Pascal Simbikangwa condamné à 25 ans de détention

Verdict du Jury de la Cour d’Assises de Paris à l’issue du premier procès d’un génocidaire rwandais en France

Publié le 15 mars 2014 sur OSIBouaké.org

Le blog de Colette Braeckman - 14 mars 2014 -

Une étape importante pour la justice française

Alors que le ministère public avait requis la détention à perpétuité pour Pascal Simbikangwa, les jurés parisiens ont tranché : le capitaine de gendarmerie, qui avait été arrêté à Mayotte pour faux papiers et transféré en France a été condamné à 25 ans de prison. C’est moins que ce à quoi s’attendaient ceux qui portèrent plainte contre lui, mais malgré tout le seul fait que ce procès, le premier du genre sur le territoire français, ait pu avoir lieu, est considéré comme une victoire par le collectif des parties civiles. « Il ne fallait pas se tromper de combat : ce procès n’était pas celui de l’implication de la France au Rwanda. Il s’agissait du procès d’un homme, Pascal Simbikangwa, accusé non seulement d’avoir participé au génocide mais d’être l’un de ses planificateurs. » Pour Alain Gauthier et son épouse Daphrose, qui, en France, ont combattu durant deux décennies en faveur de la justice, contre l’impunité, le procès de Simbikangwa, au-delà du verdict lui-même, représente déjà une victoire, puisque la justice française, s’appuyant sur la compétence universelle, a accepté, pour la première fois et à un mois de la commémoration du vingtième anniversaire des massacres, de faire comparaître un homme accusé du génocide des Tutsis.

« Ce n’est qu’un début » assure Alain Gauthier, 25 autres plaintes ont été déposées sur le bureau du juge d’instruction et d’autres procès devraient suivre… »

Cet enseignant de formation, désormais entièrement voué à son combat et qui a longtemps critiqué son pays qui donnait asile à de nombreux « génocidaires » se dit aujourd’hui satisfait de la manière dont le procès s’est déroulé, « avec sérieux et compétence. Le président du tribunal possédait parfaitement son dossier, l’avocat général et Aurélia Devos, vice procureur et chef du « pôle génocide » se sont montrés à la hauteur étaient à la hauteur, les 38 témoins à charge et à décharge ont eu l’occasion de s’exprimer… »

Restait à convaincre les jurés, six citoyens choisis au hasard qui, dans leur long délibéré, ont été accompagnés par trois magistrats (contrairement à la procédure des jurys d’assises en Belgique) où les jurés sont laissés seuls, pour se prononcer en leur âme et conscience.

Le handicap   physique, un atout qui n’a pas servi

Dans le cas de Pascal Simbikangwa, ces hommes et ces femmes n’ont pas eu la tâche facile. Dès le départ, la stratégie de défense de cet homme qui se déplace en chaise roulante était claire, il a minimisé son rôle, s’est présenté comme une victime, un simple capitaine de gendarmerie déjà à la retraite en 1994, qui aurait été incapable, au vu de sa condition physique, de prendre part aux tueries.

Mais il devait apparaître assez vite que ce n’est pas de cela qu’il était accusé : même des témoins convoqués pour s’exprimer en sa faveur ont confirmé, consciemment ou non, la réalité des charges. Proche du président Habyarimana, ce qu’il n’a jamais nié, Simbikangwa était un homme important, un membre de l’ « akazu » l’entourage présidentiel composé des ultras du régime. Bien avant le génocide, son nom était synonyme de terreur. Appartenant au premier cercle du pouvoir il avait menacé et aussi éliminé des journalistes, été l’un des premiers souscripteurs de la radio des Mille Collines, qui assura l’encadrement idéologique du génocide. Même les Tutsis venus dire à la barre qu’il les avait protégés et sauvés ont confirmé que cet homme là circulait librement dans Kigali couverte de barrières où les miliciens Interhahamwe triaient les citoyens et les éliminaient d’après leur ethnie.

