Rencontre avec Penda Touré, directrice du Centre SAS de Bouaké

le point sur la situation au CSAS et en Côte d’Ivoire

Publié le 20 juin 2011 sur OSIBouaké.org

OSI - Paris - Lundi 30 mai 2011 - Héléne Bordas - Au lendemain du 2nd tour de l’élection présidentielle (décembre 2010), Laurent Gbagbo, annoncé perdant par la Commission Electorale Indépendante (CEI), refuse de quitter le pouvoir. Dans les premiers temps de cette crise, Alassane Ouattara, vainqueur reconnu par l’ensemble de la communauté internationale, est retranché à l’hôtel du Golfe à Abidjan. Il appelle au calme ses partisans et veut éviter que la Côte d’Ivoire ne sombre à nouveau dans un conflit fratricide. Pendant 5 mois, les 2 camps se font face au dépend des populations civiles. Des exactions sont commises à Abidjan et à l’Ouest du pays par les partisans des 2 camps. Appuyé par la France et les forces de l’ONU  , un assaut final est lancé par Alassane Ouatara en avril dernier. A l’issue de 11 jours de combat dans Abidjan, Laurent Gbagbo, sa femme et plusieurs proches sont arrêtés.

La Côte d’Ivoire, fut longtemps considérée comme le « miracle économique » de l’Afrique de l’Ouest du temps de son 1er Président de la République, Félix Houphouet Boigny. Aujourd’hui, tout est à reconstruire : l’économie, les infrastructures, la confiance des Ivoiriens dans leurs dirigeants et surtout la cohésion nationale.

Le 30 mai dernier, nous avons eu la chance de nous entretenir plusieurs heures avec Madame Penda Diagola Touré, directrice du Centre SAS de Bouaké, partenaire d’OSI en Côte d’Ivoire depuis près de 10 ans. Elle nous a livré sa vision du conflit, ses souhaits pour l’avenir de son pays et du Centre SAS…

Hélène BORDAS : Quelles ont été/sont les conséquences de la crise de 2010-2011 sur la vie à Bouaké ?

Penda TourePenda DIAGOLA TOURE : Au cours de ces 5 derniers mois, les affrontements se sont concentrés à Abidjan et à l’Ouest du pays. Or, les services publics sont centralisés à Abidjan, le poumon économique de la Côte d’Ivoire. Ils ont tous été saccagés. D’importants efforts vont devoir être menés par le nouveau gouvernement pour leur remise en état. Actuellement, le pays fonctionne toujours au ralenti. Du 14 février au 27 avril, les banques ont été contraintes de baisser le rideau en raison du manque de sécurité et des risques de pillage. Le manque de liquidité a posé de nombreux problèmes pour s’approvisionner en nourriture, en médicaments, en essence, etc. Entre ces mêmes dates, les écoles ont été fermées à la demande de Laurent GBAGBO et les enseignants ont quitté leur poste. Depuis des instituteurs ont été réaffectés. D’ailleurs, s’ils n’étaient pas présents à leur poste le 25 mai dernier, ils étaient considérés comme démissionnaires par le nouveau gouvernement. Au cours de cette période, Bouaké était presque en « état d’urgence ». Toutefois, contrairement à Abidjan, le couvre-feu n’a pas été décidé. Nous avons limité nos sorties et ne circulions plus dans les rues après une certaine heure. Actuellement, nous subissons toujours de longues coupures d’électricité et d’eau. Nous devons nous organiser pour travailler, développer des stratégies et constituer des stocks d’eau.

HB : Y a-t-il des similitudes ou des différences avec la crise politico militaire qu’a connu la Côte d’Ivoire en 2002-2004 ?

PDT : La crise de 2002 était totalement différente car il s’agissait d’une rébellion. Elle a abouti à une partition de la Côte d’Ivoire : un Nord considéré comme (ex) rebelle et un Sud loyaliste. Bouaké, 2ème densité du pays, est considéré comme le foyer de la rébellion. En 2010, le conflit est né d’un refus du Président sortant de reconnaître les résultats de l’élection présidentielle. Alassane OUATTARA a été reconnu gagnant de cette élection par la Commission Electorale Indépendante (CEI) et l’ensemble de la communauté internationale. Cette fois-ci, le candidat reconnu vainqueur de l’élection bénéficie de la légitimité des urnes.

