Xénophobie en Afrique du Sud : en finir avec les idées reçues

Publié le 24 avril 2015 sur OSIBouaké.org

Nairobi, 23 avril 2015 (IRIN) - La xénophobie ne sort pas de nulle part. Elle naît des problèmes sociaux et des difficultés économiques. Après une recrudescence de la violence à Durban et Johannesbourg qui a fait sept morts et poussé plus de 5 000 personnes à fuir de chez elles, voici un aperçu de l’histoire de la xénophobie en Afrique du Sud et des idées reçues qui y ont pris racine.

La vérité sur les chiffres

La xénophobie se nourrit de préjugés et l’un des plus ancrés en Afrique du Sud est que le pays est envahi d’« étrangers », mot utilisé pour désigner les migrants non blancs et plus précisément les autres Africains. L’immigration ne date pourtant pas d’aujourd’hui. Les pays de la région fournissaient déjà de la main-d’oeuvre aux mines d’Afrique du Sud dans les années 1870 et des meneurs pour les premiers mouvements ouvriers. Mais la xénophobie est liée à la fin de l’apartheid en 1994 et à l’arrivée d’immigrés provenant de pays plus lointains.

En 1997, le ministre de l’Intérieur Manogosuthu Buthelezi a déclaré, sans pour autant fournir la moindre preuve, que le pays comptait entre 2,5 et 5 millions d’habitants « illégaux ». Il a appelé les citoyens à aider les autorités à les détecter, les poursuivre et les renvoyer. Cette année-là, 30 demandeurs d’asile ont été tués dans des attaques non provoquées.

Il n’est jamais facile d’estimer le nombre de migrants (officiels et sans papiers). Mais les chiffres cités pour l’Afrique du Sud sont loin d’être concordants : entre 1,6 et 6 millions selon les sources, sur une population totale de 54 millions d’habitants. Ce qui fait l’unanimité, comme les sondages le montrent régulièrement, c’est que les immigrés sont généralement mal vus.

Mais tous ne sont pas logés à la même enseigne en matière de préjugés. Les immigrés originaires de pays culturellement analogues comme le Botswana, le Lesotho et le Swaziland sont généralement mieux perçus que ceux qui viennent d’autres pays voisins comme le Zimbabwe et le Mozambique. Les immigrés provenant de pays plus éloignés, notamment du Nigeria, de la République démocratique du Congo et de Somalie sont ceux qui ont fait le moins bon score dans l’indice de « favorabilité » de 2010 du projet sur les migrations en Afrique australe (Southern African Migration Project, SAMP).

Concurrence pour l’emploi

Un taux de chômage de 26 pour cent (37 pour cent si l’on tient compte des demandeurs d’emploi de longue durée), une profonde inégalité et des services sociaux sclérosés sont considérés comme un terreau fertile pour la xénophobie. Dans cette concurrence apparente pour des ressources rares, les Sud-Africains pauvres considèrent les étrangers comme des rivaux pour les emplois, les logements et les services dont ils espéraient pouvoir bénéficier avec la fin de l’apartheid.

Rien ne prouve pourtant que les étrangers soient le problème. Selon Hamadziripi Tamukamoyo, de l’Institute of Security Studies, « une étude du Gauteng City-Region Observatory a révélé que les immigrés internationaux n’étaient pas source de chômage, mais contribuaient au contraire à l’économie en louant des boutiques aux Sud-Africains, en créant de l’emploi pour les locaux et en payant des taxes sur la valeur ajoutée. Les étrangers qui dirigent des entreprises emploient davantage de Sud-Africains que les entreprises dirigées par des Sud-Africains. »

Dans un rapport publié en 2014, le Migrating for Work Research Consortium (MiWORK) a remarqué que bien que les immigrés africains réussissent mieux que les Sud-Africains sur le marché de l’emploi, « ils ont davantage tendance à être employés dans le secteur informel et à exercer des emplois précaires, l’un comme l’autre caractérisés par des revenus inférieurs. »

En se basant sur les données officielles relatives à l’emploi, le MiWORK a découvert que « les migrants internationaux » ne représentaient que quatre pour cent de la population active d’Afrique du Sud.