Jouant sur son handicap  , (du à un accident de voiture) sur sa faiblesse physique, Simbikangwa a tenté de faire croire que, circulant couché dans une voiture, il n’avait même pas vu les tueries, et à peine aperçu les camions de la voirie de Kigali qui déblayaient les cadavres ! En réalité, tout au long du procès, le « profil bas » de l’accusé a été démenti non seulement par les témoignages mais par sa propre attitude : par moments, quittant ses digressions et ses échappatoires, on le surprit à intimer à l’avocat général, un ordre comminatoire « répondez à mes questions » Comme si le tortionnaire d’hier avait oublié que les rôles s’étaient inversés !

Cependant, au contraire des quatre procès d’assises qui se sont déroulés en Belgique, le procès de Simbikangwa, deux décennies après les faits, a été qualifié par la presse française de « théâtre froid » : peu ou pas de témoignages de victimes directes, beaucoup de témoins de contexte, d’experts et une salle dans laquelle, contrairement à Bruxelles, théâtre de toutes les passions, les Rwandais étaient assez rares. Même les proches de l’accusé, vivant en France, s’étaient abstenus de faire le déplacement… La relative « froideur » de la procédure n’a pas nécessairement aidé les jurés, qui ont du imaginer un autre temps, un autre espace, pour mesurer en leur âme et conscience le degré de responsabilité de l’homme enfermé devant eux, qui parfois semblait les narguer derrière sa cloison de verre.


Une étape dans la lutte contre l’impunité des auteurs et complices du génocide des Tutsi au Rwanda

13 mars 2014 - par Survie -

Avant le prononcé du verdict du Jury de la Cour d’Assises de Paris, Survie tient à exprimer ses impressions concernant le procès du présumé génocidaire rwandais Pascal Simbikangwa. Organisé dans de bonnes conditions, après une instruction sérieuse, ce procès, quelle qu’en soit l’issue, a permis de réaffirmer que ce génocide n’est pas contestable. Il a ouvert une brèche contre l’impunité de ses auteurs et complices en France, à quelques semaines de la 20ème commémoration.

Un procès historique

Le 4 février dernier commençait à la Cour d’Assises du Tribunal de Grande Instance de Paris le procès de Pascal Simbikangwa, accusé de complicité de crimes contre l’humanité pour des actes commis durant les 3 mois du génocide des Tutsi au Rwanda en 1994, et même de crime de génocide par le ministère public dans son réquisitoire, il encourt la perpétuité. Survie est partie civile dans ce procès. Il s’agit du premier procès d’un présume génocidaire rwandais tenu en France, où ils ont été nombreux à se réfugier après le génocide. Les 3 premières semaines se sont centrées sur le parcours de l’accusé et sur le contexte du génocide. La plupart des témoignages ont rappelé l’aspect planifié du génocide et démontré le rôle de Simbikangwa dans le développement de l’idéologie raciste et de la répression envers les Tutsi et les opposants Hutu. Si certains des témoignages tendent à démontrer le rôle d’importance joué par l’accusé avant le génocide au sein des services de renseignements en particulier, c’est seulement sur son rôle durant les 100 jours du génocide des Tutsi et des massacres d’opposants Hutu qu’il est jugé. Les témoins des faits ont été entendus entre le 24 février et le 6 mars. Certains ont accusé Simbikangwa de s’être rendu régulièrement aux « barrières » pour encourager les miliciens extrémistes (Interahamwe) à massacrer les Tutsi et pour leur fournir des armes, notamment dans le quartier de Kiyovu à Kigali.