En 2010, Bouaké et le Centre SAS ont bénéficié de leur expérience passée. Nous avons anticipé les difficultés qu’induit une crise : pénurie, affrontements, psychose, etc. Nous avons constitué des stocks de vivres et de médicaments dès le lendemain du 2nd tour, aménager les horaires de travail. L’UNICEF nous a apporté son soutien en acheminant des médicaments jusqu’au Centre SAS.

Aussi, contrairement à 2002, Bouaké a été relativement préservé des affrontements. A ma connaissance, aucun coup de feu n’a été entendu dans la ville. D’ailleurs, nous avons accueilli de nombreux déplacés venus d’Abidjan et de l’Ouest [Penda TOURE a été très active dans l’organisation de ses camps de déplacés].

Bouake

HB : Quel impact la crise a-t-elle eu sur les prix des denrées alimentaires et vivres de 1ère nécessité ?

PDT : Le Sud et l’Ouest continuent de subir la flambée des prix. Au Nord, et notamment à Bouaké, la situation est redevenue normale depuis l’arrestation de Laurent Gbagbo. A Bouaké, le pris du pain a augmenté de 25 Francs CFA. L’inflation a été limitée. La région n’a relativement pas souffert de la pénurie : son approvisionnement en vivres de 1ère nécessité est majoritairement local et régional. Aussi, les frontières avec le Mali et le Burkina Faso sont restées ouvertes ; Des produits sont arrivés également de ces 2 pays. Des rumeurs de pénurie d’essence ont également couru à Bouaké. Néanmoins nous n’en avons pas souffert.

HB : A présent, tout est-il rentré dans l’ordre ?

PDT : Le départ de Laurent GBAGBO a largement apaisé les tensions même si de nombreux problèmes restent à régler. La situation se stabilise depuis une dizaine de jours. Encore aujourd’hui, le problème majeur est le manque de liquidités nous permettant d’acheter les produits dont nous avons besoin, les coupures d’eau et d’électricité. Le problème devrait se résoudre progressivement puisque les banques ont rouvert leurs portes il y a quelques semaines.

HB : Depuis plus de 10 ans, la Côte d’Ivoire est secouée par des tensions inter ethniques auxquelles se sont ajoutées des tensions entre les différents camps politiques. Au cours de la crise de 2010-2011, des exactions ont été commises par les 2 camps, celui d’Alassane OUATTARA et celui de Laurent GBAGBO. Quel impact ce climat a-t-il sur votre quotidien ?

PDT : Les affrontements inter ethniques sont surtout visibles à l’Ouest de la Côte d’Ivoire. Les raisons de ces affrontements sont complexes. L’appartenance ethnique et/ou le soutien à un camp politique ne pourraient expliquer à eux seuls les raisons de ces affrontements. Par ailleurs, la porosité de la frontière avec le Libéria complique la situation. Les mouvements de populations – réfugiés mais aussi bandes armées, mercenaires, pilleurs - sont difficilement maîtrisés. Enfin, des armes entrent et sortent plus ou moins facilement. A Bouaké, les oppositions inter ethniques n’ont pas lieu. Et, l’ensemble de la population est favorable à Alassane OUATTARA. Aussi, la population ne veut surtout pas sombrer à nouveau dans les affrontements qu’elle a connus en 2002.

HB : Qu’en est-il de la scolarité des enfants ? Bénéficieront-ils d’une année scolaire « normale » ou bien y aura-t-il quelques mesures exceptionnelles ?

PDT : Du fait de l’interruption de l’école (14 février au 27 avril), les enfants n’auront pas de vacances cet été. Ils bénéficieront de cours de rattrapage et se présenteront à leurs examens en septembre.

Ecole

HB : Quelles ont été les conséquences de la crise sur le fonctionnement du Centre SAS ?

PDT : Nous avons perdu de vue de nombreux patients pendant la crise. En effet, beaucoup, et notamment les plus malades d’entre eux, ne pouvaient plus se déplacer par peur d’être attaqués mais aussi parce que les taxis ne circulaient plus. Pour les patients les plus malades, cette situation a été catastrophique car l’irrégularité dans la prise des traitements a des conséquences dramatiques (dégradation de l’état, maladies opportunistes) et parfois fatales. Enfin, la population avait peur, très peur. Des rumeurs circulaient sur l’armement des troupes de Laurent GBAGBO à Tiébissou, une ville située à 75 km de Bouaké. Et, la désorganisation ambiante a profité aux braqueurs, pilleurs et autres bandes. Il était parfois dangereux de circuler dans les rues de certains quartiers.

