à un propos louable, qu’elle n’est pas irrationnelle mais non rationnelle parce que n’étant qu’un instrument, sa rationalité dépend uniquement de la valeur qu’elle sert » Pour Zinn, ne pas être neutre, être sujet à des émotions face aux événements, donne même un surcroît d’implication propice à renforcer la puissance d’analyse.

Zinn est aussi un vrai pacifiste. Engagé volontaire comme bombardier pendant la seconde guerre mondiale, il vivra là-bas l’absurdité de la guerre. Ce sera pour lui un déclic, et aussi en quelque sorte une chance puisque grâce au GI Bill (bourse d’études offerte par le gouvernement américain aux anciens combattants) Zinn deviendra historien. Nommé au Spelman Collège à Atlanta, il s’engagera dans le mouvement et la lutte des noirs pour les droits civiques. Il n’aura aussi de cesse de combattre toutes les guerres : guerre du Vietnam bien sur, souvent aux cotés de son ami Noam Chomsky, rencontré en 1965 et qui deviendra plus tard comme lui, professeur à la Boston University, et plus récemment comme un farouche opposant à la guerre en Irak

L’engagement de Zinn, passe aussi par sa façon d’enseigner : « j’ai toujours insisté sur le fait qu’un bon apprentissage devait être, un synthèse entre la lecture des ouvrages et l’implication dans les mouvements sociaux, deux activités qui s’enrichissent mutuellement ».

En lisant ce livre vous découvriez un Zinn, indéfectible optimiste « je peux comprendre que ma vision de ce monde brutal et injuste puisse sembler absurdement euphorique. Mais pour moi, ce que l’on disqualifie comme tenant de l’idéalisme romantique ou du vœu pieu se justifie quand cela débouche sur des actes susceptibles de réaliser ces vœux, de donner vie à ces idées » et souvent touchant, proche et humain, s’excusant parfois de ne pas être assez radical, par envie de retrouver sa famille : « je dois reconnaître que mon ardeur révolutionnaire s’est maintes fois trouvée refroidie par le désir de retrouver ma femme et mes enfants » ...quand ce n’est pas par phobie des cafard !!!

Didier Grouard

PS : Pourquoi ce livre ? parce que comme beaucoup, j’avais lu « une histoire populaire des Etats-Unis, de 1492 à nos jours » publié comme celui-ci chez Agones, que j’ai eu ensuite la chance d’entendre Thierry Discepolo présenter cette autobiographie à la librairie le Roi Lire à Sceaux, et que bien sur je l’ai lu d’une traite sans pouvoir le lacher...

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[1] également aux éditions Agones