La confirmation que Simbikangwa a joué un rôle clé

Le nom de Pascal Simbikangwa a été cité dans le rapport de la mission internationale de 1993, puis dans l’ouvrage « Complicité de génocide ? » publié en octobre 1994 par François-Xavier Verschave, ancien président de Survie. Pour l’association, ce nom qui fait trembler encore bien des rescapés aujourd’hui n’est pas celui d’un personnage fantasmé. Tout au long du procès, l’accusé n’a cessé d’exposer ses théories martiales à propos de sa lutte à mort contre le FPR et les Tutsi et a démontré dans ses nombreuses prises de parole, avec une certaine jubilation, qu’il connaissait mieux que personne tous les rouages politiques, sécuritaires, militaires de l’Etat rwandais, le fonctionnement des médias, qu’il était l’œil et l’oreille de personnalités de premier plan. Pour Maître Jean Simon, l’avocat de Survie « il faut retenir son autorité, elle ressort des débats, il tente de faire croire qu’il est un homme de peu à partir de 1992 mais cela ne tient pas la route car au moment du génocide il a la liberté de circuler plus que tous ceux de son quartier. Son véhicule est reconnu dans Kigali. On ne l’arrête pas, on ne le contrôle pas. Et hors de son quartier, quand on le contrôle, son seul nom sert de laisser passer. Son vêtement militaire renforce cette autorité. Un des gardiens parle de lui comme l’homme le plus fort du quartier ».

Un procès qui a réveillé l’expression de discours négationnistes

Le déroulement des audiences, suivies par une trentaine de militants de l’association Survie, a confirmé certaines craintes de l’association, à travers la réitération par l’accusé et ses défenseurs de discours révisionnistes, de négation et une focalisation de l’accusé sur le rôle des Tutsi et du FPR dans le déclenchement des hostilités, puis des crimes. Au cours des audiences, Pascal Simbikangwa a choisi d’éluder les questions, de tout nier, y compris l’évidence, une stratégie du déni et du mépris, particulièrement choquante. « La personnalité de cet homme s’articule sur le déni du réel, il n’a pas vu de cadavres dans une ville qui en a compté au moins 110 000 ! » s’est indigné Me Jean Simon, l’avocat de Survie lors de sa plaidoirie du 12 mars. « A qui le faire croire, alors que les réfugiés chez lui voyaient jusque 3 camions bennes par jour pour leur ramassage macabre au début du génocide ? ». Pour Me Simon « il ne peut reconnaître ces morts car le génocide c’est tuer et c’est aussi effacer les traces. ». Pour le Président de Survie, Fabrice Tarrit, auditionné en tant que partie civile « cette insulte à la mémoire des victimes et de leurs proches place cet homme parmi les personnages les plus emblématiques de ce mépris, ce négationnisme et ce sentiment d’impunité contre lesquels l’association Survie se bat depuis 20 ans ».

Pour expliquer les crimes commis dans son pays, Simbikangwa a également donné une vision fantasmée et caricaturale du Rwanda et de l’Afrique en général, tentant de crédibiliser l’idée d’Africains pas vraiment mûrs pour la démocratie, capables de se livrer à un génocide « spontané ». Il s’agit là d’un contre-feu fréquemment utilisé pour contester les travaux qui ont prouvé que ce génocide était organisé, planifié, qu’il a bénéficié de soutiens économiques, militaires, y compris français, qu’il s’est appuyé sur des élites intellectuelles, militaires rwandaises, dont incontestablement faisait partie Monsieur Simbikangwa.

Un procès qui n’était pas celui de l’implication française dans le génocide

Pour l’avocat de Survie, Me Jean Simon « ce procès n’aura pas permis d’avancer sur l’implication française dans le génocide des Tutsi du Rwanda car c’est le procès d’un homme et non celui du génocide et de ses soutiens ».

Toutefois, l’ombre des multiples complicités françaises a plané tout au long de l’audience, dès l’exposé de la synthèse du dossier par le Président du tribunal, le 4 mars, celui-ci insistant notamment sur les livraisons d’armes de la France au régime génocidaire. L’audition du lieutenant-colonel Robardey a également été éclairante sur un point : la permanence de discours exprimés par des militaires français ayant exercé au Rwanda avant ou pendant le génocide.

