Comment protéger les futurs orphelins ?

Publié le 4 janvier 2006 sur OSIBouaké.org

TranscriptaseS - Revue critique de l’actualité scientifique internationale sur le VIH   et les virus des hépatites - n°106 - janvier-mars 2003

Des femmes membres d’associations du Togo, de Côte d’Ivoire ou du Burkina Faso témoignent de la difficulté d’être à la fois séropositives et mères d’enfants qui risquent, un jour, de devenir orphelins.

Fin 2002, selon les estimations du rapport annuel d’Onusida  , 14 millions d’enfants dans le monde avaient déjà perdu un des deux ou leurs deux parents à cause du sida  . Environ 80% de ces enfants - soit 11 millions - vivent en Afrique subsaharienne, et les prévisions tablent sur une augmentation considérable de leur nombre dans les 10 à 20 prochaines années, notamment en Afrique australe. Rien qu’en Afrique du Sud, quelque 1,5 million d’enfants devraient ainsi être orphelins à cause du sida   à l’horizon 2010. La vulnérabilité de ces enfants et celle de leurs familles commencent bien avant le décès de leurs parents : l’angoisse morale, qui apparaît avec la souffrance et l’évolution de la maladie de leurs parents, s’aggrave lorsque celle-ci provoque des changements dramatiques de la structure familiale et des difficultés économiques importantes. Qui se traduisent, bien souvent, par un abandon de la scolarité au profit de la vie active. Différentes données publiées récemment montrent ainsi que les orphelins qui ont perdu leurs deux parents ont encore plus de risques d’être contraints de quitter l’école et de devoir travailler que ceux qui ont perdu un seul parent. A la fin des années 1990, une enquête réalisée au Kenya montrait déjà que 52% des enfants rendus orphelins par le sida   n’allaient plus à l’école. D’où la nécessité, selon l’Onusida  , de "répondre à des besoins complexes par des actions sensibles", et notamment par des programmes qui ne soient pas "axés uniquement sur les orphelins, car cibler des catégories particulières d’enfants est susceptible d’encourager une augmentation de la stigmatisation et de la discrimination". Quant à la famille élargie, "elle ne pourra être un élément de la solution au nombre élevé d’orphelins que si elle est soutenue de manière adéquate par l’Etat". Un problème qui se pose de jour en jour avec de plus en plus d’acuité, compte tenu de l’avancée dramatique de l’épidémie. Fin 2001 à Ouagadougou, plusieurs femmes membres d’associations du Togo, de Côte d’Ivoire ou du Burkina Faso étaient ainsi venues témoigner à la tribune de la XIIe CISMA de la difficulté d’être à la fois séropositives et mères d’enfants qui risquent, un jour, de devenir orphelins. Morceaux choisis.

Sur la discrimination et la stigmatisation "Les orphelins du sida   ont un statut particulier, témoigne une première intervenante : ils subissent la discrimination de leurs parents, sont exclus des écoles et des jeux des autres enfants. Il faut favoriser leur intégration dans leur famille d’origine, encourager la solidarité. Donc soutenir ces famillles via des activités génératrices de revenus." Une autre explique qu’"il faut aider les mères dont les maris sont souvent déjà décédés, et ne pas créer de centres d’accueil spécifiques pour les enfants afin de ne pas les stigmatiser plus encore. Pourquoi ne pas les préparer à la lutte plutôt qu’à l’idée que leurs parents vont disparaître ?"

Quand et comment leur dire ? "Quand on apprend son statut, tout de suite on voit la mort, raconte une mère. Moi, j’ai mis dans la tête de mon fils qu’il serait chef de famille. Cela fait 7 ans maintenant et tous les enfants de la maison sont dans la lutte. Mais malheureusement, certains ont aussi des enfants infectés." Une deuxième femme témoigne : "Moi, je l’ai dit à ma fille quand elle avait 9 ans. En fait, cela faisait longtemps qu’elle le savait. Les enfants sont très malins. Il faut les former, les informer, les aider à affronter le rejet des autres parce que nous sommes infectés. Mais il faut être fort pour pouvoir le faire car n’attendez pas de pitié à leur âge." Autre expérience, celle d’une mère d’un enfant de 6 ans qui, elle, se disait malade sans nommer la maladie : "Quand mon fils m’a demandé si c’était le sida  , je lui ai répondu que non. Mais lui l’a dit à tout le monde, il était bouleversé et moi avec. Je pense qu’à cet âge on n’est pas mûr pour tout entendre."

