Confrontés aux « vols de bébés », l’Inde veut réformer son système d’adoption

Publié le 3 juillet 2015 sur OSIBouaké.org

AFP/Libération - 3 juillet 2015 -

L’adoption illégale prospère en Inde et le pays veut endiguer ce fléau. Dans les locaux désormais clos de l’agence d’adoption « Fastrack International » en périphérie de New Delhi, un bébé ou un enfant était vendu environ 8.000 dollars et aucune question n’était posée aux parents.

Une fois versés les fonds, les parents potentiels pouvaient passer en revue les enfants désemparés et les emmener le jour même, selon la police, qui a débarqué dans l’agence le mois dernier.

« Vous vouliez un enfant ? Vous en aviez un aussitôt sur les genoux », explique à l’AFP un haut responsable de la police de New Delhi, Dependra Pathak, dont les équipes ont démantelé le réseau.

Un registre saisi pendant le raid révèle que 23 enfants ont été vendus en quelques mois et que 76 « transactions » étaient en cours, certaines impliquant des bébés kidnappés dans des hôpitaux avec la complicité de médecins ou d’infirmières.

En Inde, plus de 100.000 enfants sont portés disparus chaque année, soit 15 par heure, selon des chiffres officiels jugés sous-évalués par les ONG.

Si nombre d’entre eux sont abandonnés par leurs parents pauvres dans l’espoir de leur offrir une vie meilleure, d’autres sont volés dans les hôpitaux, les gares et les grandes villes.

Selon les experts, les parents adoptifs se tournent vers ce marché illégal en raison des délais d’adoption interminables, d’une administration trop précautionneuse et d’une législation très complexe, dans un pays connu pour sa bureaucratie envahissante.

L’Inde compte une centaine d’agences d’adoption dûment enregistrées.

Mais « pourquoi attendre deux ans pour un bébé quand vous pouvez en obtenir un directement en versant de l’argent ? », relève Lorraine Campos, directrice adjointe de Palna, l’une des plus anciennes agences d’adoption de Delhi, qui gère également un orphelinat.

« Les criminels ont vu qu’ils pouvaient profiter des émotions des gens. Et ils ont des complicités au sein de l’administration », dit-elle.

Elle dit avoir constaté une baisse du nombre de bébés abandonnés déposés chez Palna, qui s’occupe de 70 enfants et est reconnue par le gouvernement, et craint que les réseaux aient pu étendre leur emprise.

- ’Piquer des bébés’ -

Le nombre d’orphelins ou d’enfants abandonnés en Inde est élevé, même si aucune statistique officielle n’est disponible. Mais seuls 4.000 ont été officiellement adoptés sur l’année close fin mars, contre 6.000 en 2012.

Aucun cas connu d’adoptions illégales ne semble inclure de ressortissants étrangers. L’an dernier, 374 enfants ont été adoptés légalement en Inde par des étrangers, contre 629 en 2011.

Maneka Gandhi, la ministre des Femmes et du développement de l’Enfant, veut refondre le système d’adoption, pour le relancer. Elle juge que faire attendre des parents pendant des années est « honteux ». Son projet de loi entend simplifier le processus, en créant notamment un registre de suivi national en ligne et en encourageant les parents à l’utiliser.

« L’adoption légale est tellement compliquée que si nous la simplifions, les gens cesseront de piquer des bébés », dit-elle.

Toutes les agences devront s’enregistrer auprès d’une autorité centrale et les enfants dont elles s’occupent devront être inscrits dans une base de données. « Pour une agence enregistrée, dix ne le sont pas. Nous ne savons pas ce qu’elles font », argue la ministre.

Pramod Kumar Soni et sa femme Pinki se félicitent d’un tel projet, eux qui se sont heurtés pendant deux ans à une administration absente, avant de finalement voir leurs espoirs comblés grâce à Palna.

Après avoir subi des tests et des traitements contre l’infertilité pendant 12 ans, le couple avait d’abord contacté une agence proche de son domicile. Avant de renoncer. « Ils n’avaient pas les ressources suffisantes, aucun document sur les enfants, aucune réponse sur la durée du processus, son déroulement... », raconte à l’AFP Soni, consultant de 38 ans. « Ils ne montraient un intérêt que si vous aviez un réseau ou de l’influence ».

« C’était vraiment horrible », ajoute-il, tout en regardant son fils de deux mois doté d’une belle tignasse noire. Abandonné auprès de Palna, l’enfant pourra bientôt repartir avec le couple, une fois les dernières formalités accomplies.

Militant des droits de l’enfant, Bhuwan Ribhu se félicite également de cette évolution attendue de la législation, estimant que la complexité de la loi actuelle, peu respectée, favorise les agences peu scrupuleuses qui exploitent des enfants vulnérables.

- ’Partie émergée de l’iceberg’ -

« Les gens ont tout simplement peur de suivre le processus légal d’adoption. Et il est difficile de poursuivre des groupes criminels organisés et encore plus d’obtenir leur condamnation », dit-il.

L’opération menée à Delhi « n’est que la pointe émergée de l’iceberg », ajoute Ribhu, qui travaille pour l’ONG Bachpan Bachao Andolan (Mouvement pour sauver l’enfance).

Pendant cette récente opération de démantèlement, des policiers ont joué le rôle d’un couple et se sont vu proposer un garçon de deux ans en bonne santé mais « clairement traumatisé » ainsi qu’un bébé emmailloté.

« Le garçon n’avait aucune idée d’où il venait ni de ce qui lui arrivait », raconte Pathak.

Dans les bureaux de l’agence désormais placés sous scellés, dans un bloc d’immeubles lugubre, un voisin raconte avoir vu un défilé de personnes dont certains transportant des bébés ou de petits enfants.

« Il y avait des couples, des gens de tous les âges. J’ai demandé et l’on m’a répondu que c’était une ONG », raconte à l’AFP George John, retraité de l’armée de l’air. « Il n’y avait pas de raison de ne pas les croire ».

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