Cet officier français présent au Rwanda de 1990 à 1993 a travaillé au bureau G3 de l’État Major de la gendarmerie à la formation des officiers de police judiciaire, notamment pour leur enseigner des techniques d’enquête. Il a donné à la barre une vision révisionniste du génocide, évoquant une montée de tension et des violences qui ne seraient qu’une réaction aux actes de guérilla du FPR et aux crimes perpétrés au Burundi voisin, affirmant que « si tout cela s’est fait, ce n’était pas organisé », considérant comme une « injustice le fait que seuls les crimes commis contre les Tutsi soient considérés comme un génocide » et réclamant « une requalification des crimes commis contre les Hutu ».

Rappelons que 27 des 33 affaires instruites par le Pôle génocide et crimes contre l’Humanité concernent le Rwanda, dont 6 traitent de la complicité présumée de militaires français dans le génocide et une de celle de l’ancien gendarme de l’Elysée, le capitaine Paul Barril. L’association Survie, également partie civile dans ces 7 dossiers, milite depuis de nombreuses années pour que la responsabilité de dirigeants français, politiques et militaires soit établie et jugée.

L’association Survie, une partie civile légitime dans ce procès

Les 5 parties civiles de ce procès n’ont pas été épargnées par l’accusé et par sa défense, qualifiées de « parquetiers », accusées de disposer de moyens considérables et de manipuler les témoins. Pourtant, tout au long de leurs interventions et de leurs plaidoiries, ces parties civiles ont montré que leur présence n’était pas liée à un désir de vengeance ni à un acharnement contre un homme, mais bien au désir de voir la vérité et la justice triompher après 20 ans de lenteurs judiciaires.

Lors de son audition du vendredi 7 mars, le président de Survie, Fabrice Tarrit, a rappelé le rôle de l’association dans ce dossier. « Survie a fait de la lutte contre l’impunité des auteurs et complices du génocide des Tutsi au Rwanda un de ses combats fondateurs, qui l’amène à être partie civile dans plusieurs affaires, dont celle de Pascal Simbikangwa. Sa présence au procès s’inscrivait donc dans la continuité d’un combat, en cohérence avec les objectifs de l’association, dont un des objectifs statutaires est depuis 1995 la lutte contre la banalisation du génocide, face notamment aux discours de négation, exprimés y compris au plus haut niveau de l’État ».

En plus d’être une des premières associations à avoir alerté dès 1993 sur les risques de génocide et à s’être mobilisée pendant le génocide, Survie et ses membres ont été parmi les premiers à déposer des plaintes contre des présumés génocidaires réfugiés en France (dès 1995, avec une première constitution de partie civile en 2002).

Depuis 1994, la mobilisation n’a pas faibli, malgré les moyens modestes de l’association. Ce combat a mobilisé des milliers d’individus depuis. Il s’agit d’un engagement citoyen, totalement désintéressé, loin des fantasmes véhiculés par certains négationnistes. La plupart des militants de Survie avaient moins de 20 ans en 1994. Leur exigence à connaître la vérité est forte. Les générations se renouvellent et le combat continue.

Une organisation du procès et une qualité des débats à saluer

La présence à la Cour d’Assises de Paris de Survie visait également à montrer l’exigence forte de l’association vis à vis de l’institution judiciaire qui a tant tardé à instruire certains dossiers.

Survie a parlé d’un procès nécessaire mais tardif, rappelant que la France a été condamnée en 2004 par la Cour européenne des Droits de l’Homme pour la lenteur de la Justice dans l’affaire Munyeshaka, dossier dans lequel Survie est partie civile. L’association a également milité pour la création d’une Cour pénale Internationale, puis plus tard pour l’adaptation du statut de Rome en droit français – un sujet qui n’est toujours pas clôt –, et a réclamé des moyens pour le Pôle génocide et crimes contre l’humanité du TGI de Paris, créé le 1er janvier 2012.

Les représentants de l’association qui ont assisté au procès expriment leur satisfaction quant au déroulement des audiences, conduites en toute impartialité par le Président du tribunal, au temps consacré aux exposés de témoins de contexte, au nombre de témoins convoqués à la barre.