Pour autant, le Centre SAS a maintenu l’ensemble de ses activités. Les temps de travail ont été réorganisés. L’accueil des patients se faisait en journée continue de 8h00 à 16h00 pour accroître l’accessibilité du Centre SAS aux patients et minimiser les déplacements du personnel au cours de la journée. Dès le 1er tour de l’élection présidentielle, le Centre SAS a constitué des stocks : médicaments, vivres de 1ère nécessité et eau. Les visites à domicile se limitaient aux patients « dégradés » situés dans la commune de Bouaké. Autrement dit, le personnel ne se déplaçait plus dans les communes avoisinantes. En effet, il était parfois dangereux de circuler sur les voies secondaires allant vers les villages et les rues des quartiers périphériques surtout à des heures tardives.

HB : Le nouveau président Alassane OUATTARA vient d’être investi. Que souhaitez-vous pour l’avenir de la Côte d’Ivoire ? Quels sont les projets du Centre SAS ?

PDT : En tout 1er lieu je souhaiterais que les enfants, l’avenir de notre pays, puissent tous être scolarisés et que l’accès aux soins, pour les malades du Sida   entre autres, soit facilité. Autrement dit, j’attends que le nouveau gouvernement agisse en faveur d’une démocratisation de l’éducation et de la santé. Ce serait d’ailleurs un soulagement pour le Centre SAS si l’Etat considérait avec davantage d’intérêt sa mission de Service public dans ces 2 domaines essentiels.

Les défis d’Alassane OUATTARA sont nombreux, certains sont urgents :

  • Rétablir la sécurité en redonnant la main aux forces régulières ;
  • Lutter contre les risques d’épidémie de fièvre jaune et de choléra ;
  • Mettre en place un réseau d’assainissement ;
  • Rouvrir les écoles et mettre fin à l’anarchie dans les grandes écoles et l’université ;
  • Restructurer les grandes filières (café, cacao, hévéa…) et traquer la corruption qui les gangrène ;
  • Rétablir l’électricité partout ;
  • Rouvrir les banques et les approvisionner Toutefois, la reprise en main du pays n’est pas qu’une affaire d’argent. En effet, la plus grande difficulté à laquelle est confrontée le nouveau Président est de reconstruire une cohésion sociale. Pour ce faire, il a mis en place un gouvernement d’urgence composé de 13 ministres. Le chef du gouvernement est à nouveau Guillaume SORO.

Concernant le Centre SAS, les défis ne manquent pas non plus. La participation de l’Etat [dont le Centre SAS n’a jamais reçu d’argent] permettrait une meilleure intégration dans le système de santé communautaire et un accroissement, tant thématique que spatial, de nos activités. Nous attendons aussi que l’Etat reconnaissance la mission de santé publique du Centre SAS et que le travail communautaire devienne un principe d’intervention pour les programmes mis en place par l’Etat.

Aujourd’hui, les activités du Centre SAS sont organisées et structurées. Cela nous permet notamment de résister lorsque le contexte national est troublé. A l’avenir, nous devrons travailler davantage à la formalisation de nos activités.

Enfin, notre activité principale est la lutte contre le VIH  /Sida  . Nous organisons des activités de dépistage, la prise en charge médicale, sociale, psychologique du malade et de sa famille. Nous disposons d’une pharmacie communautaire. Nous avons un dispensaire pédiatrique, lequel nous permet de suivre la maman et son bébé du début de sa grossesse aux mois suivants son accouchement. Depuis 2009, nous avons crée une école maternelle composée de 2 classes, laquelle est en passe d’être agréée. Aujourd’hui, nous sommes persuadés que nous pouvons faire plus et que d’autres pistes existent pour lutter contre la transmission du VIH  /Sida  , la prise en charge des malades et leur famille, les soins. Le travail resterait communautaire. Il consisterait à créer d’autres « portes d’entrée » dans les communautés : accès à l’eau potable, éducation, Activités Génératrices de Revenus. Une fois présent en leur sein, le Centre SAS pourrait sensibiliser progressivement les populations au dépistage, aux pratiques à risque, aux modes de protection contre le VIH  /Sida  

Par conséquent, le travail n’est pas terminé ! De nombreux défis restent à relever pour la Côte d’Ivoire et le Centre SAS. Toutefois, cette crise a une nouvelle fois montré que le Centre SAS est solide, qu’il a su résister aux conditions de travail difficiles, que son personnel est plus que jamais présent et que les bénéficiaires lui font confiance. Aujourd’hui, la Côte d’Ivoire est à un moment de son histoire où tout est possible, tout reste à écrire ! Souhaitons à ce beau pays un avenir radieux…

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