Côte d’ Ivoire : Les Forces nouvelles tentent de se défendre contre le VIH/SIDA

Ou comment une situation de conflit accélère la propagation du VIH

Publié le 6 octobre 2005 sur OSIBouaké.org

Man, 6 octobre 2005 (PLUSNEWS) -

Après avoir voulu renverser le président Laurent Gbagbo il y a trois ans, les rebelles des Forces nouvelles tentent aujourd’hui de s’attaquer au VIH  /SIDA   dans une région appauvrie, aux infrastructures détruites par le conflit.

Les soldats membres de la rébellion armée se sont installés à Man à la fin de l’année 2002, peu de temps après le déclenchement de la guerre en septembre de la même année.

La préfecture de la région des 18 montagnes, dans l’ouest du pays, est une ville carrefour, proche de la Guinée et du Liberia, des pays instables et fortement touchés par le VIH  .

« Avec la guerre, les structures sanitaires ont été fermées, les agents de santé sont partis et les populations ont été laissées à elles-mêmes », a expliqué à PlusNews le sergent-major Niamé Soro, responsable de la santé des Forces nouvelles en zone ouest.

« Les maladies ont repris du terrain et le sida   ne s’est pas fait attendre », a-t-il ajouté, alors qu’une dizaine de soldats attendait son tour devant la porte.

Assis derrière son bureau encombré de papiers, un stéthoscope pendu à son cou, le sergent-major a dit que cela faisait deux ans que les militaires étaient sensibilisés au VIH  , avec l’appui d’une quinzaine d’organisations non-gouvernementales (ONG).

« Des pairs éducateurs rencontrent les rebelles quatre fois par semaine pour leur parler des modes de transmission du virus du sida   », a dit le sergent Soro. Vêtu d’une blouse blanche, seul son pantalon, un treillis kaki, rappelle son appartenance à la rébellion armée.

Selon Meyan Nguessan, consultant pour l’organisation américaine Population Service International (PSI), 18 pairs éducateurs, des soldats, ont été formés à Man « pour informer leurs camarades de l’infection à VIH   ». Trente rebelles ont été désignés pour remplir ce rôle à Bouaké et à Korhogo, les deux grandes villes du nord du pays aux mains des Forces nouvelles.

« Je descends moi-même sur le terrain pour parler aux rebelles quand le taux d’IST [les infections sexuellement transmissibles] augmente », a ajouté le sergent Soro.

Compte tenu du manque d’infrastructures disponibles pour les patients, l’organisation internationale Médecins sans frontières (MSF  ) a estimé, dans une étude rendue publique en avril, “qu’une part considérable de la communauté touchée par les IST n’est pas examinée, dépistée ou traitée” - et ce bien que les cliniques mobiles de MSF   soignent chaque mois 1 600 personnes souffrant d’IST.

Les supplétifs venus du Liberia voisin ou du Burkina Faso, les va-et-vients de soldats entre la Côte d’Ivoire et la Guinée, des pays très affectés par le VIH  , ont, depuis 2002, largement alimenté la propagation du virus, a confirmé le sergent Soro. « Il y a eu beaucoup de brassage de populations à l’ouest : les Libériens, les Burkinabé, les prisonniers... ».

« Tous ces combattants qui viennent de partout peuvent accélérer la propagation du virus du sida   dans les pays limitrophes », a dit le caporal Yao Kouadio, des Forces nouvelles. « Ils peuvent l’amener dans notre pays comme nous pouvons le transmettre dans un autre. »

En 2004, 179 enfants de moins de 14 ans ont été traités pour des IST par les équipes de MSF   dans l’ouest ivoirien, selon l’organisation médicale. A l’hôpital de Man, où MSF   est installé, plus de 18 pour cent des personnes qui viennent donner leur sang sont infectés au VIH   et une personne sur cinq se rend à l’hôpital pour soigner une IST, selon la Croix rouge ivoirienne.

Changer de comportement, une question de survie

Du coup, promotion des préservatifs, de l’abstinence et de la fidélité, les soldats font feu de tout bois pour éviter que l’épidémie ne se propage dans leurs rangs et initier un changement de comportement chez les soldats, a expliqué le sergent Soro.

Après trois ans de conflit, les populations se sont considérablement appauvries, poussant les femmes, jeunes et moins jeunes, dans les bras des hommes susceptibles d’offrir médicaments et nourriture.

Ainsi, la plupart des filles que les hommes, militaires comme civils, retrouvent dans les bars du centre-ville à la nuit tombée n’ont pas vingt ans. Pantalon taille basse, dos nus et fardées, elles cherchent un protecteur, fut-il un rebelle armé d’une AK-47.

« De nombreuses jeunes filles s’adonnent à la prostitution pour se nourrir », a commenté le sergent Soro, approuvé par Ahmet Coulibaly, l’un des soldats présents à Man. « On s’échange les filles ici ! Une fille peut sortir avec quatre ou cinq rebelles », a expliqué le jeune homme.

Pourtant, le sergent-major a dit n’avoir distribué que 3 400 préservatifs au cours des 18 derniers mois, des dons de MSF   et de l’organisation humanitaire Care International, les rares ONG à prendre en charge les personnes vivant avec le VIH   dans la région.

« Nous préférons les inciter à acheter les préservatifs quand ils [les soldats] en ont besoin », a-t-il expliqué, sans vouloir de donner de détails sur le nombre de rebelles installés à Man et sa région.

Toutes les petites boutiques, les étals de petites marchandises au détails, les hôtels et les rares pharmacies vendent des préservatifs à un prix minimum de 100 francs CFA les quatre, soit 20 cents américains, selon Ahmet Coulibaly, qui a affirmé en acheter régulièrement « à la boutique ».

Il est hors de question de faire autrement, selon le jeune Samine Décolé, un soldat blessé lors d’un accrochage et mis au service du ‘docteur’ Soro.

Vêtu d’une tenue civile, en sandales, le soldat Décolé a dit être prudent parce qu’il « sait que le sida   existe à Man », ajoutant qu’il « n’avait que deux copines ici ».

Parlant des filles qui restent aux côtés des hommes pour boire et manger, il a expliqué que « si un autre contingent de rebelles arrive aujourd’hui en ville, c’est ces mêmes filles qui vont sortir avec eux... Mais les civils aussi ont de multiples partenaires », a-t-il dit.

Ce n’est que cette année que Man a pu être équipée d’un centre de dépistage, le premier et le seul qui existe en ville. Depuis le mois de mai, MSF   a dépisté environ 300 personnes volontaires de la région, et offre à ceux qui le souhaitent conseils et traitements antirétroviraux, qui prolongent l’espérance de vie des personnes vivant avec le VIH  .

Le caporal Kouadio ne se sent pas prêt à se faire dépister, malgré sa grande connaissance des modes de contamination du virus.

« J’ai encore peur... J’ai un passé très chargé et le seul fait de me savoir séropositif pourrait me tuer. »

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