L’importance du dossier d’accusation constitué lors de l’instruction confirme la nécessité de voir le Pôle génocide et crimes contre l’humanité disposer de moyens suffisants, à renforcer dans la perspective des nombreux procès à venir.

Qu’attendre du verdict ?

Le verdict de ce procès n’est qu’une étape dans la voie de la vérité et de la justice qui s’est enfin ouverte en France. La tenue de ce procès 20 ans après les faits, le faible nombre de rescapés, donc de témoins, la prescription des accusations de torture auront été autant d’obstacles pour l’accusation, mais c’est en leur âme et conscience que les jurés décideront du niveau d’implication de Pascal Simbikangwa dans les faits qui lui sont reprochés. Accusé de crime de génocide par le ministère public dans son réquisitoire, il encourt la perpétuité. D’autres procès suivront, à un rythme soutenu. Les procès programmés ne concernent pour l’instant que des présumés génocidaires résidant en France. Mais pour Survie, au vu des éléments rassemblés concernant les complicités politiques, militaires et économiques de la France, il serait inconcevable que des responsables français n’aient pas à leur tour à répondre à la Justice.

L’association vient de lancer une campagne intitulée « 20 ans d’impunité : la France complice du génocide des Tutsi au Rwanda », avec une revendication phare : la déclassification des archives françaises concernant le Rwanda.


Procès Simbikangwa : la parole est aux jurés

NouvelObs - 14 mars 2014 - par Cécile Deffontaines et Sarah Halifa-Legrand -

Réclusion criminelle à perpétuité ! "Vous n’êtes pas un petit, un intermittent du génocide. Vous n’avez peut-être effectivement jamais tué une mouche, comme vous l’avez dit, mais j’affirme que vous avez fait tuer beaucoup d’hommes. Que vous avez mis tout votre poids, votre efficacité si redoutable, à plein temps, au service de la machine génocidaire", a tonné l’avocat général Bruno Sturlese, pulvérisant le paravent derrière lequel, six semaines durant, Pascal Simbikangwa a voulu se dissimuler : son masque de sous-fifre qui n’a rien vu, rien entendu.

Les six jurés suivront-ils les réquisitions à deux voix, longues et implacables, des avocats généraux ? Condamneront-ils, et à quelle peine, le premier Rwandais jugé devant une Cour française, 20 ans après les 100 jours apocalyptiques, l’extermination systématique de près d’un million de Tutsi, entre avril et juillet 1994 ? L’ancien capitaine, proche du président Juvénal Habyarimana [mort dans l’accident de son avion le 6 avril, étincelle qui déclencha les tueries, NDLR], est accusé du crime des crimes, non pour avoir tué de ses mains mais pour "avoir fait commettre" le génocide à Kigali en distribuant des armes et en encourageant les miliciens assassins, sur leurs barrières d’épouvante. C’est un "donneur d’ordre", d’ordres de tuer, qu’ils doivent juger. Retour sur un procès hors normes.

L’accusé fut son pire ennemi

Il n’aura donc pas vu un mort. Cet entêtement à nier l’évidence, dans ce charnier à ciel ouvert qu’était devenu le Rwanda, aura été le grand mystère du procès. Et sans doute le plus choquant. "C’est du foutage de gueule", va violemment dénoncer maître Emmanuel Daoud, avocat des parties civiles, lors de sa plaidoirie. "De Simbikangwa on ne connaîtra jamais sa part de vérité. Même sur les choses les plus insignifiantes, il est obligé de mentir", regrette, ému, maître Simon Foreman, lui aussi au nom des parties civiles. "Il n’a jamais voulu partager la moindre once de sincérité avec nous".