« Nous ne croyons pas que la violence xénophobe soit fondée sur la crainte que les étrangers “volent les emplois”. Elle est fondée sur une inégalité économique profonde et sur l’incapacité du gouvernement à appliquer des politiques créatrices d’emploi et de croissance […] Elle est fondée sur des conditions socio-économiques désespérées pour la majorité des Sudafricains », a dit à IRIN Mienke Mari Steytler, porte-parole de l’Institute of Race Relations.

Crime et châtiment

Lorsque le fils du président Jacob Zuma, Edward, a dit le mois dernier que les étrangers étaient non seulement des trafiquants de drogue, mais aussi une « menace pour la sécurité » et qu’ils devaient partir, il se faisait l’écho d’une idée bien ancrée associant les immigrés à la criminalité. Selon un sondage du SAMP, 55 pour cent des Sud-Africains pensent ainsi.

Si tous les migrants ne respectent pas forcément la loi, le stéréotype du baron du crime d’Afrique de l’Ouest corrompant la société — dont les médias se délectaient allègrement à une certaine époque — n’est pas représentatif de la réalité. D’après un rapport de 2014 de l’institut national pour la prévention du crime et la réinsertion des délinquants, les étrangers ne représentent que quatre pour cent des condamnés.

La violence est-elle spontanée ou dirigée ?

Historiquement, un peu des deux, selon M. Cote. À l’échelle locale, les étrangers sont les boucs émissaires rêvés pour expliquer l’échec du parti au pouvoir, le Congrès national africain (ANC), en ce qui concerne les services publics. Ils sont d’ailleurs victimes de violences dans presque toutes les manifestations contre les mauvais résultats du gouvernement. D’après M. Cote, les commerces locaux essayent aussi de se débarrasser de la concurrence des boutiques informelles tenues par des étrangers et sont accusés de provoquer les agressions.

Selon Jonathan Crush et Sujata Ramachandran, chercheurs du SAMP, les autorités locales ont adopté « une position “protectionniste”, qui a mené à plusieurs règlements et politiques cherchant à désavantager, pour ne pas dire éliminer complètement, l’entrepreneuriat immigré ».

Beaucoup ont le sentiment que les boutiques informelles tenues par des immigrés désavantagent d’une certaine manière les Sud-Africains et l’ANC a puisé dans ce ressentiment issu de l’idée que les étrangers nouvellement arrivés réussissent à mettre sur pied des boutiques et à gagner de l’argent. En janvier, dans un contexte de tensions croissantes, la ministre du Développement des petites entreprises, Lindiwe Zulu, a dit que les entrepreneurs immigrés devaient partager leurs secrets commerciaux.

Que faire ?

La violence envers les immigrés et leurs biens est une menace constante. L’exemple le plus sanglant est l’assassinat de 70 personnes en 2008. Cependant, alors que les troubles récents prennent de l’ampleur, de nombreux Sud-Africains, choqués et atterrés, font cause commune avec leurs voisins d’origine étrangère et condamnent les attaques.

La tentative de M. Zuma et de ses ministres de rassurer les immigrés et de contenir les violences est arrivée bien tard et a manqué de sincérité et d’empressement. Les initiatives passées pour faire reculer la xénophobie ont fait leur temps, sapées par lerefus des responsables de reconnaître l’existence du problème, ces violences étant assimilées à des actes criminels comme les autres.

« Les autorités du pays — de l’échelle locale jusqu’au plus haut niveau – doivent parler d’une même voix pour en finir avec les idées reçues concernant les étrangers », a écrit M. Tamukomoyo. « Les services de renseignement de l’État doivent diriger leurs efforts vers une meilleure compréhension des dynamiques qui sous-tendent ces violentes attaques, afin de mieux prévoir où elles risquent d’avoir lieu et dans quelle mesure elles sont organisées. »

Les auteurs de violences ont souvent échappé à la justice, mais M. Cote espère « que cette fois, la question de l’impunité sera résolue, que les poursuites auront lieu et que les [coupables] seront condamnés à des peines appropriées. »

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