Prison : des détenus privés d’intimité

Secret médical pas assez respecté, parloirs pas adaptés, courriers ouverts... Jean-Marie Delarue, le contrôleur général des lieux de privation fait le point.

Publié le 22 mai 2011 sur OSIBouaké.org

Libération - 03/05/2011

Passer un coup de fil à l’abri des oreilles indiscrètes, recevoir la visite de ses enfants, être soigné dans le respect du secret médical... Des droits élémentaires, encore mal respectés dans les prisons françaises.

« Il faut mettre fin à ces images naïves d’une prison quatre étoiles (...) La réalité est encore souvent celle de la vétusté et quelquefois du sordide, dans des établissements anciens et mal entretenus », écrit Jean-Marie Delarue, le contrôleur général des lieux de privation de liberté, en préambule de son troisième rapport annuel publié ce matin. Quelque 400 pages fournies, retraçant les visites de ses équipes pour vérifier les conditions de vie dans les établissements privatifs de liberté (les prisons évidemment, mais aussi les hôpitaux psychiatriques, les centres éducatifs fermés pour mineurs, les geôles des tribunaux, les locaux de garde à vue, les centres de rétention et zones d’attente pour les sans-papiers).

Il s’en est fallu de peu pourtant pour que ce rapport soit le dernier. La fonction de contrôleur général des prisons, créée en 2008 par Nicolas Sarkozy, a bien failli disparaître, absorbé comme la Halde et le défenseur des enfants dans le grand ensemble fourre-tout du défenseur des droits.

Cette année, le rapport met l’accent sur la question des liens familiaux dans les lieux de privation de liberté et le respect de la vie privée. Voici, à grands traits, ce que l’on peut retenir du rapport.

« La confidentialité des entretiens avec les aumôniers n’est pas respectée »

  • Le secret médical

Aujourd’hui, le secret médical est loin d’être partout respecté. Un exemple : la distribution des médicaments est parfois faite par les surveillants pénitentiaires (et non des personnels de soins comme cela devrait être) au vu et au su de tous. Résultat : inévitablement, les détenus malades se retrouvent stigmatisés et exposés à des menaces et représailles. C’est particulièrement vrai pour les toxicomanes et les porteurs du VIH  .

Autre aberration : dans un certain nombre d’établissements, les dossiers médicaux ne sont pas contenus dans des armoires fermées à clef... Difficile de garantir la confidentialité dans ces conditions.

D’où ces recommandations de bon sens : « Ranger tous les dossiers médicaux sans exception dans des armoires fermées et dont la clef est à la disposition des seuls personnels soignants. » Et « faire distribuer les médicaments aux personnes détenues uniquement par le personnel soignant (loi du 18 janv. 1994). »

  • Le secret de la confession

Est soulevée ici la question de l’exercice des cultes en milieu pénitentiaire. Qu’en est-il ? Il y a quinze jours, l’Express affirmait que l’Etat français pourrait se voir reprocher de ne pas appliquer les principes « d’égalité de traitement et d’absence de discrimination » vis-à-vis des détenus pratiquant une religion, citant le rapport du contrôleur.

Les contrôleurs ont en effet constaté que le plus souvent « les aumôniers disposent des clefs des cellules, ce qui favorise leur accès en détention sans toutefois garantir la confidentialité des entretiens lorsque ceux-ci se déroulent dans une cellule occupée par plusieurs détenus. » Etant précisé que dans les centres de rétention administrative (pour les sans-papiers en attente d’expulsion) et les centres éducatifs fermés, la présence des représentants des cultes n’est même pas prévue par les textes en vigueur...

  • Le secret du motif de l’incarcération

Il s’agit là tout simplement de garantir les droits de la défense les plus élémentaires. « De nombreux courriers de détenus sont parvenus au contrôle général indiquant que le motif de leur incarcération avait été divulgué par des personnels de surveillance, sous diverses formes, à leurs co-détenus. Ils disent subir ensuite des brimades », précise le rapport.

Parmi les recommandations, la mise en place d’un circuit spécifique hors de la vue du public lors de l’arrivée de la personne interpellée dans les locaux de police pour respecter la présomption d’innocence.