Pire ? Pascal Simbikangwa va oser revendiquer le statut de Juste pour avoir sauvé des Tutsi, une cinquantaine selon lui, quelques uns en réalité. Lesquels, à la barre, ne le remercieront que du bout des lèvres, voire pas du tout… "Vous n’êtes pas un" Juste", non. Vous êtes un assassin !", poursuivra l’avocat Emmanuel Daoud. Quand il ne sait que répondre, Simbikangwa invoque, en se lamentant, sa mère tutsie [morte dans un bombardement à Goma, après le génocide, NDLR] "qui, elle, n’a pas eu de sépulture". Contrairement, selon lui, aux Tutsi, pourtant ramassés par les camions des poubelles et jetés dans des fosses communes... "Cynisme" de l’accusé, dénonceront les parties civiles.

Et quelle énergie ! Pugnace, maîtrisant les cotes du dossier sur le bout des doigts, Pascal Simbikangwa aura mené son ultime combat. Bien loin de l’homme diminué qu’il prétendait d’abord être, reclus dans son fauteuil roulant depuis l’accident de voiture qui lui a coûté l’usage de ses jambes, en 1986. Il prend des notes, ses mains s’agitent en dehors de son box. Il hoche la tête, roule des yeux, proteste au point que ses avocats, maîtres Fabrice Epstein et Alexandra Bourgeot, doivent parfois contenir ses emportements d’un geste d’apaisement.

"Il veut se faire passer pour un subalterne, chômeur, scribouillard ; mais vous n’êtes pas un homme banal. Vous êtes un homme brillant, intelligent, à la repartie fulgurante", a décrypté maître Daoud. "En lettré, [Pascal Simbikangwa] veut nous dompter par le verbe. Il ne répond pas aux questions, il plaide." "Maître Simbikangwa", fourcha même une fois le président de la Cour, Olivier Leurent, "je vous laisse tout le temps de faire vos observations, et c’est tout à fait normal, mais essayez de répondre aux questions". Un président posé, maîtrisant aussi bien le dossier que ce rhétoricien qui excelle dans l’art de répondre à côté. Mais parfois, au fil de ses dénégations qui confinent au négationnisme, Simbikangwa glisse de surprenants lapsus, éclats de vérité, avant de se reprendre. Grand moment aussi quand il ne parvient plus, lui le militaire patriote, à se souvenir des couleurs du drapeau rwandais. Les couleurs qu’il donnera seront celles… de la CDR, le parti hutu le plus extrémiste.

Des témoins à décharge qui se muent en témoins à charge

Les "Tutsi sauvés" ne seront pas venus au secours de leur sauveteur. C’était l’argument fort de Pascal Simbikangwa : il a soustrait des personnes à une mort inéluctable. CQFD, les ayant aidés, il ne peut être un génocidaire. C’est oublier le "syndrome du sauveur-tueur", dont maître Patrick Beaudouin, avocat des parties civiles, rappellera l’existence ; le fait que des personnes ayant "commis l’horreur" aient besoin "de se supporter", "de trouver en eux une humanité", dira maître Domitille Phillipart, en sauvant paradoxalement quelques vies, comme le fit le chef de la SS Himmler.

Sauf que ces témoins venus du Rwanda vont se révéler beaucoup moins reconnaissants qu’ils ne devraient l’être, devant celui à qui ils doivent la vie... Attitude très nette chez Pascal Gahamanyi, le jeune Tutsi, 18 ans alors, que Pascal Simbikangwa a gardé à ses côtés, trois mois durant, et qui dira à la barre "avoir vécu l’enfer".

Le procès a basculé le vendredi 28 mars, quand Isaïe, humble gardien de maison, voisin de l’accusé, est venu parler devant la Cour. Avec son cœur. Isaïe aime "Pascal", "son frère". Mais Isaïe, tiré, dira-t-il, à trois reprises des griffes de miliciens Interahamwe par Simbikangwa, a dépeint un accusé ayant "le droit de vie et de mort" dans ce quartier de Kiyovu-les-riches, à Kigali. Autant dire, sûrement pas ce pré-retraité avant l’heure qu’il prétend être. Mais bien un homme puissant, respecté, écouté. Isaïe fut "le grand naïf" de Pascal Simbikangwa, dira l’avocat général. Tout en souhaitant jusqu’au bout être loyal à son "ami", il lui a donné le baiser de la mort.

