Des anciens soldats filles échangent un cauchemar contre un autre

Publié le 29 juin 2012 sur OSIBouaké.org

IPS - ONU   - Isabelle de Grave - 15 Juin 2012 -"Quand j’étais encore à l’école, j’ai été enlevée par l’Armée de résistance du Seigneur, avec 139 autres jeunes filles", a déclaré Grâce Akallo. "J’ai passé sept mois en captivité, mais j’ai survécu ; je me suis évadée et je suis retournée à la maison".

Il y a 12 ans, quand Akallo était encore une enfant, sa vie avait pris une tournure inattendue lorsqu’elle est tombée entre les mains de la force rebelle notoirement brutale de Joseph Kony, appelée l’Armée de résistance du Seigneur (LRA).

Aujourd’hui, elle est mariée avec un enfant, une maîtrise et une mission dans la vie : donner une voix à l’enfant fille soldat.

Formée en Ouganda dans les années 1980, et opérant aujourd’hui en République démocratique du Congo, la LRA demeure parmi les auteurs les plus persistants de graves violations contre les enfants, selon un récent rapport de l’ONU  .

"D’abord les filles sont enlevées, il en est de même pour les soldats garçons", a souligné Akallo à IPS. "Elles sont battues et maltraitées, elles sont formées pour devenir des enfants soldats, reçoivent des AK-47, et sont forcées à tuer".

"La plupart des enfants sont envoyés au premier plan, avec les chefs derrière eux. Vos balles sont finies ? Vous tirez sur votre ami(e) afin d’obtenir plus de balles. Au même moment, les chefs utilisaient les enfants comme boucliers, afin que les enfants soient abattus et que eux survivent".

Ce qui rend les filles enfants soldats différentes, ce sont les sévices sexuels qu’elles sont obligées d’endurer, explique Akallo. "La plupart des filles subissaient des sévices sexuels, y compris moi. J’ai eu la chance que je ne sois pas retournée à la maison avec un enfant, ou infectée par le VIH   ou n’importe quelle autre maladie.

"Bon nombre de ces filles ont dû accoucher en captivité, certaines d’entre elles étaient obligées d’aller se battre avec les enfants au dos, et certaines ont accouché sur le champ de bataille", a-t-elle affirmé.

Mais le sort de l’enfant fille soldat est en grande partie caché, masqué par les chefs des groupes armés qui se réfèrent aux filles combattantes comme "épouses" ou "sœurs".

Les filles sont sommairement remises aux combattants hommes, et Kony aurait eu jusqu’à 50 filles dans son ménage immédiat à un moment donné.

"Certaines sont données à un seul commandant, et quelques-unes sont offertes à plusieurs hommes", a déclaré Akallo à IPS.

Désarmement, démobilisation et réinsertion

En raison des rôles que les filles jouent, notamment la cuisine, les travaux domestiques, le transport de provisions et les services sexuels, elles sont rendues presque invisibles, sous le radar du droit international et des initiatives de désarmement.

Des programmes de Désarmement, démobilisation et de réinsertion (DDR) sont en cours depuis les années 1980 et l’ONU   a lancé son ensemble formel de directives en 2006. Mais les progrès ont été inégaux, en particulier concernant les filles soldats.

"Lorsque vous désarmez quelqu’un, vous lui demandez de retourner ses armes. La plupart des enfants filles soldats ne portent pas d’armes. Elles sont utilisées comme esclaves sexuels et épouses de brousse. De ce point de vue, je ne pense pas que le DDR ait été un succès", a indiqué à IPS, Ugoji Adanma, fondateur de la Fondation ’Eng Aja Eze’, qui aide les femmes et les filles à sortir d’un conflit.

Le droit international a également "considérablement exclu" les femmes soldats, a déclaré Matthew Brotmann, directeur des programmes internationaux et professeur adjoint de droit à la ’Pace Law School’ (Faculté de droit de Pace), lors d’une conférence le 4 juin intitulée "L’incidence de l’enfant fille soldat et la Cour pénale internationale".

En omettant d’inclure des définitions spécifiques liées au genre dans les instruments juridiques et les directives en matière de politiques, "nous forçons une cheville carrée dans un trou rond", a indiqué Brottman à IPS.

"Nous ne pouvons pas traiter toutes les victimes de la même manière, quel que soit le sexe", a-t-il dit.

Dans le récent procès du chef de guerre congolais, Thomas Lubanga Dyilo, l’enrôlement d’enfants comme soldats a été considéré comme un crime de guerre pour la première fois.

Mais les commandants du groupe de la milice de Lubanga, l’Union des patriotes congolais (UPC), n’ont pas été arrêtés pour expliquer les allégations de viol, ce qui soulève des questions fondamentales au sujet de la partialité du droit international.

"L’incidence de l’enfant fille soldat n’a pas été réellement prise en considération. Elle a été notée, mais pourquoi les procureurs ne présentent-ils pas les preuves des principaux témoins quant aux violences sexuelles contre les femmes ? C’est ce qui est ma préoccupation", a souligné Adanma à IPS.

Réconciliation des communautés

La réinsertion des enfants filles soldats constitue l’un des plus grands défis pour les ex-combattants et ceux qui s’efforcent de les protéger, des organisations non gouvernementales à la base, aux gouvernements, en passant par la communauté internationale.

Le financement fait défaut, et bien que les bailleurs de fonds soient prompts à répondre en cas d’urgence, la réinsertion tombe souvent dans la zone floue entre l’aide d’urgence et l’aide au développement.

"En Sierra Leone, où nous avons travaillé sur les hôpitaux de réadaptation et l’éducation, pour ouvrir des écoles que des filles pouvaient fréquenter, mon message était de porter la plume et non le fusil", a déclaré à IPS, Rima Salah, ancienne directrice exécutive adjointe du Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF).

Mais la complexité de la réinsertion des ex-combattants défie les solutions simples.

"Ni les enfants soldats garçons ni les enfants soldats filles ne sont vraiment acceptés dans la société, mais pour les enfants soldats filles, c’est (plus difficile) quand elles ont des enfants non désirés", a indiqué Akallo à IPS.

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