Ce qu’en disent les enfants Une psychologue intervenant en Côte d’Ivoire a étudié la manière dont les enfants vivent la situation : "Quand on pose la question aux enfants, ils se plaignent de ne pas connaître leur statut, de ne pas être informés, et surtout demandent, si leurs parents meurent, de ne pas être séparés. Ils veulent vivre comme les autres enfants de leur âge, être intégrés à la société. (...) L’enfant va vivre avec deux statuts : celui d’orphelin et celui d’affecté. Un enfant sent les choses, mais il peut garder le secret pour ne pas faire de mal à sa mère. Il attend une parole des parents, une parole de vérité. Il est indispensable d’aider les mères à informer leurs enfants. Il faut les soutenir dans leur démarche d’annonce. Mais il est ausi important que les enfants puissent demeurer dans leur cadre familial. Parfois, l’oncle ou la tante d’accueil ont peur de la transmission de la maladie à leurs propres enfants et mettent les orphelins à l’écart bien qu’ils les aiment."

Difficultés matérielles et financières La plupart du temps, les enfants sont, de fait, récupérés par le réseau familial - grands-parents, oncles, tantes ou frères aînés. Mais, comme le montre une enquête réalisée à Brazzaville qui, en 2000, comptait déjà quelque 53000 orphelins du sida  , 38% desdites familles sont sans emploi, 16% sont retraitées et environ 50% sont sans ressources. "Jusqu’à quand cette solidarité pourra-t-elle tenir ? Il faut que l’Etat mette en place des programmes pour les aider", clame une mère. Et une autre d’ajouter : "Je connais une tante qui prend en charge les enfants de ses deux frères décédés et qui n’a pas assez d’argent pour pouvoir faire face aux besoins", besoins qui vont des frais de scolarisation à l’assistance alimentaire en passant par la prise en charge médico-psychologique, vestimentaire... Des difficultés que rencontrent également les associations. Comme l’a, par exemple, expliqué Fati Sawagado, de l’Association African Solidarité (AAS) basée à Ouagadougou et qui paie les frais de scolarité de 70 enfants, assure tous les jeudis et samedis soir suivi scolaire et activités, distribue des vêtements, des fournitures scolaires (à 323 enfants), des vivres (à 150 enfants par mois), paye des colonies de vacances à 35 d’entre eux, organise des pique-niques... : "Nous accueillons actuellement plus de 400 enfants âgés de 0 à 14 ans dont 15 sont infectés par le virus. En 1999, ils n’étaient que 50... Le plus souvent, ces enfants sont pris en charge par leur grand-mère ou leur tante maternelles. Mais avec 1000 orphelins qui s’annoncent à l’horizon 2003 pour l’association, on ne pourra pas faire face".

Faut-il compter sur l’Etat ? Pour beaucoup de femmes présentes, il importait déjà à l’époque de "développer des stratégies pour faire face à ce fléau. Il faut que les gouvernements s’impliquent, mettent en place des programmes d’aide, par exemple, en repoussant l’échéance en favorisant l’accès au traitement des parents". D’autres participantes, cependant, répondaient en écho : "Il ne faut pas compter sur les Etats. Il faut des stratégies qui permettent à la famille de s’engager, pour ne pas qu’elles se déchargent."

Orphelin de père, de mère ?

Selon les statistiques officielles, 20-25% des enfants de moins de 15 ans seront orphelins d’ici 2010 en République démocratique du Congo (RDC), dont la plupart en raison du VIH  /sida  . D’où leur surnom d’"orphelins du sida  ". Mais la définition même d’orphelin reste controversée : celle du gouvernement (est estimé comme orphelin tout enfant ayant perdu ses 2 parents) diffère, en effet, de celle de la communauté (un enfant qui a perdu l’un ou l’autre de ses parents), certains faisant même une différence entre les enfants ayant perdu leur mère (qui sont alors orphelins) et ceux qui ont perdu leur père (et qui ne sont pas considérés comme orphelins). Selon les estimations d’Onusida   et de l’Unicef, 502000 enfants avaient ainsi perdu leur mère du sida   et 577000 leur père en RDC en 2001, contre seulement 193000 qui avaient perdu leurs deux parents. En 2010, ils devraient de même être 715000 orphelins de mère et 828000 orphelins de père, contre 222000 enfants qui auront perdu leurs deux parents.

Isabelle Célérier (Pistes)

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