Des obstacles, temporels et culturels, durs à surmonter

"Fusil, c’est un mot invariable en kinyarwanda". Quand le traducteur ose, timidement, livrer cette explication à l’avocat de la défense Fabrice Epstein, qui le presse pour connaître le nombre de fusils que le témoin a observés, la salle saisit ce qu’elle subodorait : il y a un monde d’incompréhension entre ces témoins venus du Rwanda, leur histoire en 1994, et cette Cour parisienne, 20 ans après. Le filtre de la traduction fait perdre les subtilités des explications, et cet obstacle se multiplie à l’infini.

Depuis 1994, ces témoins ont été entendus de nombreuses fois. Par les enquêteurs du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), par le TPIR lors des procès, par les enquêteurs français, par les juges d’instruction français, etc. Des milliers de documents ont été produits. Certains témoins n’ont pas varié dans leurs dépositions, comme Jean-Marie Vianney, gardien de barrière Tutsi qui affirme que Simbikangwa a donné l’ordre de le tuer.

Mais d’autres semblent se contredire ou s’empêtrer, et la défense s’engouffre dans ces brèches, semant le doute. "On n’a jamais vu témoins aussi fragiles", fustige dans sa plaidoirie Me Alexandra Bourgeot, qui s’est employée tout le long du procès à souffler sur ce "château de cartes" en espérant le voir s’écrouler. Pour Pascal Simbikangwa, l’explication est encore plus simple : tous les témoins sont des bonimenteurs, des "récitants", voire des "cultivateurs de la preuve", formatés par le régime de Kigali et les associations de défense des Tutsi rescapés, qui lui en veulent personnellement.

"Les témoins disent deux choses qui sont subtilement différentes ? Ils mentent ! Les témoins disent des choses semblables ? Ils se sont concertés ! explique l’avocate générale, Aurélia Devos, dans ses réquisitions, décryptant cette stratégie majeure de la défense. On veut vous faire croire que celui qui est dans ce box est le seul à dire la vérité, seul contre tous. On en est loin…" Elle va resituer ces témoins dans leur contexte personnel. Il y a ceux qui ont menti autrefois, dans des procès où ils étaient cités à décharge, pour défendre un ancien patron, alors qu’ils avaient encore beaucoup à perdre.

Des années plus tard, "quel rapport avec le témoignage d’un homme qui, désormais, a purgé sa peine, refait sa vie en Belgique et n’en rajoute pas ?" Il y a ceux qui ont peur, comme Gaspard l’agriculteur qui tremble, ou Protegestate, qui ne veut pas que son nom soit cité par crainte de représailles. Ceux qui, aussi, réclament de l’argent en direct pour prix de leur collaboration, comme Valérie Bemeriki, la journaliste vedette de "la radio de la mort" RTLM, condamnée à vie. Elle racontera avoir vu Simbikangwa venir, en actionnaire de la RTLM, rencontrer le président, le 7 avril au matin. Moment crucial. Ceux qui, enfin, de modestes gardiens de maisons, ont été contraints de se muer en gardiens des barrières sanglantes qui quadrillaient la ville. Et n’en sont pas fiers...

Comment évaluer ce sous-texte, jauger ce qui ne se dit pas, sonder les cœurs et comprendre ce qui s’est réellement joué entre tous ces témoins et l’accusé, au milieu du chaos ? Comment savoir ce qui s’est vraiment passé quand une part de vérité a à jamais disparu avec tous ceux qui n’ont pas survécu, qui n’ont pu témoigner à ce procès sans victimes ? Il faudra surtout estimer la responsabilité réelle d’un homme, Pascal Simbikangwa. Evaluer l’impact qu’ont eu ses distributions d’armes, ses visites aux barrières, ses encouragements aux tueurs, dans la réalisation du crime ultime. Simples "Coups de projecteur", estimera l’avocate générale, sur une activité qui aura duré 90 jours, et encore pleine de zones d’ombre. Difficile tâche des jurés.


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