  • Les échange de courriers

La France a été rappelée à l’ordre plusieurs fois par la Cour européenne des droits de l’Homme sur le sujet. La correspondance est en effet un droit fondamental des personnes, y compris lorsqu’elles sont privées de liberté.

« Le respect dû à la correspondance doit conduire l’administration pénitentiaire à traiter avec soin la correspondance des détenus », rappelait déjà le rapport de 2009. Si les surveillants de prison ont la possibilité de vérifier le contenu des courriers (à l’exception de ceux adressés aux autorités et au contrôleur général), ils sont tenus au secret professionnel.

Or en pratique, rapportent les contrôleurs, « des détenus se plaignent que leur courrier ne serait pas systématiquement transmis à leur destinataire et que certains surveillants liraient leur courrier à haute voix ».

Parmi les propositions concrètes : « Disposer dans les endroits accessibles aux personnes détenues trois boîtes aux lettres : une destinée au courrier externe et une au courrier interne relevées par le seul vaguemestre ; une troisième pour le courrier à destination du personnel soignant. »

  • Le téléphone

Dans les établissements pénitentiaires, l’emplacement des téléphones, leur agencement, sans coque ni cabine entourant le combiné ne permet pas de garantir la confidentialité des échanges.

En pratique, ces problèmes se traduisent par des trafics de téléphone dont peuvent être victimes les plus vulnérables. D’où cette proposition, appuyée sur un constat de terrain dans certains établissements de santé : la situation se passe mieux dans les établissements où l’usage du portable est toléré et encadré. Rappelons qu’en prison, aujourd’hui, l’utilisation des portables est strictement interdite.

Maintenir les liens familiaux ou la galère des visites...

Le droit des personnes détenues au maintien de leurs liens familiaux est consacré par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales (CEDH).

  • Des prisons pas assez accessibles

Le constat : « se rendre aux parloirs réclame aux familles une grande disponibilité de temps (entre une demi-journée et une journée), entraîne un coût financier important (lié au mode de transport et aux frais de restauration, voire d’hébergement) et génère fatigue et tension nerveuse, notamment du fait de l’angoisse d’arriver en retard et de voir la visite annulée. »

L’un des problèmes relevés : le manque de signalisation. Les contrôleurs ont observé à plusieurs reprises que certaines collectivités locales s’opposent à toute signalisation de l’établissement pénitentiaire, soit pour des raisons touristiques soit pour ne pas « stigmatiser » la commune.

Certains établissements, bien que de construction récente, ne sont pas desservis par un réseau de transports en commun.

A ces difficultés s’ajoute le fait que les personnes détenues ne sont pas incarcérées à proximité de leur domicile ou de celui de leurs proches. En la matière, la règle est l’affectation dans la maison d’arrêt du ressort géographique de la juridiction ayant décidé le placement en détention, indépendamment de la domiciliation du justiciable...

Le contrôleur réclame que les nouvelles prisons soient implantées en agglomération. Et d’interpeller : « il appartient à l’Etat de réfléchir à la manière de prendre en compte les surcoûts liés à la distance qui pèsent sur les familles ».

  • Les parloirs à géométrie variable

Les contrôleurs ont constaté de nombreux dysfonctionnements dans les modalités de prises de rendez-vous aux parloirs, qui se fait notamment via des bornes informatiques souvent en panne, faute de maintenance.

Autre problème : L’intimité est plus ou moins bien préservée. « Les visites se déroulent dans une vaste salle commune, particulièrement bruyante, qui n’offre aucune intimité et met les familles, les détenus et les personnels dans des situations indignes eu égard aux rapports sexuels qui ont lieu. »

Parmi les recommandations : « Envisager la création de quartiers spécifiques pour les couples incarcérés. » Et « créer dans chaque établissement des unités de vie familiale (UVF) et/ou des parloirs familiaux, des salles "Enfants-Parents" ».

Les boxes de parloir doivent permettre aux proches de se retrouver dans de bonnes conditions, y compris avec des enfants.

Pour aller plus loin :

  • Version condensée des 400 pages du rapport en bas de cet article
  • Le rapport complet est en vente en librairie (édition Dalloz).

imprimer

retour au site